"On ne pèche jamais par excès de prudence": vu de l'hôpital, le déconfinement abordé avec précaution

Des soignants autour d'un patient atteint du Covid-10 en réanimation, le 4 mai 2021 à l'hôpital Louis-Mourier, à Colombes - ALAIN JOCARD / AFP
"Un petit moment de liberté retrouvée qui est le fruit de nos efforts collectifs", a salué ce mercredi Emmanuel Macron, attablé en début de matinée autour d'un café avec le Premier ministre Jean Castex non loin de l'Elysée.
Avec la réouverture des terrasses, cinémas, musées et le passage du couvre-feu de 19 à 21 heures, cette journée marque la deuxième étape tant attendue du déconfinement annoncé par Emmanuel Macron à la fin du mois d'avril. Une étape synonyme de nouveau souffle pour les Français après un troisième confinement en l'espace d'une année.
"J'ai envie de vous dire: habituons-nous à essayer de vivre ensemble le temps présent", a déclaré Emmanuel Macron, tout en appelant à la tempérance et invitant à "rester prudent" pour "réussir collectivement à maîtriser l'épidémie".
Des indicateurs encourageants
Car si l'horizon semble s'éclaircir, la pandémie est encore loin d'avoir dit son dernier mot. Si l'on scrute les indicateurs épidémiques, la situation est indéniablement en voie d'amélioration, avec une décrue notable dans les hôpitaux et une circulation du virus moins intense depuis quatre semaines.
Mardi, selon Santé Publique France, 4015 patients atteints du Covid-19 étaient hospitalisés dans les services de réanimation du pays, contre 4186 la veille. Globalement, 22.058 personnes étaient hospitalisées en raison du virus, contre 22.749 lundi. Ce solde n'avait pas été aussi bas depuis le mois d'octobre 2020. Sur les 7 derniers jours, la moyenne des cas enregistrés quotidiennement est d'environ 14.000.
Au total, le virus a tué à ce jour 108.000 personnes en France, dont 187 patients dans les hôpitaux ce mardi.
Incertitudes
Pour autant, ces chiffres encourageants ne lèvent pas tous les points de méfiance du corps médical.
"Cette période est remplie d’incertitudes: comment le comportement des Français va évoluer, les variants, l’effet du climat... Et la dernière grande inconnue c’est la vaccination", résume l'épidémiologiste de l'Institut Pasteur et membre du Conseil scientifique Arnaud Fontanet sur LCI.
La campagne vaccinale parviendra-t-elle a endiguer l'épidémie? Le cap des 20 millions de primo-vaccinés, fixé par le gouvernement au 15 mai, a été effectivement tenu. Ce mardi, 20.688.659 personnes avaient ainsi reçu au moins une dose de sérum.
"Je resterai prudent pour vous dire si c'est complètement derrière nous. Nous verrons l'automne prochain, voire l'hiver prochain si nous n'avons pas de nouvelle vague, de nouveaux variants, si les choses se passent au mieux... Alors là nous pourrons tourner la page du Covid", a avancé le ministre de la Santé Olivier Véran ce mercredi, également sur LCI.
Prudence
A l'hôpital, on se garde bien de tirer une conjecture sur les semaines et les mois à venir, "parce qu'on ne pèche jamais par excès de prudence en la matière", fait valoir auprès de BFMTV.com Djillali Annane, chef du service de réanimation de l'hôpital Raymond-Poincaré à Garches (Hauts-de-Seine).
"Il y a indiscutablement, et on commence à la sentir y compris en réa, une décrue même s'il y a encore des patients admis tous les jours pour Covid. On n'est plus en situation de tension, très clairement", fait valoir le réanimateur.
"L'enjeu c'est d'éviter de revenir en situation de tension et d'être extrêmement sérieux dans cette période de déconfinement. Il ne faut pas que chacun d'entre nous aille trop vite et devienne négligent vis-à-vis des gestes barrières. Le virus circule toujours à un niveau élevé en France, il n'a pas disparu", poursuit le soignant, par ailleurs président du Syndicat des médecins réanimateurs.
La crainte du variant indien
Djillali Annane pointe particulièrement le variant indien "et le risque qu'il peut faire peser sur une quatrième vague".
"Il est présent en France, au-delà de clusters, et donc il y a bien un risque qu'on se retrouve dans la même situation dans laquelle on était au mois de décembre avec le variant britannique. On a à l'époque négligé ce variant et on s'est retrouvé avec la tension qu'on a connue en mars-avril. Si on fait la même erreur avec le variant indien, on risque de se 'pourrir' une partie de l'été", prévient le médecin.
Selon des travaux préliminaires rendus publics lundi, menés par des scientifiques américains, les vaccins à ARN messager de Moderna et de Pfizer-BioNTech devraient rester efficace contre ce mutant du virus. Ces recherches doivent toutefois encore être validées par les pairs avant d'être publiées.
Sur les variants brésilien et sud-africain, présents depuis plusieurs mois en France, Djillali Annane se veut rassurant: "Ils ne sont pas devenus dominants, ils n'ont pas fait disparaître le variant britannique. Vu ce qui est en train de se passer en Angleterre, la donne semble différente avec le variant indien", redoute-t-il, évoquant la poussée de cette souche mutante du virus au Royaume-Uni, en dépit de la vaccination avancée.
L'hôpital encore "loin" du retour à la normale
Si la tension sur le système de soins est moins forte, il faut encore utiliser des pincettes pour qualifier la situation. A Raymond-Poincaré, à Garches, Djillali Annane évoque "un retour progressif à la normale", avec une réduction des "lits surnuméraires" ouverts pour les patients atteints du Covid-19.
"Ça permet de reprendre l'activité et la prise en charge des autres patients, mais par exemple, dans mon service (la réanimation, NDLR), on a toujours une très grande majorité de patients atteints du Covid-19 qui sont hospitalisés. On est encore loin d'être revenus à une situation normale", pointe-t-il.
L'aspect humain est également crucial: Djillali Annane souligne la fatigue et la lassitude des soignants.
"On aimerait comme tout le monde en voir la fin, mais on reste très concentrés parce qu'on sait qu'on est dans une période difficile, que la levée des mesures de restriction alors que le virus circule à un niveau élevé peut à tout moment faire repartir l'épidémie et créer de la tension."
"Redoubler de vigilance"
Selon Les Echos, la direction de l'AP-HP s'est engagée à permettre à ses agents de prendre trois semaines de congés consécutives cet été après cette année éprouvante. A cause de l'épidémie, "beaucoup ont déjà annulé pas mal de leurs congés depuis un an et demi", souligne Djillali Annane.
Le médecin se veut confiant, mais incite à "redoubler de vigilance" en n'abandonnant pas les gestes barrières. Le soignant met particulièrement en garde les plus jeunes car "la grande majorité n'est pas vaccinée, et c'est bien cette tranche de la population qui va le plus profiter de la levée des restrictions. Ce sont des personnes qui sont exposées à attraper le virus et à le faire circuler".