"On nous parle de 'perversion'": homosexuels, ils ont subi des thérapies de conversion en France

Des hommes encagoulés ont jeté des grenades fumigènes dans la salle où une conférence des communautés homosexuelle, bi et transsexuelle (LGBT) était prévue à Odessa - Sergei Supinsky, AFP/Archives
"Je ne sais pas si c'est plus écoeurant ou anachronique", avait déclaré le ministre de la Santé Olivier Véran en mai dernier, au sujet des thérapies de conversion. Cette pratique, existant en France, peut prendre différentes formes, plus ou moins violentes, mais se base sur un postulat: l'homosexualité ou la transidentité sont des maladies, des défauts, un penchant anormal qu'il faut donc guérir. Des prières de guérison à l'exorcisme, en passant par la prise d'hormones, différentes méthodes sont utilisées comme traitement à ces orientations sexuelles jugées déviantes.
"Ces 'thérapies de conversion' ne reposent sur aucun fondement médical ou thérapeutique", écrivent dans une proposition de loi visant à les interdire, des députés français. "Généralement à destination d’un public jeune, ces pratiques ont des effets dramatiques et durables sur la santé physique et mentale des personnes qui les subissent : dépression, isolement, suicide".
"Ceux qui les pratiquent, en tout cas en France, n’utilisent pas du tout le terme, 'thérapie de conversion', contrairement aux États-Unis où c’est très revendiqué, où il y a une forme même de militantisme et d’idéologie revendiqués", explique auprès de BFMTV.com Benoit Berthe, porte-parole du collectif Rien à Guérir. Certains par exemple "parlent de 'thérapie de guérison', puisqu’il y a l’idée de changer, d’enlever une forme de perversion, donc le côté guérir est très utilisé".
"C'est clairement quelque chose de tordu qu’il faut redresser"
Lui-même a vécu une thérapie de conversion de ses 15 à ses 18 ans. Quand il explique à ses parents catholiques qu'il est homosexuel, des proches leur conseillent "de prendre des retraites qui s’appellent 'des retraites de guérison de blessure profonde', à la communauté des béatitudes", raconte-t-il, un groupe religieux qui a été accusé ces dernières années d'actes de pédophilie, et de dérives sectaires. Benoit Berthe à des sortes de rencontres, où il se retrouve avec des personnes qui ont, par exemple, vécu des abus sexuels dans leur enfance.
Lors de ces rendez-vous, l'homosexualité est associée à une "culture de la honte, on nous parle de 'perversion', c'est clairement quelque chose de tordu qu’il faut redresser - et en plus de cela on vient avec le côté foi et spiritualité, broyer la personne mentalement", en lui expliquant qui faut qu'elle change.
Dans le documentaire "Homothérapies, conversion forcée", diffusé sur ARTE, des séances de thérapies d'une association évangélique, filmées en caméras cachées, montrent un aperçu de ce que peuvent être ces sessions. "Au secours Jésus seigneur, prends pitié de moi", lance un jeune homme homosexuel devant l'assemblée réunie, exprimant la "honte" de lui-même, et appelant les personnes présentes à "s'affirmer et devenir des hommes".
Cyrille de Compiègne, porte-parole de David & Jonathan, association LGBTI chrétienne, a subi le même discours. Fruit d'une éducation conservatrice catholique, adolescent, il participe à des forums où des jeunes, religieux comme lui, se rencontrent et peuvent échanger sur diverses questions. Il se dirige alors à un atelier sur l'homosexualité, où il est dit qu'il s'agit d'un manque de maturité sexuelle, une construction affective en cours en somme, "une étape dont il faut se méfier", se souvient-il.
Ce discours résonne en Cyrille de Compiègne, qui cherche alors des réponses à ses questions. "On m'a dit de réguler mes émotions, mes sentiments et même de faire du sport ou de la musique" pour les refouler. "L'idée c'est de ne pas du tout normaliser l'homosexualité, surtout pas. C'est présenté comme une blessure, une forme de faille." On lui conseille de travailler sur lui, voire de pratiquer une abstinence stricte pour supprimer toute attirance vers des personnes du même sexe.
