Qu'est-ce que le groupe Facebook "la Ligue du LOL" et de quoi est-il accusé?

Une femme victime de cyber-harcèlement (illustration) - Courtesy Graphic
Ce weekend, sous le hashtag #liguedulol, des dizaines de témoignages de harcèlement ont enflammé Twitter. La fameuse Ligue du lol est un groupe Facebook fermé, particulièrement actif entre 2009 et 2013, accusé par plusieurs personnes, notamment des femmes, de harcèlement organisé et en bande sur plusieurs années.
Outre des messages d'insultes et de dénigrement répétés de la part de membres de ce groupe sur leurs réseaux sociaux, certaines racontent des canulars très poussés, voire une intimidation dans la vraie vie.
Les témoignages de victimes ont conduit plusieurs membres de ce groupe Facebook à s'excuser publiquement sur Twitter, et ont fait réagir des membres du gouvernement. Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'égalité entre les hommes et les femmes, a déclaré à propos de l'affaire: "Tout mon soutien et ma solidarité aux blogueuses et journalistes qui ont eu à subir le harcèlement sexiste de la #LigueDuLol".
"Ces moqueries ont eu un impact dans le réel. Les victimes de cyberharcèlement doivent pouvoir s’exprimer, et eux, j’espère qu’ils ont honte", a déclaré de son côté le secrétaire d'État au Numérique Mounir Mahjoubi sur BFMTV dimanche soir.
Quel était ce groupe?
"Il y avait au départ une quinzaine de mecs et deux ou trois filles", sur cette page, explique Vincent Glad, créateur du groupe Facebook en 2009, aujourd'hui journaliste à Libération. Il explique les origines de cette Ligue dans un post Twitter où il s'excuse des dérapages que des membres, ou que lui-même, ont pu commettre. Parmi les premiers utilisateurs de Twitter, ces adhérents assurent, dans leurs différents messages d'excuses postés ce weekend, qu'ils partageaient sur cette page avant tout des messages humoristiques, des conseils ou des découvertes faites sur le web.
Journalistes, graphistes, photographes ou encore communicants... Ils étaient issus de professions différentes, mais évoluaient dans un microcosme parisien, et ont pour beaucoup aujourd'hui des postes importants dans leurs milieux respectifs.
"Nous pensions que toute personne visible sur Internet, par son blog, son Twitter ou autre méritait d'être moquée", écrit Vincent Glad, qui décrit les réseaux sociaux de l'époque comme "une grande cour de récré".
David Doucet, rédacteur en chef web des Inrocks, explique dans un message Twitter avoir notamment réalisé dans ce cadre "des fakes de célébrités", mais également "deux canulars téléphoniques, dont celui raconté courageusement par Florence Porcel où je me faisais passer pour un recruteur de la télé. Je mesure aujourd'hui la dégueulasserie de ces actes et je n'ai pas d'excuses pour cela".
La majorité des membres de ce groupe cités sur Twitter assure avoir quitté la Ligue du lol il y a plusieurs années (5 ou 6 ans).
D'où partent les accusations?
D'après Le Monde, l'origine de la polémique vient d'un tweet de Thomas Messias, journaliste à Slate, qui déclare lundi 4 février:
"Il est beau le journaliste modèle qui joue les exemples après s’être bien amusé au sein de meutes de harceleurs de féministes. Il est beau."
Alexandre Hervaud, membre de la Ligue du lol et aujourd'hui journaliste à Libération, lui répond: "Pas sûr de qui vise ce courageux subtweet, (...) ils ne digèrent pas qu'une personne en particulier puisse vraiment changer - forcément trop suspect, trop tard", écrit-il. Ce deuxième tweet provoque la réaction d'une troisième personne, Aïcha Kottmann, journaliste spécialisée dans les séries, qui cite alors le nom du groupe de la Ligue du lol:
"Changer c'est bien. S'excuser auprès des personnes que vous avez harcelées, ce serait mieux" écrit elle dans un thread, où elle déclare : "mon fil s'adresse à tous les membres de la Ligue du lol de l'époque, qui s'en prenaient aux féministes, aux neuroatypiques, etc. Vous avez peut-être oublié, mais les personnes à qui vous avez fait du mal ont une meilleure mémoire".
La publication de témoignages commence alors, avant que Libération n'en fasse un article vendredi soir, via sa plateforme Checknews. Tout le weekend, différents témoignages continuent d'affluer.
De quoi sont-ils accusés?
