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Pourquoi les filtres Snapchat et Instagram nous font du mal

Une jeune fille utilisant un filtre Snapchat en juillet 2018 à Philadelphie aux Etats-Unis.

Une jeune fille utilisant un filtre Snapchat en juillet 2018 à Philadelphie aux Etats-Unis. - Lisa Lake / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Michaël Stora, psychologue spécialiste des réseaux sociaux, se dit préoccupé par le nouveau phénomène consistant à avoir recours à la chirurgie esthétique pour ressembler à un filtre Snapchat ou Instagram.

Trois médecins américains de l'Université de Boston se sont inquiétés cette semaine de voir les utilisateurs de Snapchat et Instagram de plus en plus complexés par rapport à leur propre visage modifié par les filtres, au point d'avoir recours à la chirurgie esthétique.

Michaël Stora, psychologue, psychanalyste et fondateur de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, revient pour BFMTV.com sur les raisons et les dangers de cette nouvelle pratique, croissante au États-Unis.

Pourquoi vouloir ressembler à un filtre?

L'essor de la chirurgie esthétique ne date pas d'hier, il a déjà eu lieu il y a trente ou quarante ans. La différence aujourd'hui, c'est que les réseaux sociaux ont rendu accessible cette quête d'une version idéalisée de nous-même. Grâce aux filtres, tout un chacun est en mesure de proposer une version "améliorée" de sa personne. Yeux agrandis, nez plus fin, peau lissée et cernes dissimulées. Il n'est pas surprenant qu'on ne veuille plus tant ressembler à telle ou telle célébrité. Aujourd'hui, on veut être une "meilleure" version de nous-même.

La dysmorphophobie - la peur d'avoir le moindre défaut -, c'est pareil. C'est une pathologie mentale qui a toujours existé. Mais la question se pose de savoir à quel point les applications comme Snapchat, Instagram ou bien Facebook propagent cette pathologie, cette crainte de l'imperfection.

S'agit-il vraiment d'un "nous" amélioré?

  • Non, c'est un leurre. Ces standards de beauté sont définis on ne sait trop comment et il sont érigés en norme. Ces applications proposent simplement une version américanisée, lisse, très californienne du monde: une forme de clonage, en somme. Et c'est cela qui peut engendrer des mal-êtres terribles. Si on ne correspond pas aux codes imposés par les filtres, on peu avoir l'impression qu'ils nous "corrigent" à juste titre, car quelque chose ne va pas. Ce qui peut conduire au désir de se faire opérer. Les filtres nous met face à nos défauts et nous renvoie l'idée qu'on est soit trop âgé, trop rond, pas assez bronzé: on se sent mal d'être hors-norme, de sortir des carcans. C'est une focalisation délirante et narcissique sur une partie de soi. Mais en fin de compte, si vous vous pliez à ces codes, vous devenez un smiley... C'est quand même effrayant.
    D'autant que normalement, les belles photographies sont celles qui racontent des histoires, celles qui saisissent un moment unique ou un trait singulier du modèle. Or ces images filtrées, lissées, aseptisées ne racontent plus d'histoires, si ce n'est une version fade de ce que nous souhaitons montrer au reste du monde.

En avril 2015, une adolescente du nom d'Essena O’Neill s'était retirée des réseaux sociaux. Elle avait alerté ses 700.000 abonnés sur les dangers de cette tyrannie du cool et révélé les sombres coulisses qui se cachaient derrière chacune de ses photos Instagram.

En quoi est-ce inquiétant?

C'est inquiétant car aujourd'hui ces filtres nous donnent l'impression que cette version lisse et parfaite de la vie est à la portée de chacun, qu'elle est accessible. Il suffit d'ouvrir son application, de mettre un filtre et le tour est joué. Bon après il est totalement normal qu'un adolescent soit quelque peu influencé par ça, car l'adolescent est par définition en construction de lui-même. Il est donc fragile et influençable. Cela est nettement plus inquiétant, en revanche, lorsque ces fixations et ce besoin de filtrer sa vie et son corps perdure une fois adulte.
C'est comme les influençeurs. Ils ont pris une importance considérable. Aujourd'hui ce sont eux qui influencent nos choix esthétiques car ils incarnent, sans que l'on s'en rende toujours compte, des modèles à part entière tout en nous vendant une illusion de proximité. Les poses paraissent spontanées alors qu'elles ne le sont clairement pas. Tout semble proche et lointain à la fois. Sur Youtube par exemple, des studios "pro" sont aménagés de manière à ressembler à de simples chambres d'adolescents. Aujourd'hui nous sommes complètement dans du "self-fake", une version arrangée, améliorée du réel qui doit avoir l'air accessible. Nous sommes tombés dans une version caricaturale de la tyrannie de l'image.

Jeanne Bulant