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Mayotte: pourquoi l'opération "Wuambushu" qui débute ce lundi suscite la controverse

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Le gouvernement français prévoit de déloger des habitants, de détruire des bidonvilles et d'expulser des ressortissants étrangers vers les Comores. L'opération est dénoncée par des ONG.

Une intervention qui fait débat. L'opération dite "Wuambushu" ("reprise" ou "poil à gratter" en mahorais) débute ce lundi à Mayotte et prévoit d'expulser plusieurs milliers de sans-papiers, en majorité comoriens, vers leur pays d'origine. Le projet est largement critiqué par de nombreuses associations humanitaires.

Censée rester secrète, l'opération a été révélée il y a deux mois par Le Canard Enchaîné. Son but: déloger de nombreux habitants installés dans les logements insalubres et détruire des bidonvilles. Si une partie de la population doit être relogée, selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, d'autres en revanche, lorsqu'ils sont comoriens et qu'ils résident de façon illégale à Mayotte, seront massivement expulsés vers Anjouan, l'île comorienne la plus proche, située à 70 km de Mayotte.

Pour mener l'opération à bien, des policiers du RAID sont actuellement venus en renfort sur l'île. Au moins 1800 membres des forces de l'ordre sont mobilisés au total.

"L'opération peut enflammer l'île d'une minute à l'autre"

Selon l'Insee, près de la moitié (48%) des habitants de Mayotte sont étrangers, mais un tiers sont nés sur l'île. En raison, notamment, des destructions de bidonvilles, les autorités et les habitants redoutent une vague de violences dans la région.

"Nous avons eu toute la semaine dernière beaucoup de jets de projectiles et des barrages dans le quartier", confie à BFMTV le commissaire divisionnaire et chef de la police à Mayotte Laurent Simonin.

"Cette opération 'Wuambushu' peut enflammer l'île d'une minute à l'autre. On vit sur une poudrière", prévient de son côté le directeur de la chaîne de télévision locale Kwezi Patrick Millan à notre antenne.

"On sent la même atmosphère qu'on a connue en 2008 avec peut-être une présence renforcée de la haine sur les réseaux sociaux", estime-t-il.

Une opération "scandaleuse" pour les ONG

L'opération inquiète certains habitants, parfois installés de longue date sur l'île. "C'est pour détruire nos biens, nos maisons et pourtant il y a des gens qui sont là depuis 35 ans", dénonce Fatima Youssouf, habitante de 55 ans, originaire des Comores.

L'opération est de fait critiquée par de nombreuses organisations humanitaires qui dénoncent à la fois la destruction des bidonvilles et l'expulsion de nombreux habitants. L'association Droit au logement (DAL) a appelé dimanche à stopper ce projet, qualifié de "brutal" et "anti-pauvres" dans un communiqué.

"On résorbe l'insalubrité non plus en relogeant les habitants de quartiers informels, mais en les stigmatisant pour mieux justifier leur expulsion", déplore-t-elle, tout en dénonçant une opération "d'une ampleur inédite en France depuis un siècle".

Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l'homme, a également pointé du doigt dimanche sur la chaîne la 1ère une opération "absolument scandaleuse" qui fait un "amalgame" entre ressortissants étrangers et délinquance sur une île touchée par une "très grande précarité".

Les Comores ne veulent pas des ressortissants expulsés

Du côté du gouvernement comorien, l'opération n'est pas non plus vue d'un bon oeil. En effet, les autorités refusent d'accueillir les personnes expulsées.

Le porte-parole du gouvernement comorien Houmed Msaidie a déclaré vendredi à l'AFP que "les Comores n'entendent pas accueillir des expulsés issus de l'opération projetée par le gouvernement français à Mayotte".

"Mon gouvernement a clairement affiché sa position, il n'acceptera pas d'expulsions", a renchéri samedi le ministre de l'Intérieur comorien.

Le président Azali Assoumani a ensuite voulu tempérer la situation, déclarant samedi privilégier le "dialogue" avec le gouvernement français sur ce "contentieux désagréable".

Le gouvernement français n'a pas donné de date précise de fin de l'opération. En 2022, les autorités ont procédé à 25.380 reconduites à la frontière, selon la préfecture de Mayotte.

Juliette Desmonceaux