Protéines végétales, insectes, steak in vitro: quelle viande mangerons-nous demain?

Adieu bavette, poulet rôti et côte de bœuf? Dans quelques années, voire quelques décennies, la viande telle qu'on la connaît aujourd'hui pourrait-elle être coiffée par d'autres sources de protéines? BFMTV.com fait le point.
- Quel avenir pour la viande classique?
Si, en 2018, les Français ont moins acheté de viande - une tendance à la baisse pour la quatrième année consécutive, selon le panel Kantar pour France agrimer - au niveau mondial, la consommation de viande ne cesse d'augmenter.
Quelque 327 millions de tonnes de viande ont été produites en 2018, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Dans les prochaines années, la consommation mondiale de viande devrait même atteindre 35,3 kg par habitant et par an. Et en 2050, cette production devrait encore augmenter pour un total de 470 millions de tonnes.
Pour Dominique Langlois, le président d'Interbev - l'Association nationale Interprofessionnelle du bétail et des viandes - le panel Kantar ne présente pas une vision globale du marché. Car entre la restauration collective et privée, les plats préparés ainsi que la livraison à domicile, les Français restent attachés à la viande. "Si l'on prend en compte les abattages plus les importations, même en retirant les exportations, le chiffre reste positif", précise-t-il à BFMTV.com.
"Nous avons des filières d'excellence en France et nous prenons en compte les attentes sociétales sur la santé, l'environnement et le bien-être animal en renforçant le cahier des charges de l'éleveur au transformateur, comme en réduisant l'usage des antibiotiques. D'où notre volonté de monter en gamme et de passer de 3 à 40% de la viande de bœuf en Label rouge."
Mais pour les autorités françaises, il est urgent de trouver d'autres formes de protéines. Un rapport commandé par le ministère de l'Agriculture a conclu en 2018 que l'Union européenne avait besoin "d'accroître la production de protéines" pour "diminuer sa dépendance aux importations de pays tiers", évoquant comme pistes les plus prometteuses insectes et protéines végétales.
- Des insectes au lieu du bifteak?
Dans un contexte de ressources alimentaires limitées, alors que la planète comptera quelque 9 milliards d'humains à l'horizon 2050 et que l'élevage est accusé d'émettre 20% des gaz à effet de serre, les initiatives pour trouver et développer de nouvelles sources de protéines sont vivement encouragées. A l'exemple de la FAO qui fait la promotion des insectes comme ressource alimentaire plus verte.
"Les insectes comestibles contiennent des protéines de haute qualité, des vitamines et des acides aminés (…) les grillons ont besoin de six fois moins de nourriture que les bovins, quatre fois moins que les moutons et deux fois moins que les porcs et les poulets pour produire la même quantité de protéines", met en avant la FAO.
Mais à l'heure actuelle, la consommation d'insectes - entiers ou transformés - est toujours officiellement interdite en France comme dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Si certains pays, notamment en Asie, ont depuis longtemps intégré les grillons, vers et autres ténébrions à leur régime alimentaire, c'est encore loin d'être le cas en Occident.
Seules sept espèces d'insectes sont autorisées depuis 2017 dans le cadre de l'alimentation de certains animaux - poissons d'élevage, animaux de compagnie ou élevés pour leur fourrure - mais pas encore pour les animaux consommés par les humains, comme la volaille ou les porcs.
- De plus en plus de protéines végétales
Pour Grégory Dubourg, directeur de Nutrikéo, une agence de conseil en stratégies nutrition et santé, la production mondiale de viande va ralentir dans les prochaines années pour céder de la place aux alternatives végétales. "Elles représentent aujourd'hui 1% du marché de la viande, sont en pleine explosion et devraient représenter 10% du marché de la viande d'ici à 10 ans", analyse-t-il pour BFMTV.com.
"Il est certain que les alternatives à la viande vont continuer à envahir le marché, poussées par la montée du flexitarisme et les alertes de plus en plus insistantes et unanimes des scientifiques, écologiques et institutionnels sur l'urgence de réduire notre consommation de produits animaux, levier majeur de lutte contre le réchauffement climatique."
En 2014, la France lançait un plan protéines végétales pour "améliorer la performance environnementale et économique de l'agriculture". Il pointait notamment le "déficit protéique européen". Céline Laisney, directrice du cabinet Alimavenir, atteste de cette tendance au rééquilibrage du rapport entre protéines animales et végétales.
"Il ne faut pas regarder le nombre de kilos de lentilles achetés par les Français mais l'augmentation de la présence de matières protéiques végétales dans différents produits du quotidien", analyse-t-elle pour BFMTV.com.
