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Bernard, Laurence, Sébastien, Johanna... Ces agriculteurs mobilisés pour de meilleures conditions de travail

Bernard, Laurence, Alexandre, Marianne et Clément, des agriculteurs mobilisés dans le mouvement de protestation, en janvier 2024.

Bernard, Laurence, Alexandre, Marianne et Clément, des agriculteurs mobilisés dans le mouvement de protestation, en janvier 2024. - BFMTV

BFMTV.com dresse une mosaïque de portraits d'agriculteurs, d'agricultrices et de leurs enfants alors qu'un important mouvement de mobilisation est en cours depuis plusieurs jours dans le pays.

Depuis près d'une semaine, des milliers d'agriculteurs se mobilisent aux quatre coins de la France pour alerter sur leurs conditions de travail et de rémunération.

Ils dénoncent majoritairement des charges financières et des normes environnementales trop contraignantes et une concurrence étrangère déloyale. Mais leurs revendications, leurs parcours et leurs situations sont très divers.

• Johanna, éleveuse et céréalière, et son père Bernard, retraité toujours actif: "On a besoin d'un prix garanti pour nos produits"

Johanna est une jeune agricultrice, éleveuse d'une quarantaine de vaches limousines pour la viande et céréalière. Elle travaille dans sa ferme d'Ebersheim, dans le Bas-Rhin. "J'ai la chance de me dégager un revenu parce que ma mère et mon père m'aident dans l'exploitation", confie-t-elle.

"Si demain je devais les remplacer par des salariés qui sont à 35 heures alors que nous on en fait plutôt 50, 60, 70, économiquement ça ne suivrait pas: je ne pourrais plus me sortir de revenu", explique-t-elle.

Son père, Bernard, a 72 ans et, malgré le fait qu'il soit à la retraite, continue de travailler dans la ferme. Il a commencé à travailler à l'âge de 13 ans et ce jusqu'à ses 56 ans.

"C'est 44 ans de cotisations pour une retraite de 920 euros par mois. Avec ça, on ne peut pas vivre aujourd'hui: c'est presque le seuil de pauvreté", déplore Bernard.

Johanna attend du gouvernement des garanties sur les prix. "L'élevage, ça demande du temps, on a besoin d'un prix garanti pour nos produits, qu'ils soient payés à leur juste valeur en fonction de nos charges qui augmentent", détaille la jeune agricultrice.

• Sébastien, éleveur: "Le temps de travail pour nous en agriculture c'est cadeau"

Il avait dit à ses parents: "Je m'installe en 2010 et si en 2020 je ne gagne pas le Smic j'arrête". "On est en 2024 et je suis encore là", sourit Sébastien, agriculteur de 38 ans en Dordogne.

"On est sur un système broutard et un système taurillon où on engraisse des bêtes pendant 16 mois puis les vend aux magasins français", détaille-t-il. "Le prix est aujourd'hui de 5,40 euros le kilo à la vente et on peut le retrouver sur les étals d'une grande surface aux alentours de 25 à 30 euros en fonction des morceaux", déplore Sébastien.

Paille, grains, farine, gazole, engrais, taxes... Tout cela lui revient très cher. "Malgré notre métier qu'on adore, je me prélève 500 euros par mois en liquidité", explique-t-il.

"Et le temps de travail pour nous en agriculture c'est cadeau", ajoute l'agriculteur.

Il y a quelques années, son troupeau a été touché par la tuberculose. Il s'est alors mis à produire des endives avec ses parents. "Sur une production comme ça, on n'est pas dépendant de la PAC, c'est moi qui décide de mon prix de vente et on voit qu'en termes de marge, c'est un peu plus rémunérateur", explique Sébastien.

• Muriel, Didier et Alexandre, éleveurs de vaches laitières en famille: "Je n'ai jamais pris de vacances"

"Je vais aller au blocus jusqu'à 17h car après il faut que je rentre m'occuper des vaches”. Didier participe aux actions de blocage organisées en Haute-Garonne car il veut de meilleures conditions de travail et de rémunération pour les agriculteurs.

