Démission de Nicolas Hulot: faut-il avoir peur des lobbies?

Nicolas Hulot à l'écoute d'un agriculteur du Groupement Agricole d'Exploitation en Commun lors d'une visite dans le Loir-et-Cher en octobre 2017. (Photo d'illustration) - GUILLAUME SOUVANT / AFP
Lobby. Le terme est dans toutes les bouches depuis la démission de Nicolas Hulot de son poste de ministre de la Transition écologique, ce mardi. Nombreuses sont les voix qui s'élèvent pour dénoncer leur ascendant sur Emmanuel Macron et le gouvernement Philippe.
Mais qu'entend-ton réellement par lobby? On peut parler de lobby quand une organisation non-politique intervient en coulisse auprès des pouvoirs publics, et exerce d'une manière ou d'une autre une pression sur eux pour satisfaire ses intérêts. L'intérêt public est alors bafoué au profit d'intérêts personnels.
"Qui a le pouvoir? Qui gouverne?"
"Le gouvernement a choisi les lobbies plutôt que l'écologie" s'est indignée mardi Eva Joly sur son compte Twitter, tout comme son comparse écologique Yannick Jadot.
C'est précisément ce que reproche Nicolas Hulot à Emmanuel Macron. Lors de son entretien sur France Inter, l'ex-ministre a dénoncé la "présence des lobbies dans les cercles du pouvoir", illustrée par la présence lors d’une importante réunion organisée lundi à l’Elysée, d'un lobbyiste pro-chasse et pro-armes qui n'était pas invité.
Bien que le président de la Fédération nationale des chasseurs nie être à l'origine de la démission du ministre, c'est bien la présence de Thierry Coste qui l'aurait rendu "furieux" et aurait "achevé sa décision de quitter le gouvernement" a-t-il confié aux éditorialistes politiques de France Inter.
"C’est symptomatique de la présence des lobbies dans les cercles du pouvoir. Il faut à un moment ou à un autre poser ce problème sur la table parce que c’est un problème de démocratie: qui a le pouvoir, qui gouverne ?" a-t-il demandé.
Savoir "faire la part des choses"
ONG, grandes entreprises, associations. Les lobbies travaillent dans des secteurs très divers comme l'environnement, les industries pharmaceutiques, agro-alimentaires ou encore le nucléaire. Actuellement, pas moins de 1613 représentants d'intérêts sont référencés en France auprès du registre de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV). Leur existence, réglementée, est nécessaire au débat public dans le sens où leur parole fait avancer les délibérations.
C'est la position partagée par de nombreuses personnalités politiques, tous bords confondus, à l'instar de Valérie Pécresse ou Ségolène Royal. Elles considèrent les lobbies comme bénéfiques voire essentiels au bon fonctionnement de la société. La socialiste Ségolène Royal s'est d'ailleurs étonnée sur RTL de la décision de Nicolas Hulot, considérant les lobbies comme "légitimes".
"Un lobby, c'est un groupe de pression qui défend ses intérêts privés. La politique, c’est essayer d’identifier les intérêts privés dans une société mais d’en dégager l’intérêt général".
Du côté de la majorité, c'est sans surprise qu'on a estimé que "le dialogue" avec les lobbies n'était pas synonyme de "soumission".
"Est-ce que quand on reçoit (l'ONG) WWF, est-ce que quand on reçoit Greenpeace, est-ce que lorsque l'on reçoit les fédérations professionnelles qui représentent des secteurs, on a en face de nous des gens à qui l'on cède tout ? Non, c'est important de pouvoir dialoguer", a ajouté le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux, interrogé sur la présence de Thierry Coste à la fameuse réunion de l'Elysée.
Un point de vue partagé par le secrétaire d'Etat aux Relations avec le parlement Christophe Castaner sur France 2: "Il ne faut pas négliger le fait que les politiques ne sont pas totalement idiots. Quand vous avez en face de vous le lobbyiste de France 2 qui vient vous parler du budget de France 2, vous savez faire la part des choses".
"Un problème de démocratie"
Ce que redoute cependant l'ancienne ministre de l'environnement Corinne Lepage, ce sont les abus du lobbying. Lorsque ces hommes et femmes d'influence, qui défendent "sans foi ni loi" des intérêts corporatistes, ont des accès privilégiés aux sphères de décisions .
"Ce qui est choquant c'est que l'on trouve des lobbies à des stades de décision où ils ne devraient plus être là" s'insurge-t-elle au micro de RMC. "C'est ça qui ne va pas parce que là, ils faussent la décision finale de l'Etat. Ils interviennent après, quand tout le débat est terminé. Quand les autres ne peuvent plus s'exprimer, ils font entendre leur voix et ils peuvent changer, parfois, la décision qui était envisagée. Ca pose un problème de démocratie et de confiance."
"Imaginez que les magistrats délibèrent avec l’un des avocats des parties prenantes…" explique lui-aussi Guillaume Courty, professeur de sciences politiques à Lille, dans une interview donnée au journal 20 Minutes. "Si des lobbys arrivent avoir une caisse de résonance telle, ma crainte est que les politiques n’aient plus les éléments nécessaires sous leurs yeux à l’heure de trancher."
Parmi les grandes déconvenues de Nicolas Hulot, celle de ne pas avoir fait le poids face à certains lobbies dans certains dossiers brûlants, comme celui de la transition agricole ou plus récemment, du Glyphosate.