Soumission chimique: la plateforme téléphonique d'accompagnement des victimes sursollicitée depuis le procès des viols de Mazan

"Je sais que ce n’est pas évident de reprendre le récit, mais on va traverser cette épreuve ensemble; d’accord?". Leïla Chaouachi est l'une des cinq pharmacologues spécialisées qui travaillent au sein du Crafs, le Centre de référence sur les agressions facilitées par les substances, une plate-forme d'information sur la soumission chimique créée en octobre dernier au sein du centre d'addictovigilance de Paris.
Depuis le procès des viols de Mazan, le centre a reçu des centaines de sollicitations de victimes, de leur entourage, ou de professionnels de santé.
"Nous sommes sollicités en permanence"
"C'est la spécificité de l'après Mazan", explique à BFMTV la pharmacienne. "Nous avons beaucoup d'appels pour des faits anciens. Des personnes âgées qui se reconnaissent en Gisèle Pelicot et qui veulent raconter ce qu'elles ont subi peut-être dans les années 80, 70. (...) Aujourd'hui elles arrivent à dire peut-être que j'ai été soumise chimiquement parce que je me rappelle qu'il me donnait par exemple un café ou tel aliment et qu'après je ne me sentais pas bien et que je pense que je subissais des viols conjugaux de façon répétée parce que je me réveillais dénudée, déplacée, avec des douleurs".
Il y a aussi des appels pour des faits plus récents. L’ensemble de l’équipe est formé à l’écoute des victimes de violences sexistes et sexuelles. À l’autre bout de la ligne, les personnes qui appellent essaient notamment de comprendre "quelles sont les substances qu'on a pu leur administrer et quel délai est nécessaire à prendre en compte pour la préservation des éléments de preuves", détaille le Dr Leïla Chaouachi, ou encore comment elles peuvent être accompagnées.
Au cours des échanges, les intervenants remplissent un questionnaire mis au point avec l'agence du médicament qui permet notamment de prendre des renseignements sur un éventuel dépôt de plainte, le type d’agression subi ou encore les analyses réalisées, ainsi que les habitudes de la personne en ligne afin de pouvoir détecter les substances qui ont pu lui être administrées.
"On va interroger les victimes sur leur consommation volontaire de médicaments, de drogue, d'alcool, avec bien sûr un esprit de non-jugement et d'écoute et de pédagogie, puisqu'on va rappeler que le viol pour ne parler que des violences sexuelles, est interdit quel que soit le moyen d'y parvenir", précise Leïla Chaouachi.
Des demandes des professionnels de santé
Pour contacter le Crafs, plusieurs options : un appel ou une déclaration en ligne : "les victimes peuvent ne pas avoir envie d'avoir quelqu'un au bout du fil tout de suite", explique celle qui est aussi experte nationale sur l’enquête soumission chimique auprès de l’ANSM. "Quand elles déclarent en ligne, elles peuvent donner la possibilité d'être rappelées ou de ne pas être rappelées. (…) Et si elles ne souhaitent ni nous appeler, ni nous écrire et c'est encore leur droit, elles peuvent directement accéder aux informations utiles et fiables sur notre plateforme : elles peuvent consulter le circuit de prise en charge directement sur notre plateforme comme un site internet disponible 24h/24 et 7j/7".
Selon la spécialiste, il y a une libération de la parole dans la sphère intrafamiliale, conjugale ou encore la sphère professionnelle "puisque les personnes ont bien intégré le fait que ça ne se passe pas uniquement dans l'espace festif".
Depuis le procès des viols de Mazan, la pharmacologue note aussi beaucoup de contacts avec des professionnels de santé.
