Salées, en rouleaux, bio: comment les glaces artisanales se réinventent

- - LOIC VENANCE / AFP
Vanille? Chocolat? Fraise? En cornet ou en pot? Et combien de boules? Longtemps, voici les seules questions que vous vous posiez au moment de choisir votre glace. Désormais, quand vous passez devant un glacier artisanal, on n'est plus très loin du mal de crâne au moment de faire son choix.
"Les artisans ont bien compris qu’il fallait faire la différence", remarque Elie Cazaussus, président de la Confédération nationale des glaciers de France. "En créant des goûts et des produits nouveaux, on prouve qu’on fabrique soi-même ses produits. Aujourd’hui, pour sortir du lot, on va réfléchir à des choses nouvelles, des nouvelles associations. C'est comme ça qu'en ce moment on voit émerger pas mal d’idées, qu'on vit une sorte d’ébullition."
Pourtant, la France part d’un peu loin. D’abord parce que la consommation moyenne des Français – 6 litres par personne et par an – est à des années lumières de celles de la Nouvelle-Zélande (23 litres par habitants) ou les Etats-Unis (20 litres). Ensuite parce que le produit, qu’on parle de sorbet ou de crème glacée, tant artisanal qu’industriel, reste dans l’hexagone extrêmement saisonnier et dépendant de la météo.
"On a un bel avenir, parce qu’on travaille un produit magnifique et qu’on a un savoir-faire indéniable, mais il faut amener les gens à manger de la glace en dehors des périodes de chaleur", reprend Elie Cazaussus. Enfin, parce que les produits en tant que tel n’ont longtemps pas offert beaucoup de surprises.
"La glace était restée un peu figée sur des vieilles recettes"
C’est en tout cas l’avis d’Emmanuel Ryon (45 ans), meilleur ouvrier de France Glacier et champion du monde pâtisserie. Avec son collègue Olivier Ménard (49 ans), il a monté il y a trois ans l’enseigne Une glace à Paris, dans le quartier du Marais. Une autre a vu le jour à Montmartre, et l’ouverture d’une troisième est en route. La carte a pourtant de quoi vous déstabiliser: des sorbets orange-carotte-gingembre ou tomate-basilic, entre autres. Dans le domaine de la glace, "le renouveau existe, et il y en avait besoin, parce qu’elle était restée un peu figée sur des vieilles recettes et des vieilles façons de la consommer", assure Emmanuel Ryon.
Chez Une glace à Paris, ces nouveaux modes de consommation ne s’expriment pas que dans les saveurs.
"Nous on 'déssucre' beaucoup les crèmes glacées", explique Olivier Ménard (49 ans). "Et ça fait partie aussi de l’évolution du métier: que les glaces soient moins grasses, moins sucrées, pour faire plus ressortir le parfum qu’on travaille. Sur nos crèmes glacées, on est au maximum à 8% de matière grasse, ce n’est pas énorme. Si vous mangez du fromage il y aura plus de matière grasse que dans nos glaces."
"On essaie d’éduquer le client: le but c'est de lui faire comprendre qu'on peut manger des glaces et se régaler de bonnes choses sans problème", enchaîne Emmanuel Ryon.
"On peut garantir à nos clients que nos fraises elles viennent de la région"
Manger des glaces artisanales différentes n'est pas non plus un privilège de Parisiens. A Marseille, les produits de la start-up Emkipop rencontrent un franc succès. Le concept? Des bâtonnets glacés aux fruits frais à 3,90 euros. En deux ans, les deux fondateurs – Guillaume Bacqueville et Emeline Lallemand, 30 ans tous les deux – sont passés d’une vente ambulante sans autorisation à l’ouverture de deux boutiques (une à Marseille, l’autre à Aix) et un réseau d’une centaine de distributeurs, dont les hôtels Barrière de Deauville et La Baule et quelques plages privées de la région Paca.
A l’origine, les deux entrepreneurs ne sont pas du tout du métier. "Emeline a fait des études de commerce et moi une école d’ingénieur", raconte Guillaume Bacqueville. "Lors d’un voyage aux Etats-Unis, on a goûté un bâtonnet glacé où on avait l’impression de croquer dans le fruit. D'habitude, les bâtonnets glacés sont plutôt des produits à base de colorants et d’arômes artificiels." Au moins autant que le goût de leurs glaces, c’est sur la provenance de leurs ingrédients qu’ils font la différence.
"On ne travaille que sur du fruit en local, pas forcément bio, mais au moins en agriculture raisonnée", reprend Guillaume Bacqueville. "Les clients aiment savoir d’où viennent nos produits, et nous on peut leur garantir que nos fraises elles viennent de la région. Pour eux c’est un argument."
"La prochaine vague d’innovation ce sera sur des recettes salées"
L’argument de la qualité des produits a d’ailleurs percuté aussi chez les industriels. Entre février 2017 et février 2018, la part du bio a augmenté de 110%, certes pour un chiffre d’affaires qui reste encore modeste (4,1 millions d’euros), selon les chiffres de l’association des entreprises des glaces, qui regroupe 8 leaders du secteur produisant des best-sellers comme les Magnum, les Cornetto, les Häagen-Dazs… A l’instar de Ben&Jerry’s et Amarino, Intermarché a même lancé récemment sa gamme de glaces vegan.
Ce genre de glace, Quentin Bourdonnay (26 ans) n’en propose pas encore à sa carte. Mais son originalité à lui est ailleurs. En fondant Ice Roll début 2015, c’est à la forme des glaces qu’il a décidé de s’attaquer. "Sur une plaque à -30°, on vient verser du mix à glace, qui est la base de la crème glacée", décrit-il. "Par-dessus on ajoute la saveur qu’aura choisie le client. On mélange et on étale l’ensemble. La glace se fige, et à la spatule on en fait des rouleaux. L’idée est inspirée d’un concept que j’ai découvert en Thaïlande. On gèle le produit sous les yeux du consommateur. Cela permet de personnaliser la glace et d’utiliser des produits exclusivement naturels."
Et ça marche. Après avoir débuté par des animations pour des soirées d’entreprise ou des mariages, il est aujourd’hui à la tête de plusieurs corners dans des centres commerciaux d’Île-de-France.
"On a aussi 31 franchises dans neuf pays, et pas mal au Moyen-Orient", reprend Quentin Bourdonnay. "Là-bas, ils veulent manger des glaces toute la journée, donc on a développé récemment des glaces salées: au gaspacho, ou au guacamole avec un nacho par exemple. Et ça ne va pas tardé à venir ici. On reste dans l’idée que la glace est un dessert, mais la prochaine vague d’innovation ce sera sur des recettes salées". Partant pour un sorbet à la raclette?