Lui fera deux ans de thérapie, "la démarche venait de moi, j'étais persuadé que j'avais un problème psychologique, des troubles émotionnels. J'étais au fond du trou". Le premier thérapeute qu'il voit, en lien avec son milieu catholique, ne l'aidera pas du tout à admettre qu'il s'agit d'une attirance sexuelle. Au second, il n'évoquera jamais ce point, parlant plutôt de problème hormonaux, dont il est persuadé souffrir.
"Délivrer du démon"
Différentes explications à l'homosexualité peuvent être avancées par les instigateurs de ces pratiques: des problèmes hormonaux, des blessures émotionnelles, des envies de passage à réfréner, des traumatismes liés à l'enfance et même des explications religieuses ou de l'ordre du mysticisme. Dans certains cas chez les hommes, il est par exemple question que le corps soit "possédé par un esprit féminin", explique Ludovic Mohamed Zahed, imam, docteur en sciences humaines et sociales et fondateur de l'association HM2F, pour les Homosexuels musulmans.
Dans son rapport 2020 sur les LGBTIphobies, l'organisation SOS homophobie évoque aussi l'histoire d'un homme, qui raconte qu'on a voulu le "délivrer du démon".
Si les thérapies de conversion sont particulièrement associées à la religion catholique, notamment avec l'exemple américain, Benoit Berthe souligne qu'elles se retrouvent aussi bien dans l'Islam que la religion juive. Elles "sont communes à toutes les communautés, religieuses ou non. Les discours sont les mêmes, les mécanismes sous-jacents sont toujours les mêmes", déclare à BFMTV.com Ludovic Mohamed Zahed.
Ce qui ressort des différents témoignages existant sur les victimes des thérapies de conversion, c'est l'utilisation d'un mal-être déjà existant chez de jeunes personnes en construction, se questionnant sur leur identité sexuelle. Au lieu de les aider à mieux se comprendre et à s'accepter telles qu'elles sont, le discours tend à retourner cette souffrance contre eux: "Ils utilisent ce mal-être en disant: ‘tu vois tu te sens mal, il faut corriger cela’. C’est très pervers", déclare Benoit Berthe.
Les organisateurs de ces pratiques viennent "mélanger une forme prémâchée de psychologie, avec de la spiritualité", explique Benoit Berthe. "C’est très dangereux parce que l’on vient rendre scientifique un sujet qui est juste l’identité, pathologiser la chose, et on vient donner en solution des méthodes spirituelles pour essayer de 'chasser le démon'", qui vont de la prière, jusqu'à l'exorcisme.
De "l'acharnement psychologique" à l'exorcisme
Soupçonné d'héberger un être diabolique dans son corps, Kailey Rise a subi différents exorcismes, pendant plusieurs années. Ces pratiques ont commencé lorsqu'il avait moins de dix ans, comme il l'avait raconté à Konbini.
"J'ai été voir un monsieur qui venait du Honduras, apparemment il était connu pour 'déshomosexualiser' les personnes. Je rentre dans la pièce, et là il me dit: 'toi t'as le démon de l'homosexualité, avance'. Il y avait au moins une centaine de personnes. Là je m'avance et il me met nu. Il prend des poignées de sel et il prie pour moi, il parlait au démon. Il ne m'a jamais considéré comme un petit gamin, pour lui c'était le démon. Il disait 'lâche le, lâche le, quitte son corps'", raconte-t-il. "Ça a duré 5 ans au total, et je dirais que j'ai vu une bonne vingtaine de personnes différentes".
"Il y a aussi des méthodes qu’on appelle des thérapies de conversion médicale où on vient utiliser des formes de techniques médicales à quelque chose qui ne se guérit pas", explique Benoit Berthe. "Il va y avoir des cabinets de psychologues en France qui vont prendre en charge ce 'problème', il y a des cliniques qui pratiquent ce qu’on appelle des 'thérapies d’inversion' ou des méthodes type électrochoc, ou sinon des choses du type de la prise d’hormones".
"Il y a des séminaires où cela commence par des jours de jeûne. On est pris en charge par 3-4 personnes qui vont commencer à faire une prière de délivrance. Psychologiquement parlant c'était tellement fort dans mes tripes, j'ai été jusqu'à la crise de vomissements", racontait en 2019 sur BFMTV une victime des thérapies de conversion. "C'est vraiment de l'acharnement psychologique, je dirais même que c'est un viol psychologique".
