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Un effet Coupe du monde pour Emmanuel Macron? "Les Français sont moins dupes qu’en 1998"

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- - Giuseppe CACACE / AFP

Une victoire de l’équipe de France en finale de la Coupe du monde dimanche pourrait profiter au Président de la République, comme ce fut le cas en 1998.

"On est en finale. Rendez-vous dimanche pour la rapporter". A peine la demi-finale remportée contre la Belgique, Emmanuel Macron s’est fendu d’un tweet d’encouragement à l’équipe de France. Présent en tribune mardi soir, le président de la République est au diapason du reste de la population: à fond derrière les Bleus. Mais pour lui, il y a sans doute un peu plus d’enjeu que pour le reste des Français. Car selon la légende, un bon parcours d’une équipe de France à un Mondial, et a fortiori une victoire, aurait un effet direct sur la côte de popularité du chef de l'Etat. Et ça tombe bien, puisque que celle-ci s’est effritée ces dernières semaines, pour atteindre 34% d’opinion favorable selon le dernier baromètre de l’institut Elabe.

En 1998, la côte de confiance en Jacques Chirac était passée de 45% avant le début de la compétition à 59% après. En 2006, le même Jacques Chirac s’appuie sur le parcours de l’équipe de France pour passer d’une côte de 16% à 21% d’opinions positives. "Au-delà de la performance sportive, ce qui se joue est quelque chose de nature politique, au sens de ce qui assemble les peuples, ce qui fait la vie de la cité, explique le politologue Stéphane Rozès, président de la société de conseils CAP. L’équipe de France de football est une bonne métaphore de ce que devrait être la République française et son mode de fonctionnement. En 1998 comme aujourd’hui, c’est d’abord l’équipe de France de foot comme métaphore qui provoque l’engouement populaire. Celui-ci va, si le président s’y conforme, lui profiter momentanément".

"Si la France gagne, il peut essayer de renouer avec un pan du récit de la campagne électorale"

Et pour en profiter, Emmanuel Macron n’a donc qu’un seul vrai modèle: celui de Jacques Chirac, il y a plus de 20 ans. Un modèle bien difficile à reproduire.

"D’abord, la compétition avait lieu en France, nuance Bernard Sananès, président de l’institut Elabe. Ensuite Jacques Chirac était un président de cohabitation, il ne gouvernait pas, ce qui le rendait plus détaché des contraintes de la popularité de tous les jours. Et attention, ce n’était pas "c’est un bon président", c’était "il est proche de nous". Les Français pouvaient se reconnaître dans le supporter Chirac, je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui ils se reconnaissent dans le supporter Macron. Par contre, si la France gagne, il peut essayer de renouer avec un pan du récit de la campagne électorale, qui était celui du rassemblement".

Pour Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté et auteur d’une Histoire du football (éd. Tempus), "chez Chirac il y avait un effet d’opportunité, puisque d’après ce qu’on dit, il connaissait à peine le nom de certains joueurs". Mais depuis 1998, le rôle du chef de l’Etat auprès de l’équipe de France de foot "est devenu une obligation pour les présidents, désormais ça fait partie de la fonction", reprend l’historien. Et pas seulement pour des raisons bassement sondagières: "En France, vous avez quand même un régime particulier qui est celui de la délégation. Les fédérations sportives sont délégataires de l’Etat. En quelque sorte, l’équipe de France est un service public".

Un service public qui devient tout de même de plus en plus difficile de récupérer pour son compte personnel en cas d’épopée.

"Les Français sont sans doute moins dupes qu’en 1998, reprend Paul Dietschy. Pour ce qui est de Macron. Il a dit avant la compétition "je viendrai seulement si vous allez en demi-finale". Il y a derrière ça le principe d’objectif, d’efficacité qui est au coeur de la politique macronienne. Ils arrivent en finale et maintenant ce qu’il leur dit c’est qu’une finale, ça se gagne. Cela coïncide bien avec l’image d’un président jeune, qui veut être efficace et changer les choses. Donc c’est possible que ça lui bénéficie s’il y a victoire".

"Qu’est-ce qu’on fait de cette ferveur populaire, de cette joie, de cette solidarité?"

Mais l’effet pourrait s’avérer très limité dans le temps. "C’est momentané, ça avait été le cas en 1998 pour les cohabitants Chirac et Jospin, et ce sera le cas pour Emmanuel Macron, reprend Stéphane Rozès. La bonne façon de se comporter pour lui, c’est de se contenter d’accompagner discrètement les performances de l’équipe de France. Non pas en donnant le sentiment qu’on la conduit, mais plutôt qu’on en est l’émanation. La politique vient du bas, du peuple, et c’est de la symbolique. Il y a la communion dans l’idéal, et ensuite le réel reprend ses droits, prévient-il. "Il ne faut pas donner l’impression qu’on instrumentalise le sport à des fins de communication personnelle", confirme quant à elle Marie-Cécile Naves, directrice des études du think-thank Sport et Citoyenneté, auteur du Pouvoir du sport (éd. FYP).

Selon elle, l’effet ponctuel d’une potentielle victoire des Bleus en Coupe du monde sur la côte de popularité des dirigeants est indéniable, mais l’enjeu n’est pas là. "En 1998 voire en 2006, il n’y a pas eu véritablement d’appropriation par les décideurs politiques de toute cette confiance que la population avait en l’avenir. La question est donc plus sur le long terme: que va faire le président de cette popularité? Qu’est-ce qu’on fait de cette ferveur populaire, de cette joie, de cette solidarité qui se créée? Ce n’est pas juste quelque chose de ponctuel. Le président de la République est peut-être un peu trop axé sur la compétition, les valeurs capitalistes. On trouve ces valeurs dans le sport, mais on y trouve aussi des leviers de cohésion sociale, de valorisation des savoir-faire de la banlieue, de promotion des activités physiques et sportives. Comment peut-il se projeter là-dedans pour encore plus et de manière durable faire du sport un levier d’innovation sociale?".

Antoine Maes