Avec une volonté très claire de diversifier les sources de protéines végétales: lupin, féverole ou encore pois mais aussi les algues, comme la spiruline ou les chlorelles.
"Il y a un certain nombre de micro-algues cultivées en bassin qui peuvent contenir jusqu'à 70% de protéines. Elles présentent de réels intérêts nutritionnels. Mais il y a des freins à leur démocratisation, notamment leur coût de production qui reste élevé."
Si ces nouvelles protéines contribuent à la diversification, certaines d'entre elles - au-delà de la question de leur digestibilité et de leur assimilation - semblent davantage de l'ordre de l'anecdote alors que l'être humain a besoin d'un gramme de protéine par kilo de poids. "Si vous pesez 60kg, vous avez donc besoin de 60g de protéines par jour, ajoute Céline Laisney. Or, on le voit avec la spiruline, si on en retrouve 2 à 3g dans un produit, cela est loin de combler les besoins quotidiens."
- Et le steak végétal?
Il a l'apparence, la texture, le jus, la couleur et même le goût d'un steak traditionnel mais sans un seul gramme de viande animale. C'est le steak végétal, une galette qui se compose de céréales, légumineuses ou légumes. Et il a le vent en poupe: Buffalo grill, le spécialiste de la grillade carnée, l'a ajouté à la carte de ses 360 restaurants en fin d'année dernière.
Mais il n'est pas encore question de remplacer le steak haché par le steak végétal. Pour Céline Laisney, du cabinet Alimavenir, cela reste une offre "complémentaire à la viande". "Il s'adresse aux flexitariens qui veulent réduire leur consommation de viande sans toutefois s'en passer."
Pour Grégory Dubourg, de Nutrikéo, ces steaks représentent "une formidable alternative à la viande". Mais pointe "encore du chemin à faire sur ces substituts qui regorgent d'additifs et de matières grasses pour réussir à ressembler à la viande sur le plan visuel, gustatif et textural".
Si, sur le plan gustatif, l'imitation semble convaincante, sur le plan nutritionnel, le pari semble moins gagnant - bien que la recette ait été "allégée" en additifs dans une nouvelle version. En réalité, de matières végétales, il n'y en a que très peu (protéine de pois, protéine de riz, fécule de pomme de terre, extrait de pomme de terre, extrait de grenade, jus de citron concentré, poudre de carotte) pour un total de 17g de protéines et 20g de lipides. On y trouve par ailleurs des additifs: arômes, stabilisant (méthylcellulose), maltodextrine, émulsifiant (lécithine de tournesol).
Reste que pour Anthony Berthou, nutritionniste spécialisé en micronutrition, ce produit "n'a pas grand chose de naturel", déplore-t-il pour BFMTV.com. "On s'éloigne d'un produit végétal pour un produit ultra-transformé."
- Quid de la viande in vitro?
Les cultivateurs de viande remplaceront-ils les éleveurs? Également appelée "viande propre", la viande produite in vitro apparaît pour certains comme une voie d'avenir. Pas d'élevage avec son lot de gaz à effet de serre, pas de transport ni d'abattage, cette viande créée quasi ex-nihilo serait plus éthique et plus écologique.
En 2013, un premier steak in vitro créé à partir de cellules souches de bœuf a été présenté à Londres. Depuis, de nombreuses start-up à travers le monde se sont lancées dans la fabrication de viande artificielle. Céline Laisney, du cabinet Alimavenir, en a dénombré 45. "Vingt ont déjà levé des fonds, pour un total de 300 millions de dollars", précise-t-elle à BFMTV.com.
Certains y croient. Le cabinet de conseil A.T. Kearney évalue à 35% la part de la viande cultivée dans la consommation totale de viande en 2040, le think tank RethinkX affirme que l'agriculture cellulaire remplacera 70% du marché de la viande d'ici la prochaine décennie.
Si le tout premier steak in vitro a coûté 250.000 euros, une de ces start-up ambitionne de produire des steaks au coût unitaire de 10 euros avec une première mise en vente prévue pour 2021. Des perspectives largement surestimées et des effets d'annonce, estime Céline Laisney.
"Les prix annoncés restent peu accessibles au grand public. Et je ne suis pas certaine qu'ils soient un jour compétitifs par rapport à la viande classique."
Elle table plutôt sur un prix "similaire à celui de la viande" pour un produit hybride - combinant des protéines végétales - d'ici une vingtaine d'années. Sans compter que d'un point de vue légal, aucun pays ne l'a encore autorisée.
