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Société

"On marche sur la tête": la suspension du chantier de l'A69 indigne de nombreux élus locaux

Vue aérienne d'une portion du chantier de l'A69, le 27 février 2025 près de Verfeil, en Haute-Garonne

Vue aérienne d'une portion du chantier de l'A69, le 27 février 2025 près de Verfeil, en Haute-Garonne - Ed JONES © 2019 AFP

Beaucoup d'élus locaux soutiennent le projet d'autoroute Toulouse-Castres qui vise à désenclaver le sud du Tarn et dénoncent sa suspension décidée par le tribunal administratif de Toulouse. Une minorité salue une "victoire historique".

"Incompréhensible", "affligeant" mais aussi "historique" ou "victoire"... Les réactions se sont multipliées chez les élus occitans après la décision du tribunal administratif de Toulouse (Haute-Garonne) de mettre un coup d'arrêt ce jeudi 27 février au colossal chantier de l'A69. Si certains se réjouissent de cette suspension, la plupart font grise mine.

Certains s'offusquent que l'annulation "totale" de l'arrêté préfectoral ayant permis le début du chantier en 2023 survienne à un moment où "300 millions de travaux ont déjà été engagés". Le projet, d'un coût total d'environ 450 millions d'euros, devait être inauguré fin 2025. L'État a annoncé qu'il allait faire appel.

"Comment accepter que les juges n'aient pas pris en compte la situation du chantier avec près de 300 millions d'euros de travaux déjà engagés, 45% des terrassements réalisés, 70% des ouvrages d'art construits et plus de 1.000 salariés du concessionnaire qui se retrouveront demain sans emploi", a fustigé le député du Tarn Jean Terlier dans un communiqué publié sur X.

"Arrêter le chantier aujourd'hui serait une folie écologique et sociale, et coûterait près d'un milliard d'euros aux contribuables", a-t-il ajouté. "Cette autoroute est vitale pour notre territoire et son désenclavement".

Pour le président du conseil départemental du Tarn, Christophe Ramond, "on marche sur la tête" car cette autoroute est "la seule solution proposée par l'État" et elle ne "peut pas se transformer en impasse".

"Cela fait 40 ans que le sud du Tarn réclame son désenclavement pour être relié à la métropole toulousaine (...) L’A69 est soutenue par tout un bassin de vie, défendue par une immense majorité d’élus locaux et toujours à l’unanimité du Conseil départemental", écrit-il sur X se disant "atterré".

Il déplore que "des millions d'euros soient jetés dans les caniveaux" et que "mille emplois soient sacrifiés".

"Conséquences dramatiques"

Plusieurs élus ont en effet regretté l'épée de Damoclès qui pèse au-dessus des employés qui travaillent sur ce chantier, dont la présidente socialiste de la région Occitanie, Carole Delga.

"Je pense aujourd’hui au millier de salariés qui travaillent sur ce chantier et dont l’emploi est menacé", réagi l'ancienne députée dans un simple communiqué, relayé par Actu.fr, soulignant "prendre acte" de la décision.

Cette défenseuse du projet -malgré les critiques environnementales- déclare qu'elle continuera "d’être aux côtés des habitants et des entreprises du sud du Tarn qui ont besoin de cette liaison rapide".

Le maire de Castres, Pascal Bugis, dénonce dans les colonnes de La Dépêche les "conséquences dramatiques" de cette décision. "Les désordres qui ont été apportés au microcosme, à l’habitat de ces espèces végétales et animales, sont déjà opérés et les désordres économiques et sociaux sont à venir", soutient-il.

"Il faut qu'on trouve un équilibre acceptable entre les considérations légitimes de survie d'un territoire et de ses habitants et les considérations légitimes d'une sauvegarde de l'environnement, mais on ne peut pas être dans le tout ou rien, ni d'un côté, ni de l'autre", abonde l'édile.

La notion "d'intérêt public majeur" pointée du doigt

Pascal Bugis fustige l'ambiguïté de la notion "d'intérêt public majeur" brandie par la justice. "Je pense que si cette mention avait été mieux définie par la loi, nous ne serions pas là où nous en sommes aujourd'hui", lance-t-il.

Un avis partagé par le sénateur du Tarn, Philippe Folliot, qui se dit "consterné" et "choqué" par la décision. Il souhaite déposer "sous peu" une "proposition de loi visant à encadrer la notion d'intérêt public majeur" afin "d'apporter une sécurisation juridique optimale à tous les projets décidés par les élus".

Philippe Folliot estime "dangereux" et "inquiétant" que les juges "décident in fine à la place des élus détenant leur légitimité du suffrage universel". C'est la première fois en France qu'une infrastructure routière d'une telle importance est interrompue par un jugement, et non par une décision politique.

L'ancien député du Tarn et maire de Lavaur qui longe le tracé, Bernard Carayon, rejette la faute sur l'État et les parlementaires qui "n'ont pas fait leur travail" en n'éclaircissant pas la notion d'intérêt public majeur. Une notion qui "vulnérabilise tous les projets routiers ou ferroviaires", selon lui.

Tous les élus précédemment cités disent soutenir l'État dans sa volonté de faire appel et demandent une activation de tous les moyens juridiques pour une reprise des travaux.

"Une victoire historique"

À l'opposé, les détracteurs de l'A69 se félicitent d'une "victoire historique et collective" contre un "projet écocidaire, inutile, imposé et antisocial". La députée LFI de la deuxième circonscription du Tarn, Karen Erod salue dans un communiqué "la mobilisation populaire, les collectifs, les associations, syndicats, scientifiques, élu-es locaux et nationaux qui dénoncent depuis plus de quinze ans" ce projet. Elle estime que cette décision doit être "l'occasion d'une réelle bifurcation écologique".

La députée insoumise de Haute-Garonne, Anne Stambach-Terrenoir, s'est également réjoui d'une "victoire historique".

"C'est la victoire de David contre Goliath", s'exclame auprès de l'AFP Gilles Garric, parmi les 300 à 400 opposants venus fêter en soirée la décision de justice place du Capitole à Toulouse.

"C'est majeur, il y aura vraiment un avant et un après A69", assure ce conseiller municipal de Teulat, un village "coupé en deux" par le chantier.

La députée écologiste et rapporteure de la commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet, Christine Arrighi, se réjouit quant à elle de "l'aboutissement d'années de mobilisation citoyenne" face "à un projet anachronique".

Cette décision "démontre que la justice joue pleinement son rôle en empêchant des choix court-termistes d'hypothéquer notre avenir". L'élue rappelle le "gain de temps dérisoire de 20 minutes" que permettrait cette autoroute face à "l'artificialisation de 400 hectares de terres arables", "une aberration écologique et territoriale".

Les opposants au projet appellent plutôt à une amélioration du réseau ferroviaire et un aménagement "sécurisé" de la route nationale 126. "Cette victoire marque un tournant, mais la mobilisation continue", atteste Christine Arrighi.

Juliette Brossault