"Des années de harcèlement, une usurpation d’identité, des attaques basses et gratuites...", explique Lucile Bellan, journaliste à Slate, sur Twitter. Comme d'autres, elle raconte avoir été victime de ce groupe, qui semble s'être attaqué en bande à certains Twittos, en particulier des jeunes journalistes femmes et blogueuses, au tout début de ce réseau social. Pour Mélanie Wanga, journaliste et créatrice de la newsletter 'Quoi de meuf', ces personnes "s'adonnaient au harcèlement comme à un sport, avec pour cibles des féministes, des personnes LGBTQ et racisées". Elle-même harcelée alors qu'elle était jeune journaliste, elle déclare avoir quitté Twitter à cause de la Ligue du lol.
Christophe Ramel, aujourd'hui Social Media Manager, parle d'un "travail de sape".
"Au début c'était juste des piques, puis petit à petit ce sont devenus des mentions étouffantes", raconte-t-il.
Des victimes expliquent à quel point ce harcèlement en ligne les a touchées à l'époque, et les touche encore aujourd'hui.
"A force de lire des saletés sur moi partout sur les réseaux, j’ai été convaincue que je ne valais rien", raconte Capucine Piot, ancienne journaliste web qui travaille aujourd'hui dans la mode.
Les "canulars" vont, eux, parfois très loin. L'un des membres de la "Ligue du lol", avec qui Capucine Piot relate avoir eu une relation, lui fait croire qu'il a le Sida et qu'il lui a peut-être transmis. Florence Porcel, youtubeuse, raconte que le harcèlement a été jusque dans la vraie vie. Quatre ou cinq personnes "sont venues m'entourer physiquement sur mon lieu de travail", rappelle-t-elle.
L'écrivain Matthias Jambon-Puillet raconte dans un article posté sur Medium le "bouquet final" du harcèlement qu'il a subi:
"Quelqu'un a commencé à diffuser un photomontage de moi en train de sucer un pénis (forcément, l’homophobie) (encore une fois réalisé à partir de photo personnelle) sur un réseau de questions anonymes types Ask / Formspring / Curiouscat. Le montage était envoyé en masse à des mineurs, jusqu’à 12–14 ans, avec la mention 'Salut je suis @lereilly, j’adore sucer ça t’intéresse?'. Chaque fois que quelqu’un répondait à ladite question, et pour peu que son compte soit lié à son Twitter, la réponse + photo apparaissait avec la mention à mon compte, finissant donc dans mes notifications."
Que disent les excuses des membres de la Ligue?
Au fur et à mesure que les membres de la Ligue du lol ont été nommés, et que les témoignages se sont accumulés, les mea-culpa ont commencé à fleurir sur Twitter.
"Je ne sais pas si cela est audible, mais je présente mes plus sincères excuses aux personnes harcelées par la Ligue du lol", écrit Vincent Glad. "Ce qui s'est passé n'est pas tolérable. D'aucune manière. Je m'en suis rendu responsable".
Des membres de la Ligue du lol cités par les victimes expliquent ne pas avoir participé aux lynchages collectifs, et découvrir jusqu'où certains sont allés via les témoignages récemment publiés. Journaliste à Télérama, Olivier Tesquet explique faire partie des "témoins passifs" du groupe. Il a présenté ses "excuses sincères" aux victimes, déclarant: "Qu'on le veuille ou non, c'était un lieu [la page Facebok de la Ligue du lol] de pouvoir et une structure de domination".
Sylvain Paley, podcasteur et blogueur, reconnaît que "certains membres toxiques ont commencé de leur côté à nourrir des obsessions malsaines et très ciblées (...) Dans les témoignages que j’ai pu lire ces derniers jours, j’ai découvert des choses abominables dont je n’avais aucune idée", assure-t-il dans ses excuses.
D'autres, comme David Doucet avec Florence Porcel, reconnaissent s'être attaqués à certaines personnes. Henry Michel, du label indépendant Riviera Ferraille, assure chercher "à joindre les personnes pour qui je me suis senti responsable (...) Daria, Lucille, Capucine, Thomas, Mélanie, j’ai honte d’avoir finalement contribué à créer un univers de moquerie autour de vous".
Renaud Aledo, publicitaire, s'est notamment excusé auprès de Matthias Jambon-Puillet:
"Les conséquences sont indélébiles, honteuses et inexcusables. Ce que j'ai fait subir à certaines personnes durant ces années est indélébile, honteux et inexcusable", écrit-il.
Il se dit même prêt à accepter une sentence judiciaire:
"J'ai eu 10 ans pour m'excuser, je ne l'ai pas fait, je suis prêt aujourd'hui, par conséquent, à accepter la force de la loi".
Certaines des victimes, comme Florence Porcel, réclament la démission des rédactions ou entreprises des personnes qui seraient identifiées comme des harceleurs:
"Quand je dis 'c'est un bon début', ça veut dire que ces excuses étaient nécessaires (et appréciées à leur juste valeur) mais pas suffisantes. Oui, je souhaite toujours ardemment une démission", déclare la youtubeuse.