"Dans l'immédiat, la viande classique n'est pas encore menacée par cette alternative, poursuit Céline Laisney. Mais il est certain qu'elle challenge l'élevage pour mieux répondre aux attentes des consommateurs, notamment sur les questions environnementales et de bien-être animal."
En 2011, une étude de l'université d'Oxford calculait que la production de viande artificielle produirait 96% de moins de gaz à effet de serre, nécessiterait 45% d'énergie en moins et économiserait 96% d’eau par rapport à la viande traditionnelle. Mais depuis, d'autres études ont remis en question l'avantage écologique de la viande artificielle.
- La viande artificielle pas si propre
L'une d'entre elles a étudié l'hypothèse selon laquelle la viande traditionnelle serait remplacée par la viande artificielle: à long terme, ses avantages disparaissent et le rapport s'inverse - car si les vaches émettent du méthane, la viande artificielle est source de dioxyde de carbone (dû aux infrastructures et à la consommation d'énergie) à la durée de vie plus longue. Même l'élevage le plus polluant serait ainsi plus vertueux que la culture de steak.
"Le respect de l'environnement ne se réduit pas à la production de gaz à effet de serre, pointe par ailleurs pour BFMTV.com Jean-François Hocquette directeur de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). C'est aussi le maintien de la biodiversité, entretenue notamment par les pâturages, la consommation d'eau, etc."
Et selon lui, l'argument d'économies d'eau mis en avant par les start-up serait faux. "Il ne faut pas 15.000 litres d'eau pour produire 1kg de viande bovine, dénonce Jean-François Hocquette. Ces calculs sont théoriques et prennent en compte l'eau de pluie." Selon lui, ce chiffre serait plutôt de l'ordre de 50 à 700 litres d'eau. "C'est du même ordre de grandeur que pour produire du blé."
Au-delà des considérations écologiques, l'appellation "viande propre" semble abusive. Lors de sa culture, elle est notamment arrosée de sérum nutritif dont les composants peuvent poser question: hormones, facteurs de croissance, antibiotiques, fongicides, voire sérum de veau fœtal (bien qu'il existe une version synthétique de ce sérum).
"Cela pose question sur les eaux usés, quelles molécules seront rejetées? s'interroge Jean-François Hocquette, de l'Inrae. Par ailleurs, en Europe, l'utilisation des hormones est interdite dans l'élevage au nom du principe de précaution. Comment imaginer que le législateur affranchisse les start-up de cette interdiction?"
Une chercheuse australienne a pour sa part conclu que la viande artificielle était déjà obsolète compte tenu des nombreux produits existants substitutifs à la viande. Un point de vue que partage Jean-François Hocquette. "Les investissements sont énormes alors que les résultats sont incertains. En réduisant simplement le gaspillage alimentaire de moitié on pourrait tout à fait subvenir aux besoins en protéines de la population humaine." Et recommande, alors que 70% des protéines consommées par les Français sont d'origines animales, de la réduire pour parvenir à un équilibre moitié animale, moitié végétale.
Grégory Dubourg, de Nutrikéo, n'y croit pas. "Certes les coûts de production faramineux vont se réduire dans les années à venir et la législation évoluer, mais j'ai dû mal à croire que les consommateurs vont être prêts à manger un aliment aussi 'synthétique', qui va totalement à l'encontre des tendances de retour au fait-maison, aux produits bruts, au clean label."
- "Effrayante et angoissante"
Quoi qu'il en soit, pour Jocelyne Porcher, chercheuse à l'Inrae et spécialiste de la relation entre homme et animal d'élevage, ce type d'alimentation "tient plus du mort vivant que d'une alimentation saine et durable", regrette-t-elle pour BFMTV.com. Pour cette sociologue, la viande in vitro semble même "effrayante et angoissante" tant elle modifie notre rapport à l'animal et à la vie.
"C'est le principe de l'alimentation humaine, on prend de la vie. Il n'y a que les plantes, avec la photosynthèse, qui ont le luxe de ne pas se nourrir du vivant. Élever des animaux, c'est un rapport qui s'inscrit dans 10.000 ans d'histoire de la domestication."
Et selon Jocelyne Porcher, également auteure de Cause animale, cause du capital la viande in vitro n'est que la suite d'une pratique, fruit de la révolution industrielle, qui a fait de l'animal une ressource et la nature une source de profit. "On pourrait tout à fait nourrir 9 milliards de personnes avec une agriculture paysanne. Tout ça relève de choix politique et de société."