Un syndicat de gynécos appelle à la grève des IVG, Buzyn "condamne" une menace "inadmissible"

Agnès Buzyn, ministre de la Santé. - Guillaume Souvant - AFP
"Dans la situation très dangereuse qui est la nôtre, nous devons faire scandale et être prêts à arrêter la pratique des IVG pour nous faire entendre." Le message provient d'une newsletter, envoyée aux adhérents du Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) avec le logo de la structure.
La ministre de la Santé n'a pas tardé ce mercredi à "condamner", dans un communiqué, une "prise en otage des femmes". Cette menace d'une grève des interruptions volontaires de grossesses (IVG), afin de se faire entendre sur une affaire d'indemnisation de praticiens condamnés pour erreurs médicales, Agnès Buzyn la juge "inadmissible".
Pour la ministre, ces menaces "vont à l'encontre du respect inconditionnel du droit à l'IVG garanti dans notre pays" et elle regrette l'"image faussée" des gynécologues qui pourrait en découler.
"En aucun cas une telle prise en otage des femmes ne peut servir de levier de négociation ou de médiatisation de ce dossier que le ministère suit de très près", martèle-t-elle ce mercredi soir.
"Il a eu l'aval du syndicat"
Rendu public mardi et mis en lumière ce mercredi matin par Causette, le document a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter.
L'initiative vient de Jean Marty, ancien président du Syngof et chargé des questions d'assurance des praticiens. Le service presse du syndicat a toutefois confirmé à BFMTV.com qu'il avait reçu l'aval de l'organisation pour diffuser le message aux adhérents.
"Jean Marty a souhaité mettre le projecteur sur le sujet de l'IVG", abonde la communication du Syngof, pour laquelle c'est "malheureusement le seul moyen pour qu'on parle de cette question, sur laquelle ils ne sont pas entendus depuis des années".
"C'est une action de Jean Marty, soutenue par le syndicat. Il a eu l'aval du syndicat et on espère vraiment que la ministre va nous entendre", martèle-t-on.
A l'origine donc, une question d'assurance que l'ancien président, joint par BFMTV.com, tente de résumer simplement. Depuis 2002, les "assurances sont plafonnées, ce qui veut dire qu'on n'est pas couverts pour la totalité des risques pour les sinistres les plus graves".
Comprendre: en cas de condamnation pour erreur médicale, l'assurance ne couvrait pas entièrement les médecins, pour qui il restait à charge une partie de l'indemnisation des victimes se comptant parfois en millions. En 2012, un fonds d'indemnisation a été créé pour ce qu'il décrit comme des "trous de garantie".
"On a pensé qu'on en avait le droit car ça fait partie de notre activité"
Cependant, faute de rétroactivité, Jean Marty estime à une quinzaine le nombre de médecins condamnés entre 2002 et 2012 qui ne pourront bénéficier de ce fonds, dont il dénonce par ailleurs "l'opacité". En plus, "quand on arrête son activité, le dernier contrat continue à jouer dix ans", souligne-t-il. Il fait donc valoir un risque pour les contrats signés avant 2012 et les praticiens exposés jusqu'en 2022, ce qui est selon lui une menace pour la profession.
Et pourquoi y mêler l'IVG? "Tout simplement parce qu'on a compris que si on touchait ce tabou qui est très important pour la société, on nous écouterait. On a pensé qu'on en avait le droit car ça fait partie de notre activité", argumente-t-il auprès de BFMTV.com.
Jean Marty compte donc sur la société civile pour faire pression sur le ministère de la Santé afin que les gynécologues y soient reçus pour ces questions d'assurance.
"Notre idée, c'est que si la société veut avoir des praticiens compétents qui s'occupent de la population, il faut que la société exige du gouvernement que ces médecins soient couverts correctement", expose-t-il.
Interrogé sur le fait que l'IVG est un droit inconditionnel et l'absence de responsabilité des patientes dans cette affaire, le gynécologue met en parallèle les deux situations.
Pour lui, ça ne "marche pas" qu'on puisse dire, dans ses termes: "Ah mais votre assurance, ce n'est pas notre affaire, vous n'avez qu'à vous en débrouiller, nous on a nos droits et vous allez les respecter", et dans le même temps déclarer : "Vous, même si vous avez de grosses difficultés, tant pis, c'est comme ça".
"Si les patients n'ont pas de médecins sereins qui n'ont pas une assurance qui les couvre, il ne faut pas qu'ils se fassent d'illusion: ils iront vers des ennuis de plus en plus importants", conclut-il.
"Le simple fait que ces menaces puissent exister est une honte"
Une position fermement condamnée par la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, qui s'exprimait justement ce mercredi à l'Onu sur l'IVG et les droits sexuels et reproductifs.
"Ils ont raison de penser que je vais faire un scandale s'ils mettent les menaces à exécution, mais je crois que le simple fait que ces menaces puissent exister est une honte et scandaleux en soi. Personne, personne ne doit prendre en otage les femmes, instrumentaliser le droit à l'IVG et le droit à disposer de son corps", a déclaré Marlène Schiappa.
"Menacer de priver des femmes de l'accès à l'IVG est totalement contraire à la déontologie médicale", a aussi réagi dans un communiqué le Conseil national de l'Ordre des médecins.
Il dénonce aussi "l'atteinte à l'indépendance des professionnels, qu'aucun conflit avec les autorités ne saurait justifier". Priver des femmes d'un IVG "serait un acte inexplicable et injustifiable, aux conséquences potentiellement dramatiques", appuie l'Ordre.
En septembre dernier, le président du Syngof Bertrand de Rochambeau avait comparé l'IVG à un "homicide", dans des propos retransmis par l'émission Quotidien de TMC. Sur BFMTV, il l'avait à nouveau décrit comme "un acte où il faut arrêter une vie". Le syndicat s'était désolidarisé de ses propos.