BFMTV
Société

La détention d'armes est-elle suffisamment encadrée en France?

Alors que les cas de féminicides et d'agressions à l'arme à feu se multiplient ces dernières semaines, de nombreuses questions se posent autour de la vente et du contrôle des armes.

Des armes de poing et d'épaule. Au terme d'une perquisition opérée ce mercredi chez Arthur C., le deuxième homme interpellé dans le cadre de l'enquête sur la gifle donnée à Emmanuel Macron la veille, dans la Drôme, les enquêteurs se sont emparés de ce "butin", ainsi que d'un exemplaire de Mein Kampf. Une découverte qui pose de nombreuses questions quant à la circulation et au contrôle des armes en France.

Selon les chiffres officiels du ministère de l'Intérieur, 5,4 millions d'armes sont détenues légalement dans le pays pour environ 5 millions d'individus, qui pour la plupart sont des tireurs sportifs ou des chasseurs. Parmi eux, 3 millions sont en possession d'armes de catégorie B ou C dites létales, le plus souvent des fusils et des pistolets, et 2 millions d'armes de catégorie D, non-létales, qui concernent couteaux, poignards ou encore matraques.

A l'heure actuelle, la France est l'un des pays les plus stricts d'Europe en ce qui concerne la possession d'armes à feu. Ceux qui souhaitent en acquérir doivent en effet fournir de nombreuses pièces administratives, mais également ne pas figurer au fichier Finiada, le Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes, qui regroupe des individus condamnés pour des faits, entre autres, de meurtres, viols ou encore grand banditisme. 78.000 personnes y figurent en 2021, soit le double du chiffre de 2019.

Problème de diagnostic?

Pourtant, malgré ces gardes-fou mis en place par les différentes administrations, de nombreux trous dans la raquette substistent, comme l'ont démontré ces dernières semaines. Frédérik Limol, Vincent Marcone ou encore dernièrement Terry Dupin, autant d'exemples d'individus qui sont passés à l'acte avec arme à feu, malgré des signalements auprès de la justice.

"Dans le premier cas, le tireur qui a tué les gendarmes, il aurait dû être depuis longtemps au fichier des interdits d’armes. Il y a eu plusieurs faits graves contre sa femme, des dépôts de main courante à la gendarmerie", estime auprès de BFMTV Yves Gollety, président de la chambre syndicale nationale des armuriers. "Quand on va au travail avec un gilet pare-balles, on ne doit plus pouvoir posséder d’armes", ajoute-t-il à propos de Vincent Marcone, interpellé après une cavale de plusieurs jours dans les Cévennes.

Laurent-Franck Lienard, avocat spécialisé dans le droit des armes, estime de son côté que le problème vient "du diagnostic de la dangerosité d'un individu."

"C’est très compliqué. La réglementation française est la plus draconienne d'Europe, vous ne pouvez pas en avoir si vous n'êtes pas chasseur ou tireur, et à chaque achat il y aura consultation de fichiers, dont le TAJ. Et si vous avez été entendu en qualité d’auteur d’infraction, vous n’aurez pas la possibilité de conserver cette arme. La réglementation est bien faite et les contrôles sont très sévères. Il y a vraiment un contrôle et une activité des préfectures très dense", avance-t-il sur BFMTV.

Pour lui, ces récents exemples ne rendent pas justice aux dizaines de milliers d'individus qui possèdent une arme de manière "paisible", selon ses propres termes.

"On prend trois cas sur 200.000 détenteurs d’armes tireurs sportifs et 5 millions de chasseurs. Trois personnes qui ont décompensé avec des armes, mais globalement, 999 pour 1000 sont parfaitement paisibles. On a tous des armes chez nous, on a tous des voitures et couteaux, on peut se procurer des armes par le marché noir, c’est facile, on peut les voler, tout ça est possible", ajoute-t-il.

Des millions d'armes illégales

Se pose alors la question des armes circulant illégalement sur le territoire français. Selon plusieurs études, leur nombre varie mais pourrait osciller entre 12 et 20 millions. "On est le pays qui a dû recevoir le plus d’armes parachutées dans les années 40 et 50, elles peuvent vivre 100 ans si elles sont bien entretenues", assure Thierry Coste, conseiller politique de la fédération nationale des chasseurs.

"Il y a un chiffre noir qui est assez important, des armes de la Seconde guerre mondiale, des conflits passés, des armes de collectionneurs remilitarisées en douce par des armuriers clandestins. Des armes de tireurs sportifs, qui peuvent acheter des armes pas loin des armes de guerre, la différence c’est le tir en rafale, qui est interdit", détaille de son côté Jérôme Pierrat, journaliste indépendant, spécialiste en crime organisé et grand banditisme, qui prend l'exemple de l'Albanie, pays duquel 2 millions d'AK-47 ont disparu au terme de la guerre de Yougoslavie.

Une situation plus que compliquée pour Laurent-Franck Lienard, qui rappelle que les derniers attentats survenus sur le sol français l'ont été avec des armes importées illégalement. Pour lui, il est d'ailleurs extrêmement délicat de lutter contre ce trafic à l'heure actuelle.

"On n’a pas de moyens légaux, c’est extrêmement difficile car l’accès est possible par le darkweb ou réseaux terroristes et de grand banditisme. Ça demande un maillage, des croisements de fichiers qu’on ne s’autorise pas à faire. Le problème n’est pas la réglementation, mais le diagnostic des gens dangereux", martèle-t-il encore.

Vers une réforme des fichiers

De l'avis de l'ensemble des spécialistes de la question interrogés ce jeudi sur BFMTV, il convient de reprendre en main rapidement les différents fichiers qui existent et de faciliter leur fonctionnement. "C'est en train d'être corrigé par Gérald Darmanin", se réjouit Thierry Coste.

De plus, il est également important de s'appuyer sur le renseignement humain, afin de faire remonter les comportements suspects aux autorités compétentes, comme cela aurait pu être fait dans le cas de Valentin Marcone, qui a passé près de trois ans à se présenter sur son lieu de travail équipé d'un gilet pare-balles.

"Il faut du renseignement humain, il aurait pu permettre une prévention", ajoute-t-il.

Selon Aymard de la Ferté-Sénectère, avocat au barreau de Paris, le problème vient aussi du fonctionnement même du fichier Finiada, qui regroupe trop d'individus, dont certains qui ne devraient pas y figurer, et empêche un suivi assidu des vrais risques.

"Le problème du Finiada est qu'il est en recrudescence, que ce suivi gonfle et pas toujours pour de bonnes raisons. Il y a deux manières d'y figurer, une inscription automatique pour condamnation, pour terrorisme ou grand banditisme, mais le préfet peut aussi inscrire des individus préventivement, et la, je pense à un client de 25 ans qui y figure car il a fumé du cannabis. Le problème est là, il gonfle et on ne vise pas toujours la bonne personne", conclut-il.
https://twitter.com/Hugo_Septier Hugo Septier Journaliste BFMTV