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Qu'on parle d'une tarte tatin ou de Top Chef, d'où vient l'expression "partir sur..."?

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SEMANTICS DE LANGAGE - Tics verbaux, éléments de langage inconscients, ou simples modes, la langue est très perméable à l'air du temps. Tel mot surgi de nulle part s'impose brusquement partout. Chaque semaine, BFMTV.com décortique l'une de ces curiosités. Ce vendredi, nous nous intéressons à "partir sur", expression qui s'est imposé dans le langage courant à la suite des émissions culinaires.

On le répète souvent dans les écoles au moment d'apprendre les prépositions: "Adam part pour Anvers". Il a désormais plutôt tendance à "partir sur". Les débuts ce mercredi de la nouvelle saison de Top Chef nous ont rappelé la force soudaine de l'expression. Dans cette émission culinaire de M6, les candidats passent leur temps et leur menu à "partir sur des tartes Tatin" ou autre "piperade". Pour anodine qu'elle puisse paraître, "partir sur" est une formule aussi aventureuse grammaticalement que récente à l'usage. 

Avant Top Chef, une odyssée

Mais le nouveau-né n'est pas un orphelin. Il est même le rejeton d'une gestation de neuf siècles selon Jean Pruvost, lexicologue, auteur dernièrement des Secrets des mots, et qui publie en mars prochain L'histoire de la langue française, un vrai roman. Contacté par BFMTV.com, il pose en préambule:

"L'évolution du verbe 'partir' est merveilleuse". Notre interlocuteur initie alors cette longue odyssée: "Il entre dans la langue française au XIIe siècle. C'est l'idée de division. 'Partir', comme dans le sens originel de l'expression 'maille à partir' qui date de la même époque, c'est partager." "Or, si on partage, une partie s'en va", fait remarquer le spécialiste. 

On ne part pas encore "sur" mais on commence alors à partir quelque part. "Dès le XVIIe siècle, on passe à l'idée de mouvement", poursuit Jean Pruvost qui prolonge: "C'est le 'partir' moderne, tandis que l'autre, celui du partage, devient un archaïsme". La trajectoire se dessine. Bientôt, le déplacement se fait plus imagé. Et, à nouveau, la préposition accolée au verbe change.

"Autour du XVIIIe siècle, on commence à partir 'dans des considérations'. Même si cette expression est souvent péjorative, elle conserve une dimension de jaillissement. Et aujourd'hui, dans 'partir sur' on retrouve l'idée de rapidité", analyse Jean Pruvost. 

Imprégnation 

Entre rapidité et déclenchement, le "partir sur" télévisuel connote le coup d'envoi.

"Quand on dit dans une émission télé ou radio qu'on 'part sur tel sujet', c'est presque synonyme d'introduire, de lancer un sujet'", reprend notre interlocuteur.

De "partir pour" à "partir sur", une influence étrangère se cache peut-être derrière cette discrète révolution des prépositions. "A mon avis, c'est plus ou moins ce qu'on appelle un anglicisme par calque. Or, en anglais, les prépositions jouent un rôle énorme: avec par exemple on, about. En Français, on n'a pas on mais on a 'sur'", interprète Jean Pruvost qui se souvient de sa lecture de la thèse d'une de ses consœurs:

"Elle portait sur l'imprégnation inconsciente du français par l'anglais. L'idée de base, c'est que le peuple anglais, peuple maritime, a une vision presque géographique des choses, et que nous Français sommes inconsciemment en train de développer un vocabulaire du déplacement, propre à la marine".

Le concret contre l'immatériel, le but face au principe, telles sont pourtant à l'origine les composantes de la ligne de partage entre l'anglais et le français. Le linguiste observe ainsi: "Nous avons une langue relativement abstraite, tandis que l'anglais embarque toujours pour quelque part". 

Robin Verner