"Les professionnels ont été sidérés par le procès des viols de Mazan puisqu'ils ont gardé en mémoire l'errance thérapeutique qui a eu lieu à ce moment-là (…). On a eu des appels de professionnels qui soit étaient confrontés à une situation actuelle qui leur évoquait cette problématique, soit qui ont eu souvenir de situations qui aujourd'hui chez eux raisonnent dans cette thématique, ou sinon on a eu des professionnels qui nous ont appelés pour être mieux formés et pour prévenir ces situations, si elles arrivent, comment réagir, quoi faire etc."
L’intervenante prend la parole au fil de l’échange avec les différentes personnes qui contactent le Crafs: "Est-ce que vous avez retrouvé la vidéo?", "Quand vous vous réveillez, vous êtes où?", demande par exemple la pharmacologue en tentant de mieux comprendre les symptômes décrits, les consommations ou encore le suivi des différentes victimes. "Est-ce que vous souhaitez être rappelée?". Pour Leïla Chaouachi "ces problématiques sont extrêmement vastes en réalité l'étendue du phénomène. Nous savons qu'il est beaucoup plus important que ce que laissent supposer les chiffres" avance-t-elle.
Environ 200 substances recherchées dans les cheveux
"La soumission chimique vous enlève vos souvenirs mais elle laisse des traces", peut-on lire sur l'une des affiches au mur. Si les médicaments restent les substances les plus utilisées selon l’enquête de l’ANSM, certaines drogues comme la MDMA gagnent du terrain décrit la responsable du Crafs. Pour améliorer les connaissances, le centre a lancé une étude sur des prélèvements capillaires.
"Cette étude est faite pour deux raisons, essayer d'améliorer l'état de connaissance scientifique sur les agents de soumission chimique" explique la coordinatrice de l’étude de recherche scientifique GSC, mais "c'est aussi pour aussi évaluer la pertinence de prélever systématiquement les victimes".
Drogues, médicaments, près de 200 substances sont recherchées dans les analyses de cheveux ajoute le professeur Jean-Claude Alvarez, qui dirige l’un des laboratoires spécialisés dans ce type d’analyses à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches et qui travaille avec le Crafs.
"Au bout de trois jours, il n'y a plus rien dans le sang ou l’urine (…). On va reconvoquer la victime un mois après et on va faire cette analyse de cheveux et donc là on va travailler sur des segments très courts (…). Les cheveux c'est une matrice extraordinaire", explique le Pr Alvarez, "tout ce que vous prenez se fixe dans vos cheveux. Un centimètre, c'est un mois".
L’étude a démarré il y a un an selon Leïla Chaouachi: "On a eu une soixantaine d'inclusion à date". La spécialiste montre que l’on coupe la mèche de cheveux avant de marquer la partie la plus proche de la racine pour "orienter" le cheveu et "permettre une datation".
"C’est extrêmement important qu'on ait accès aux analyses toxicologiques qu'il s'agisse de sang, d'urine ou de cheveux, mais ce qui est important c'est de comprendre que cet accès n'a d'intérêt que s’il est bien auprès des laboratoires experts", ajoute-t-elle.
"On a une méthode qui nous permet à peu près de rechercher 200 molécules", développe Jean-Claude Alvarez, "tout ce qui est stupéfiant, nouvelle drogue de synthèse-on est laboratoire de référence- et puis bien entendu tous les médicaments".
"Les cheveux c'est vraiment de la haute voltige", lance-t-il. "On va segmenter les cheveux, centimètre par centimètre, on va extraire les molécules des cheveux une fois qu'on les a transformés en poudre et on va les passer sur des grosses qui sont des spectromètres de masse". Parmi les prélèvements, une analyse spécifique est réservée au GHB.
En décembre dernier, l’ANSM a annoncé mener un travail avec les laboratoires qui commercialisent des médicaments susceptibles d’être détournés à des fins de soumission chimique, "afin de mettre en place des mesures appropriées pour alerter et protéger les potentielles victimes". Par exemple, changer l’aspect visuel (colorant ou texture inhabituelle), ou ajouter un goût ou une odeur identifiable au médicament.