BFMTV
Sciences

Pourquoi prévoir les orages avec précision est encore compliqué

Un orage à Bordeaux, le 1er juillet 2018.

Un orage à Bordeaux, le 1er juillet 2018. - NICOLAS TUCAT / AFP

L'Est et le Sud-Ouest du pays ont encore été très touchés par les intempéries la nuit dernière. Des trombes d'eau et un vent très violent se sont notamment abattus sur Toulouse peu avant minuit. Même si la détection des orages est en progrès, les prévoir restent extrêmement compliqué pour les prévisionnistes météo.

Depuis quelques jours, la France est traversée par plusieurs épisodes orageux, parfois assez violents comme ce fut le cas à Toulouse mercredi soir. Pourtant, aucun bulletin de vigilance orange n'avait été émis par Météo France, et ceci s'explique par le fait que ce type de phénomène est parfois difficile à prévoir. "Dans les grandes lignes, ça reste bien plus difficile à appréhender qu’un front pluvieux Atlantique qui circule d’ouest en est sur le pays et qu’on arrive à bien suivre d’heure en heure", concède Emmanuel Demaël, prévisionniste à Météo France.

Quand il s’agit d’anticiper les orages, les prévisionnistes restent en effet extrêmement prudents. "Si on est à même de prévoir un contexte orageux sur une zone étendue, c’est plus délicat de prévoir exactement la localisation des orages, reprend Emmanuel Demaël. On va mettre en vigilance un ensemble de départements, mais on sait que tout le monde ne sera pas forcément touché sur l’ensemble du département. Si on veut couvrir le risque spatialement, on va prendre en compte l’ensemble du risque, même sur des zones limitrophes".

"Une certaine part de hasard"

"C’est l’effet Pierre et le Loup: Si vous criez au loup à chaque fois, plus personne n’y croit. Mais si vous ne criez pas au loup, on va vous reprocher de ne pas l’avoir fait. C’est assez difficile à faire passer dans le public, parce que ce sont des phénomènes qui ne sont pas totalement déterministes et qui ont une certaine part de hasard. C’est un peu comme l’économie", pointe Frank Roux, du laboratoire d’aérologie de Toulouse.

Les prévisionnistes ne sont quand même pas complètement aveugles au moment de lancer la chasse aux orages. La tendance est même à l’amélioration. Selon Météo France, "sur les quatre dernières années, dans 80% des cas, un département placé en vigilance orange pour orage a bien été concerné par ce phénomène météorologique: des orages forts ou violents se sont produits sur tout ou partie du département. Ce 'taux de pertinence' de la vigilance pour orage est en hausse régulière. Sur la période 2004-2009, il atteignait 70%". Des progrès qui s’expliquent par des modèles de prévision de plus en plus affinés, mais qui sont encore insuffisants pour être fiables à 100%.

"Encore des incertitudes sur la localisation exacte des systèmes orageux"

D’ailleurs, on ne prévoit pas un orage, mais un risque d’orage. "On peut décrire globalement une zone couverte par le risque. Mais à l’intérieur de cette zone, ça n’empêche pas que ce sera difficile de prévoir sans passer par des modèles de plus fine échelle. Même avec ceux-là, on a encore des incertitudes sur la localisation exacte des systèmes orageux", explique le prévisionniste de Météo France.

"On a mathématiquement une représentation correcte du phénomène, complète Frank Roux. La difficulté, c’est que l’image est un peu floue. Les processus un peu aléatoires qui se produisent existent dans le modèle mais ne sont peut-être pas exactement les mêmes que ceux qui se produisent dans la réalité. Donc le modèle va peut-être déclencher à un endroit, alors que la réalité va déclencher à un autre".

Un système orageux n’est pas un gros nuage transporté par une dépression et qu’on verrait arriver de loin. Certes, on connaît bien les conditions favorables à son développement. "Mais il faut un petit facteur déclencheur, parce que l’atmosphère ne se chamboule pas comme ça directement. En gros, un orage, c’est quand l’air des basses couches de l’atmosphère est suffisamment chaud et humide pour que la condensation libère de la chaleur qui lui permet d’être plus chaud, et donc plus léger, et donc de monter par rapport à l’air plus froid qui se trouve entre 2000 et 10.000 mètres d’altitude. Pour cela, il faut une impulsion initiale qui permette à cet air de s’élever de quelques centaines de mètres", détaille Frank Roux. Cette "impulsion" peut aussi bien provenir d’un relief, d’un lac, d’une forêt, d’une rivière… "Il y a tout un tas de petits effets locaux. D’ailleurs, les gens qui vivent à un endroit donné savent bien souvent que les orages se déclenchent à tel endroit", remarque le chercheur.

Prédire les lieux des impacts reste de la science-fiction

Au point d’être capable de prédire les éclairs et la foudre? Là, on est dans le domaine de la science-fiction. Ou presque.

"Aujourd’hui, les modèles nous permettent d’estimer l’activité électrique, mais c’est encore au stade de la recherche, et pas au niveau opérationnel, prévient Eric Defer, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de l’électricité atmosphérique. Si vous me demandez où l’éclair va se connecter au sol, pour l’instant on en est très, très loin. On peut donner une espèce de zone de dangerosité, mais on n’y est pas encore sur une alerte géographique très précise".

En septembre dernier, le chercheur s'était rendu en Corse avec d’autres scientifiques pour une mission qui prévoyait notamment de "faire voler un avion instrumenté dans les enclumes d’orage pour mesurer les propriétés du nuage". "L’idée c’est de documenter les orages, d’échantillonner ces nuages, et de voir comment on est capable de les modéliser pour mieux comprendre les processus électriques et les précipitations, expliquait alors Eric Defer. Il y a encore beaucoup de questions autour de la représentation des processus physiques au sein du modèle. Et puis il y a ces problèmes d’échelle. On va commencer à descendre à une centaine de mètres, voire moins, ce qui veut dire qu’il faut des calculateurs plus puissants. Je suis optimiste mais c’est sûr que ça ne sera pas comme dans Retour vers le futur, où 'Doc' est capable de prévoir l’heure et l’endroit où frappera la foudre".

Antoine Maes