"Des homosexuels se sont vus emmenés dans ces camps parce que selon les personnes qui les ont conseillées, ils avaient un manque de testostérone et de masculinité, et en devenant un vrai gaillard, cela va changer l’identité sexuelle de la personne, ce qui est évidemment une énorme connerie", raconte encore Benoit Berthe. "On se sent mal parce qu’on ne s’assume pas et qu’il y a une vision de l’homosexualité complètement salie et stéréotypée qui est projetée sur les personnes".
"Ça me suit au quotidien, il y a des traces"
C'est au contact de personnes extérieures à leur communauté que certains peuvent prendre conscience de l'écart entre ce qui leur est décrit de l'homosexualité, et la réalité. "C'est grâce à des personnes que j'ai rencontrées par la suite", explique Cyrille de Compiègne. Benoit Berthe parle d'une "forme d'instinct de survie". Voyant que clairement, ces thérapies ne fonctionnent pas sur lui, et qu'il se sent de plus en plus mal, il arrête d'en faire.
"Je me suis dit ‘ça se trouve ils ne racontent que de la merde’, et il faut que je vois par moi-même, il faut que je rencontre des personnes, que je me renseigne, que je lise… Cela m’a permis de comprendre qu’on m’avait raconté plein de conneries, qu’ils étaient très loin du compte", raconte-t-il.
Mais ces années de discours homophobe culpabilisant, de honte, laissent des traces. Benoit Berthe évoque des dépressions et des idées suicidaires, "je sais que ça me suit au quotidien et qu’il y a des traces (...) Et puis je pense qu’on ne guérit jamais vraiment de ce que l’on a vécu. Quand on vit des trucs traumatisants dans son enfance, on a des cicatrices, et ça ne partira pas". Ludovic Mohamed Zahed, raconte ainsi avoir reçu récemment deux femmes voulant se pacser. L'une, musulmane, était venue prendre conseil, et lui a demandé si elle était, ou non possédée par un démon.
"Quand j'ai compris ce que l'on m'avait fait subir, j'ai eu un véritable choc moral, c'est une violence énorme", déclare Cyrille de Compiègne qui explique avoir ensuite eu "l'impression de ne plus pouvoir faire confiance à personne".
"Ils sont persuadés de vous aider, ne voient pas à quel point c'est délétère"
Sans excuser, il arrive à comprendre toutefois ceux qui croient aux thérapies de conversion, "ils ne se rendent pas compte du mal qu'il font, ils sont persuadés de vous aider, ne voient pas à quel point c'est délétère". Le problème se situe pour lui au niveau de l'éducation. L'homosexualité n'a par exemple été mentionnée que très peu de fois dans son adolescence, "il y avait une forte mise à distance de ce sujet".
Benoit Berthe se définit comme "un rescapé. Et j’ai beaucoup de chance puisque non seulement j’ai sauvé la peau de mes fesses, mais j’ai aussi réussi à faire tout un travail pédagogique avec mes parents qui aujourd’hui ont compris qu’ils ont fait une énorme erreur, qu’ils avaient été eux-mêmes mal éduqués, mal renseignés sur ce sujet". Il dit avoir "compris que c’était de la maladresse, et qu’ils ont essayé par bienveillance de faire quelque chose pour me sauver, qu’ils se sont trompés parce que eux-mêmes avaient été trompés par ces thérapies et tout ce qu’on leur avait raconté".
Eux appellent à la mise en place de la loi contre les thérapies de conversion. Son vote à l'Assemblée nationale a été repoussé à la fin du quinquennat, et pourrait ne pas avoir lieu, en raison de l'embouteillage parlementaire actuel. "Est ce que c’est dans les valeurs de la France de laisser ouverts des centres qui torturent les personnes?" lance Benoit Berthe. Son collectif a repéré rien qu'à Paris une vingtaine d'organisations proposant des thérapies de conversion.
"Il y a des gens à sauver, des gens qui y vont contre leur volonté, comme moi, et il y a des gens qui y vont ‘d’eux-mêmes’ car ils ont été conditionnés et on leur promet quelque chose qui ne fonctionne pas".
La réponse apportée actuellement est qu'un arsenal législatif existe déjà pour les abus de faiblesse, la violence ou l'homophobie, mais "moi c’était de la violence psychologique, c’était très induit, très subtil", et donc difficile à prouver, explique Benoit Berthe. À sa connaissance, aucun organisateur de thérapie de conversion n’a été sanctionné jusque-là.
