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Société

La canicule donne des arguments aux "fin-du-mondistes"

Après le passage d'un incendie géant en Californie, le 7 août 2018.

Après le passage d'un incendie géant en Californie, le 7 août 2018. - JOSH EDELSON / AFP

Incendies, canicule, disparition de la biodiversité… Les mauvaises nouvelles sur l'état de notre planète s’accumulent, au point que certains se sont spécialisés dans la prévision d'un effondrement de la société: la "collapsologie".

"Si on ne prend pas les bonnes décisions, c’est une société entière qui s’effondre littéralement, qui disparaît. Je trouve que cette question-là est une question assez obsédante". Cette phrase ne sort pas de la bouche d’un auteur de science-fiction ou d’un fervent survivaliste. Elle a été prononcée par Edouard Philippe lui-même lors d’un Facebook Live en compagnie de Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire, en juin dernier. Le Premier ministre a également évoqué plusieurs fois un livre qui l’aurait marqué: Effondrement, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005), de l’Américain Jared Diamond.

L’ouvrage fait partie de toutes les bonnes bibliothèques chez les "collapsologues", du latin "collapsus", qu’on peut traduire par "effondrement". En France, le terme a été popularisé par le chercheur indépendant Pablo Servigne. Ingénieur agronome de formation, il est l’auteur avec Raphaël Stevens de Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (éd. Anthropocène Seuil). Selon lui, la collapsologie est "l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition et sur des travaux scientifiques reconnus".

"Très peu de gens savent aujourd’hui survivre sans supermarché"

La dernière étude de ce genre a été publiée lundi dans la revue Proceedings of the national Academy of Science (PNAS), et décrit un effet domino mêlant réchauffement climatique, fonte des glaces et déforestation, qui pourrait bien transformer notre planète en "étuve" dans les prochaines décennies. Et donc créer un cataclysme tel que le décrit Pablo Sevigne dans son livre.

"Dans nos sociétés, très peu de gens savent aujourd’hui survivre sans supermarché, sans carte de crédit et sans station-service. Lorsqu’une société devient 'hors-sol' (…), la population devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet état. Si cette structure, de plus en plus puissante, mais vulnérable, s’écroule, c’est la survie de l’ensemble de la population qui pourrait ne plus être assurée".

En France, quelques associations ou fondations se penchent sur ce thème, qu’on ne peut pas à proprement parler qualifier de science en tant que telle. Elles organisent des conférences, lancent des études et collectent des données. C’est le cas par exemple du comité Adrastia (du grec ancien adrasteia: "auquel on ne peut échapper"). "Notre référence, c’est le rapport du Club de Rome en 1972, réalisé par des scientifiques américains irréprochables", explique Dominique Py, professeure des universités en informatique et secrétaire générale de l’association. "Ils avaient monté un modèle basé sur des équations mathématiques, qui tournait avec différentes hypothèses. La conclusion, c’est que dans tous les cas, on allait vers un effondrement, sauf si on avait pris des mesures drastiques dès les années 70. Ce qu’on n’a pas fait".

"Un aveuglement qui pourrait se payer cher"

"On n’est pas survivaliste, au sens où on ne cherche pas à se réfugier avec des armes et des munitions au fond des bois", assure Yves Cochet. L'ancien ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement dans le gouvernement de Lionel Jospin est désormais président de la fondation Momentum, lancée il y a huit ans pour se pencher sur le sujet, et se revendique lui-même collapsologue.

"Aujourd’hui, c’est toujours la fuite dans la surconsommation, la politique de l’autruche", déplore celui qui fut aussi député et député européen. "Il y a peut-être plus de gens qui se disent au courant, mais aussi que du moment où leur patron leur fout la paix et que leur famille va bien, on n’en fait pas plus. C’est un aveuglement qui pourrait se payer cher".

D’autant plus que les collapsologues n’ont pas vraiment l’impression que les pouvoirs publics aient pris la mesure de la situation. "Il est possible que certains dirigeants puissent avoir, en tant que livre de chevet, plus ou moins feuilleté un livre comme celui de Diamond", reprend Yves Cochet. "Mais dans les politiques publiques réelles ou les décisions budgétaires annuelles, on n’en voit pas la moindre trace, hélas". "Certains commencent à se préoccuper de ça", nuance Dominique Py. "Il y a une association qui s’appelle SOS Maires, où ils réfléchissent à la manière dont ils vont pouvoir préparer leur commune à de la résilience et de l’adaptation vis-à-vis des bouleversements qui vont se produire".

"Peut-être que la Syrie ne va jamais se relever et est déjà dans l’effondrement"

"Les dirigeants savent très bien ce qu’il se passe. Mais on veut faire des compromis avec la nature, et pas faire de compromis sur notre niveau de vie, alors que c’est la seule chose à faire", assure Alexia Soyeux. Il y un an, cette ancienne responsable marketing dans la gastronomie a lancé Présages, une série de podcasts où elle explore l’univers des "risques d’effondrement de nos sociétés industrielles" à travers des entretiens avec des spécialistes du sujet.

Selon elle, "beaucoup de gens ont envie de faire comme si de rien n’était. La morale écocitoyenne permet de se dédouaner une fois qu’on a bien fait son tri sélectif et qu’on achète bio. Mais les vrais sujets qui font basculer les choses, c’est réduire considérablement ses transports en avion ou ne plus manger de viande. Des choses qu’on n'a justement pas envie de faire".

L’idée est donc aussi de tenter de réveiller les consciences, "parce que le grand public n’est pas assez informé", mais aussi pour "parler de l’effondrement de notre monde au présent, parce qu’on voit bien que c’est maintenant que les choses sont en train de basculer, alors qu’on parle toujours de 2100", reprend Alexia Soyeux.

Mais un "collapsologue" sérieux ne vous donnera jamais de date précise ni de cause principale à un cataclysme. "Ce qu’on peut dire, c’est que la situation va se dégrader, mais de manière inégale, et pas à la même vitesse partout", explique Dominique Py. "Peut-être que la Syrie ne va jamais se relever et est déjà dans l’effondrement. Peut-être que c’est ce qui se passe au Venezuela, qui est dans une situation de crise économique liée au fait qu’il a passé son pic pétrolier. Peut-être qu’en Europe, ce sera tous les ans un peu plus de chômage, un peu plus de misère. Un effondrement, ce n’est pas une date, c’est un processus".

Antoine Maes