Après le film, Valérian et Laureline reviennent avec une dernière BD

Détail de la couverture du dernier Valérian et Laureline. - Dargaud 2019
"De nous deux, c’est sûr, c’est le dernier." Pierre Christin, scénariste de Valérian et Laureline, est catégorique: avec son vieux complice Jean-Claude Mézières, il vient de mettre un terme, après 52 ans de bons et loyaux services, à la célèbre série qui a contribué à sa renommée et à celle de la BD de SF française dans le monde.
"On dit que les héros de BD ne meurent jamais. On ne peut pas jurer non plus que ce sera le der de der, mais dans la forme habituelle, oui, parce qu’on a déjà terminé le cycle des 22 albums. On y est arrivé, on est content, mais il faut savoir s’arrêter", explique le scénariste qui a sorti en février L'Avenir est avancé, recueil de récits courts qui prolonge le cycle principal: "Ce sont des blagues un peu érudites où l’on revisite les albums de la série principale", précise-t-il.
Débarqué en 1967 dans les pages du magazine Pilote, Valerian et Laureline a eu une influence considérable sur toute une génération. Sans revenir sur tous les emprunts de Star Wars à l’œuvre de Christin et Mézières, celle-ci a longtemps été précurseur en mettant notamment en avant un personnage féminin fort et en développant dans une revue aux idées de droite des convictions de gauche.
"Ressuscité" par le tournage du film de Luc Besson
L'Avenir est avancé, titre de leur dernière aventure, résume assez bien cette ambition de la série de s’emparer de thématiques contemporaines pour les traiter dans un récit d’anticipation: "Maintenant, beaucoup d’albums travaillent leur titre. À l’époque, il y a cinquante ans, il y avait beaucoup de titres qui étaient ordinaires. C’était vraiment de la BD d’aventure: Mystère sur ceci, le tatata secret… Dès le début, j’ai essayé de trouver des titres qui soient un petit peu plus poétique. Je m’inspirais beaucoup d’écrivains que j’aimais, y compris pour les noms de peuplades."
L'Avenir est avancé apporte aussi une saveur différente à la série: de la nostalgie, l’impression que la série est réellement terminée. Contrairement au titre du précédent album, Souvenirs du futur (2013), qui laissait apparaître une pointe d’optimisme: "Peut-être qu’entre-temps on a tout simplement pris cinq ans de plus", répond Christin. "La nostalgie a tendance, qu’on le veuille ou non, à s’inscrire dans nos pauvres vieux gènes". Après des problèmes de santé au mitan de la décennie, le duo dit pourtant avoir été "ressuscité" par le tournage de l’adaptation de Luc Besson (2016).

Malgré son titre, L'Avenir est avancé n’est pas mortifère. On y retrouve en effet, plus que dans aucun autre album de la série, beaucoup d’enfants. Et notamment des versions adolescentes de Valérian et Laureline, comme à la fin du cycle principal:
"Dans Valérian, on peut faire quelque chose que les autres BD ne peuvent pas tellement faire, car la série développe le concept d’incertitude temporelle: on ne sait pas si ça se passe maintenant ou au XVIIIème siècle. C’était amusant de concevoir que dans un des replis du temps ils puissent être des enfants. C’est lié à l’idée que je développe en ce moment: comment des futurs héros galactiques peuvent-ils se comporter quand ils sont enfants? Est-ce qu’ils parlent comme les autres? Est-ce qu’ils savent plus de choses que les autres? est-ce qu’ils savent qu’ils ont été des héros galactiques? Ça pose un tas de petites énigmes à résoudre."
Pour dessiner Valérian adolescent, Mézières s’est inspiré de son petit-fils. Un détail biographique qui apporte "un cachet intimiste à la BD", selon Christin, bien que le lecteur n’en soit pas conscient.
La suite avec de nouveaux auteurs?
Le lecteur avisé ne devrait pas, au contraire, passer à côté de l’image finale de l’album, la dernière dessinée par Jean-Claude Mézières: le visage perlé d’une larme de Monsieur Albert. "C’est moi qui ai mis la petite larme!", s’amuse Mézières, qui a voulu représenter son émotion quand il a dessiné la dernière page: "Oui, un peu. Et puis Monsieur Albert, c’est un peu nous." Ou plutôt, c’est devenu eux: "Ça fait 40 ans qu’on le trimballe!". Associé de Valérian et Laureline, il est devenu personnage récurrent de la série dans les années 1980 en réaction à l’absence de personnages âgés dans les BD.

Jean-Claude Mézières ne s’en cache pas: L'Avenir est avancé, qui a nécessité cinq ans de travail, a été compliqué à terminer: "Quand ce n’est pas bien, ce n’est pas bien. J’ai toujours été critique envers mon travail plus que raison. Quand ça n’allait pas, j’ai recommencé. La fin de l’album a été très pénible". Au fil du temps, son trait a changé et il est devenu plus épais. "C’est une question de forme athlétique: un coureur de 100 mètres haies saute moins haut quand il a 80 ans que quand il en a trente. C’est pareil: mon trait n’est pas en pleine forme. C’est le dessin qui se dégrade." "Tu as quand même sauté beaucoup de haies pour faire celui-là.", renchérit Christin.
Si Mézières estime avoir "de moins en moins" "la grâce, la spontanéité" de ses débuts, il régale le lecteur avec des mises en scène dont il a le secret: découpage cinématographique avec plusieurs scènes qui se déroulent en parallèle, planches divisées par la foudre divine… Et il peut toujours compter sur le soutien de sa sœur Evelyne Tranlé, qui s’occupe de la couleur depuis les débuts de la série.
Même sans Valérian et Laureline, le futur de Christin et Mézières s’annonce radieux: le dessinateur prépare un livre d’illustrations et le scénariste écrit notamment un roman graphique sur Orwell, son maître à penser. Valérian et Laureline pourraient quant à eux revivre sous la forme d’histoires dérivées dans la lignée des albums de Manu Larcenet et Wilfried Lupano et Mathieu Lauffray. Christin et Mézières ne sont pas opposés aux auteurs qui rêvent de s’approprier l’univers de Valérian: "Surtout, il ne faut pas que ce soit de la copie: ni dans le style graphique, ni dans le style de l’histoire", préconise Mézières.