Les réponses à 5 questions pas si bêtes: d'où vient le doigt d'honneur?

Un doigt d'honneur brandi par la chanteuse Lily Allen lors d'un concert durant le Festival de Cannes en 2014 - Loïc Venance-AFP
Au mois d'avril, un automobiliste vosgien a été poursuivi -puis relaxé- pour avoir fait un doigt d'honneur à un radar. En fin d'année dernière, une Américaine à vélo a été licenciée pour avoir adressé ce même geste au convoi du président Donald Trump. Le doigt d'honneur, l'insulte suprême et obscène s'il en est.
- Majeur et phallus
Pour comprendre la symbolique de ce signe, il faut revenir à l'Antiquité. Mais il semble bien difficile d'en remonter précisément le fil. Dans Les Nuées, comédie grecque écrite en 423 av. J.-C. par le poète Aristophane, un des héros -Strepsiade- mime son phallus avec le majeur tendu. Mais à l'époque, ce geste n'a rien d'une insulte. Au contraire pour Aristophane, le geste est de l'ordre du comique.
"Durant l'Antiquité, il y avait tout un langage des gestes, précise pour BFMTV Eric Teyssier, agrégé d'histoire et maître de conférences à l'université de Nîmes. On peut retrouver les mêmes gestes qu'aujourd'hui mais ils n'ont pas forcément la même signification. À l'époque, tout ce qui était en rapport avec le phallus était valorisé et très positif. Il y avait même un dieu du pénis."
Il s'agit de Priape dans les mythologies grecque et romaine, synonyme de fertilité, de prospérité et de puissance, souvent représenté avec un gigantesque pénis en érection. "On accrochait des phallus au cou des enfants pour les protéger et repousser le mauvais œil. Il y avait des sexes dressés partout dans les villes, poursuit le spécialiste de l'Antiquité, auteur des Secrets de la Rome antique. Mimer un phallus n'avait pas du tout le sens obscène qu'il a aujourd'hui, empreint de la culpabilité et de la morale judéo-chrétienne."
Le philosophe grec cynique Diogène, connu pour son art de l'invective, aurait également tendu son majeur au Ve siècle av. J.-C. afin d'évoquer Démosthène, un orateur, pour faire part de tout le mépris qu'il avait à son encontre, comme le rapporte Diogène Laërce dans Les Vies. ("Des étrangers souhaitant de voir Démosthène, il leur montra son doigt du milieu tendu, en disant: Tel est celui qui gouverne le peuple d'Athènes"). Geste qui avait alors une forte portée symbolique, contrairement à tout autre doigt tendu. Mais un historien spécialiste de la Grèce antique estime pour BFMTV que cela n'avait rien à voir avec un doigt d'honneur, "même si cela lui ressemble bien".
En tendant le doigt, vous dites "voici mon phallus", expliquait Desmond Morris, un anthropologue britannique, à BBC. "Le doigt du milieu représente le pénis, et les doigts recourbés de chaque côté représentent les testicules, poursuit-il. Ce faisant, vous offrez à la personne de votre choix un geste phallique."
- Le digitus impudicus
Chez les Romains, Caligula, empereur et tyran sanguinaire du Ier siècle, se faisait baiser la main par ses subordonnés afin de les humilier. "L'auteur Suétone raconte que lorsque Caligula faisait venir le préfet du prétoire, il lui tendait sa main à baiser en lui donnant une forme et un mouvement obscène", note pour BFMTV Virginie Girod, docteure en histoire.
Parmi les nombreuses humiliations qu'il imposait aux sénateurs: il leur donnait son pied à baiser, les faisait courir à côté de sa voiture, combattre contre des gladiateurs ou encore en a obligé un à se suicider. "Caligula n'était pas fou. Il avait en réalité un ego démesuré avec un côté sadique, il voulait les humilier pour leur faire comprendre qu'ils ne participaient pas au pouvoir", ajoute Virginie Girod, auteure de Les Femmes et le sexe dans la Rome antique.
