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Mortalité infantile: pourquoi la France ne progresse plus par rapport à ses voisins européens

Un bébé dans une maternité (photo d'illustration)

Un bébé dans une maternité (photo d'illustration) - BFMTV

La France connaît une stagnation de son taux de mortalité infantile depuis plusieurs années, qui est supérieur à la moyenne européenne. Une situation qui s'explique par de nombreux facteurs, dont l'état du système de soins et un manque de suivi des femmes précaires.

Une situation alarmante. Une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined) publiée ce jeudi 20 mars souligne les mauvaises performances de la France en matière de mortalité infantile par rapport à ses voisins européens.

La France se classe au 23e rang sur les 27 États de l'Union européenne en termes de mortalité infantile en 2022, "une chute marquée par rapport aux années 1990, où elle figurait parmi les pays les mieux classés", souligne cette étude de l'organisme public. "Alors que la tendance demeure à la baisse chez ses voisins européens, la mortalité infantile stagne dans l'Hexagone", relève l'Ined dans un communiqué.

Le taux de mortalité infantile (mortalité pendant la première année de vie) atteignait 4,5 pour mille chez les garçons et 3,7 pour mille chez les filles pour toute la France en 2022, contre respectivement 3,5 et 3,0 en moyenne dans l'UE. Une douzaine de pays européens affichent des taux inférieurs à 3 pour mille. "La Suède affiche même un taux de mortalité infantile de 2,5 pour mille, presque deux fois inférieur à celui de la France", précise l'étude publiée dans la revue Population.

"En l'espace de trente ans, la situation française s'est significativement dégradée. En 1990, la France était en tête du classement européen pour la survie des enfants", relève l'Ined. Vingt ans plus tard, elle occupait encore le 8e rang pour les garçons et le 10e rang pour les filles. En 2022, elle chute respectivement aux 24e et 22e places.

Le suivi des femmes précaires en question

Cette situation dégradée s'explique par de nombreux facteurs. L'Ined souligne notamment que la mortalité infantile est un "indicateur clé de la qualité des soins périnatals et des politiques de santé publique".

"C'est peut-être un problème de prise en charge: les études suggèrent que les femmes en grande précarité ne sont pas bien prises en charge pendant la grossesse", explique Magali Barbieri, directrice de recherche à l’Ined et co-autrice de l'étude, à BFMTV.com. "Il y a un problème de repérage des femmes dans les milieux précaires et de suivi pendant la grossesse", ajoute-t-elle.

Or, selon l'institut national de statistiques Insee, "la part des accouchements couverts par l’assurance maladie recule, contrairement à ceux pris en charge par l’aide médicale de l’État, signe d’une plus grande précarité sociale" et "la proportion de sans-abris parmi les femmes qui accouchent s’accroît, particulièrement en Île-de-France". Il y a donc un fort enjeu dans la prise en charge de ces femmes enceintes.

Autre élément qui peut avoir un impact sur la mortalité infantile: l'état de santé des mères. Magali Barbieri pointe notamment leur âge de plus en plus tardif ainsi que la hausse de l'obésité et du diabète en France, qui sont des "facteurs de risques de mortalité infantile". La baisse de la fécondité entraîne aussi une hausse de la part de femmes n'ayant qu'un enfant, tandis que les premières grossesses sont plus à risques, selon Magali Barbieri.

Des difficultés de recrutement

Dans le rapport de leur mission flash sur la mortalité infantile publié en 2022, les députés Anne Bergantz et Philippe Juvin mettaient aussi en avant la pénurie de soignants, "qui entraîne des difficultés de recrutement majorées dans les maternités de petite capacité, fragilise la continuité des soins dans ces structures, facteur pourtant majeur de sécurité et de qualité des soins en périnatalité".

"Concrètement, quand une sage-femme est en train d’accoucher une parturiente, elle n’a pas les yeux en permanence sur le rythme cardiaque des cinq autres fœtus qu’elle est censée suivre en même temps", illustrait début mars, auprès du Nouvel Obs, le journaliste Anthony Cortes, co-auteur avec Sébastien Leurquin du livre-enquête 4,1. Le scandale des accouchements en France. "Résultat: elles disent elles-mêmes passer de plus en plus à côté de signes avant-coureurs", ajoutait-il.

Les acteurs du secteur entendus par la mission flash de 2022 leur ont parlé de "la désorganisation des services dans de nombreuses petites maternités, devenues peu attractives pour les professionnels de santé". "On a fait beaucoup de progrès en néonatalogie, mais cela nécessite des équipements qu'il n'y a pas dans les petites maternités", affirme aussi Magali Barbieri.

Les progrès en néonatologie pourraient aussi, paradoxalement, expliquer la hausse de la mortalité infantile en France. En raison de ces avancées, "on parvient à faire survivre maintenant des nourrissons en situation de très grande prématurité" qui ne survivent pas toujours, mais "qui seraient sans doute décédés avant la naissance et seraient comptés comme morts-nés" sans ces progrès, développe la spécialiste de la mortalité infantile.

Magali Barbieri juge aujourd'hui difficile d'établir clairement les raisons pour lesquelles la France décroche dans ce domaine par rapport à d'autres pays européens, comme l'Italie ou l'Espagne. "C'est une combinaison de facteurs, chacun joue de manière marginale et l'ensemble d'entre eux contribue à ce phénomène", résume-t-elle.

Sophie Cazaux