À Lapeyrère, la famille Parayre élève des vaches laitières. Didier et Muriel, les parents, sont aidés par leur fils Alexandre. Ils confient les difficultés de leur métier, de 4 heures du matin à 22 heures, tous les jours.

"Je n'ai jamais pris de vacances, à part deux jours par an", explique Didier, "mon fils prend une semaine et encore c’est très dur car ce n'est pas évident d’être remplacé".

Alexandre dit faire ce métier "par passion". "Je suis né dedans, j'ai toujours été au milieu des vaches" raconte-t-il. Sa sœur, toutefois, est devenue infirmière et a refusé de faire comme ses parents.

Muriel, elle, a des problèmes de santé et a actuellement le bras en écharpe. "C'est l'usure: depuis 30 ans, je suis dans la salle de traite. Au bout d'un moment, les épaules n'ont plus voulu." Il y a trois ans, elle s'est blessée l'épaule droite, cette année, c'est la gauche qui a lâché.

Solidaires du mouvement, ils se rendent sur les blocages entre deux traites. Ils ont notamment été bouleversés par la mort d'une agricultrice et de sa fille sur un barrage ariégeois. "Ça aurait pu être notre famille, aux premières manifestations, quand on s'est installé avec mon mari", souligne Muriel.

• Laurence, éleveuse de veaux et productrice d'ail: "Je travaille depuis 1975 et on me donne 430 euros (de retraite) par mois"

Un grand carton posé sur ses épaules avec inscrit en lettres violettes "retraite", Laurence Leblanc, bientôt 64 ans, est présente sur un blocage à Agen, dans le Lot-et-Garonne.

Cette éleveuse de veaux et productrice d'ail a récemment fait sa demande pour avoir la retraite. "J'ai été conjoint collaborateur de mon mari, je travaille depuis 1975 et on me donne 430 euros par mois", confie-t-elle.

"Pour avoir 850 euros, il faut que je continue et reprenne l'activité et la propriété de mon mari, qui lui est arrêté par maladie", complète Laurence.

Elle manifeste ainsi pour demander une revalorisation des retraites des femmes, la revalorisation des produits et la simplification des démarches. "Je n'ai pas d'ordinateur et en plus je n'ai pas le temps: il faut faire des démarches et des papiers en ligne mais on ne peut pas", affirme-t-elle.

"On doit se déplacer à Auch, c'est un casse-tête chinois donc les petits agriculteurs comme moi on n'y va pas car on a pas le temps, surtout quand on a du bétail", explique l'agricultrice.

"On fait tout pour nos bêtes et nous on passe en dernier", conclut Laurence.

• Marianne et Clément, éleveuse bovine: "Il en va de notre survie"

"Il en va de notre survie". Marianne Sentenac est agricultrice à Montberaud, en Haute-Garonne, et se mobilise sur le barrage de l'A64. Elle proteste notamment contre l'augmentation du gazole non routier et du prix de l'électricité et demande également une indemnisation de la maladie hémorragique épizootique.

Cette éleveuse bovine installée depuis une quinzaine d'années après avoir repris l'exploitation de ses parents a récemment diversifié son activité en se mettant à la vente directe de volailles. "On est très satisfait, les clients font de très bons retours et ça permettait de se tirer un revenu de 800 euros par mois", détaille Marianne.

"Mais l'année dernière, je n'ai pu me retirer qu'un revenu de 400 euros. S'il n'y a pas un geste, le revenu de l'année prochaine sera nul voire négatif", lance-t-elle.

Son fils Clément, en 4ème au lycée agricole, souhaite "que l'exploitation familiale perdure" et aide déjà le week-end à "attraper les poulets ou à rentrer les vaches". S'il sait que le métier ne paie pas beaucoup et que les conditions de travail de sa mère "le découragent un peu", il dit être passionné, notamment par "les tracteurs et les animaux".

Salomé Robles