Le doigt d'honneur pourrait remonter au digitus impudicus, le doigt impudent. Isidore de Séville, un ecclésiastique du VIIe siècle, indique dans son œuvre Étymologies que le troisième doigt s'appelle ainsi "parce que la plupart du temps il exprime la poursuite d'une chose honteuse", rapporte également un ouvrage collectif d'universitaires. "Le digitus impudicus n'est pas un signe utilisé pour insulter mais se prémunir du mauvais œil en suscitant le rire dans une dimension prophylactique", analyse Virginie Girod. Un geste qu'elle compare à la mano-fica.
- Mano-fica et erreur historique
La mano-fica, ou main-figue -un poing fermé avec le pouce entre l'index et le majeur- qui représente le sexe féminin, "n'est pas non plus un geste d'insulte, il a vocation à repousser le mauvais œil", assure la spécialiste de l'Antiquité romaine.
"Ce n'est pas un geste que l'on fait en public ou dans un contexte officiel, cela serait déplacé et ferait perdre toute crédibilité. À Rome, on doit se maîtriser selon des attitudes codées, figées, évoquer le sexe est toujours obscène. Mais c'est un geste que l'on peut faire dans le cadre privé", remarque Virginie Girod.
Eric Teyssier pointe cependant les difficultés de retracer exactement l'historique d'un geste. "On peut faire remonter beaucoup de choses à l'Antiquité, pourtant ce n'est pas toujours le cas", assure-t-il. Il évoque le cas du pouce retourné pour envoyer à la mort les gladiateurs.
"Ce geste n'a jamais existé dans l'Antiquité. Tout le monde en est convaincu et pourtant c'est faux. En réalité, on agitait un mouchoir blanc pour demander la grâce d'un gladiateur. Tout vient d'une erreur de traduction d'un texte antique évoquant une main dirigée vers un gladiateur pour demander sa mort, erreur ensuite mise en scène dans le tableau Pollice Verso au XIXe, puis repris par tous les péplums au cinéma. D'une erreur historique, on a fait une réalité."
- La légende des archers de la guerre de Cent Ans
Contrairement à une idée courante, aucun doigt d'honneur ne s'est jamais retrouvé sur un champ de bataille lors de la guerre de Cent ans. "C'est une légende urbaine, aucune source sérieuse ne l'atteste", assure pour BFMTV Aude Mairey, directrice de recherche à l'université Panthéon-Sorbonne, spécialiste du Moyen Âge.
S'il est avéré que les Français coupaient l'index et le majeur des Anglais faits prisonniers afin de les empêcher de manier leur arc long, ceux qui possédaient encore tous leurs doigts ne les ont jamais agités en l'air, dans une sorte de V de la victoire, pour narguer leurs ennemis avant le combat.
"Un chroniqueur de l'époque a en effet parlé de cette pratique selon laquelle les Français coupaient des doigts aux Anglais, indique Aude Mairey, auteure de La guerre de Cent ans. Sur certaines gravures, on peut voir des Anglais lever la main, mais difficile de dire s'il manque des doigts ou s'il s'agit d'un simple salut. Ce qui n'empêche pas qu'ils devaient copieusement s'insulter et hurler des cris de guerre."
- Le premier doigt d'honneur photographié
Plusieurs siècles plus tard, le doigt d'honneur réapparaît aux États-Unis. En 1886, un joueur de baseball des Boston Beaneaters (équipe devenue aujourd'hui Atlanta Braves) Charles Radbourn, surnommé "Old Hoss", est pris en photo le majeur tendu. Ce qui serait le premier doigt d'honneur photographié.

Aujourd'hui, au Royaume-Uni, faire un V avec l'index et le majeur en montrant le dos de la main (c'est-à-dire l'inverse du V de la victoire) risque de vous attirer des ennuis. Il est considéré comme aussi insultant qu'un doigt d'honneur: ce V mime la lettre U, première lettre de l'expression argotique "up yours", soit "dans le tien", qui se passe d'explication supplémentaire.