Interdiction de substances chimiques par l'UE: où les trouve-t-on et quels sont leurs effets sur la santé?

Des couches (photo d'illustration) - JOEL SAGET, AFP/Archives
Des milliers de composés chimiques en passe d'être interdits. Dans le cadre d'une vaste révision de la législation européenne sur les produits chimiques, la Commission européenne a adopté une feuille de route sur la restriction massive de ces substances nocives d'ici à 2030.
Plastiques PVC, bisphénols, phtalates ou retardateurs de flammes... la liste de ces substances dangereuses, aussi bien pour l'environnement que pour la santé humaine, est longue et peut encore évoluer avant que la nouvelle législation ne soit définitivement adoptée.
Tous sont des composés très répandus qui se retrouvent dans de nombreux objets du quotidien, des jouets aux couches, en passant par les rideaux de douche ou les canettes. BFMTV.com se penche sur cinq groupes de ces produits chimiques dans le viseur de la Commission européenne, leur utilisation et leurs effets néfastes sur la santé.
• Les bisphénols
Plutôt que de n'en viser qu'un seul, la Commission européenne souhaite cibler l'ensemble des bisphénols. Car si le bisphénol A est interdit dans la composition des biberons et contenants alimentaires, il en existe d'autres. Dont le bisphénol S, substitut du A, que l'on retrouve dans les canettes, boîtes de conserve ou tickets de caisse. Mais ce dernier est accusé d'être encore plus dangereux que celui qu'il a remplacé.
Utilisés dans la fabrication de plastiques rigides et de contenants alimentaires, les bisphénols sont considérés comme des perturbateurs endocriniens. Pour rappel, ces derniers sont responsables des malformations et problèmes de développement de l'appareil reproducteur, mais aussi mis en cause dans l'apparition des cancers hormonodépendants (comme ceux du sein, de la prostate, de l'endomètre ou de la thyroïde).
"On produit des quantités industrielles de bisphénol, il y en a partout, s'inquiète pour BFMTV.com François Veillerette, le porte-parole de l'ONG Générations futures. On ne contrôle pas le risque car on finit toujours par être exposé."
Impossible d'y échapper, les bisphénols se disséminent partout. "Ces produits sont présents dans l'atmosphère, retombent avec les précipitations et contaminent les écosystèmes, les cours d'eaux et les océans", explique à BFMTV.com Dirk Schmeller, professeur de biologie de la conservation à l'École nationale supérieure agronomique de Toulouse et à l'Université de Toulouse III – Paul Sabatier, qui a récemment publié une étude sur la pollution des lacs de montagne français. Il a ainsi identifié 151 molécules chimiques dans les eaux de huit lacs d'altitude, dont des pesticides, des fongicides et des composés utilisés dans les produits de nettoyage.
Des substances qui s'invitent ensuite dans la chaîne alimentaire. "Et en bout de chaîne, il y a l'humain, poursuit François Veillerette. Aucune molécule de bisphénol ne disparaît jamais vraiment."
• Les phtalates
Les phtalates sont souvent présents dans la composition des plastiques souples et caoutchoucs. Ils permettent d'assouplir ou de plastifier certaines matières pour les rendre élastiques, flexibles ou plus résistantes. Mais on les retrouve bien plus largement au quotidien: en cosmétique, dans les peintures, les vêtements, les jouets mais aussi la nourriture.
L'Echa (Agence européenne des produits chimiques) les classe parmi les substances toxiques pour la reproduction humaine, considérés comme des perturbateurs endocriniens. Des chercheurs estiment même avoir établi un lien entre une exposition à ces perturbateurs endocriniens et des morts prématurées aux États-Unis. Dans une vaste étude, l'Anses a estimé que les phtalates étaient présents dans l'organisme de tous les Français - avec cinq autres substances chimiques dont les bisphénols.
Difficile d'échapper à l'exposition aux phtalates, aussi bien par ingestion (au contact des aliments), inhalation (par les déodorants, parfums, peintures et colles) mais aussi par simple contact avec la peau, notamment via les produits cosmétiques.
"Ce n'est pas la dose qui pose problème mais l'exposition, remarque François Veillerette. C'est une vraie question de santé publique sur laquelle il faut se pencher dès maintenant."
Pour Adeline Loyau, coautrice de l'étude évoquée plus haut et spécialiste des écosystèmes de montagne, ce bain de substances chimiques est d'autant plus inquiétant qu'en se dégradant, elles émettent de nouvelles molécules plus petites dont on ne connaît pas les effets. Un exemple avec le benzothiazole, retrouvé dans les eaux des lacs de montagne.
"C'est une substance cancérogène qui n'est pas fabriquée comme telle par l'industrie chimique mais qui est un sous-produit issu de la dégradation de molécules, notamment dans les herbicides, indique-t-elle à BFMTV.com. On ne connaît pas tous les processus de dégradation de ces molécules, leurs effets et encore moins leurs interactions."
• Les retardateurs de flammes
Ces agents aux propriétés ignifuges sont intégrés à la fabrication de nombreux objets: les mousses synthétiques des matelas, les couches, les ordinateurs, les vêtements ou encore les meubles rembourrés, comme les canapés, chaises hautes ou sièges de voiture.
Dans un rapport qui date de 2015, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) évoquait déjà la toxicité des retardateurs de flamme (RF) et leurs effets "cancérogènes", "neurotoxiques" ou "reprotoxiques".
"Il n'est pas exclu que même à des niveaux d'exposition très bas, des effets plus ou moins importants sur la santé puissent se produire à long terme, en particulier pour les personnes les plus sensibles (enfants, femmes enceintes)", conclu l'Anses.
D'autant que ces substances - dont l'efficacité n'est pas toujours démontrée, selon l'Anses - persistent dans le temps, polluant durablement les foyers. "Les données disponibles indiquent la présence, dans l'air intérieur et dans les poussières des domiciles, de plusieurs RF utilisés dans les meubles rembourrés."
• Les perfluorés, ou PFAS
On les appelle aussi les "polluants éternels". Car les perfluorés, ou PFAS, sont particulièrement persistants, aussi bien dans l'environnement que dans l'organisme. C'est une grande famille de près de 4500 composés différents, utilisés pour leurs propriétés antiadhésives ou anti-tâches. On les retrouve donc dans les revêtements antiadhésifs (des poêles aux cartons), mais aussi dans les vêtements imperméables, les peintures, vernis et enduis, ou encore dans les crèmes solaires. Et ils sont omniprésents dans les emballades alimentaires.
"Vous en avez dans les cornets de frites, les boîtes à pizza recouverts de produit déperlant, détaille François Veillerette, de Générations futures. Une fois dans l'environnement ou ingérés, ils ne se dégradent pas et s'accumulent au fil des années."
L'Echa indique ainsi que les PFAS sont à la fois toxiques pour la reproduction humaine, peuvent nuire au développement du fœtus et certains sont également accusés de causer des cancers et de perturber le système endocrinien.
"On a fréquemment observé une contamination des eaux souterraines, des eaux de surface et du sol par les PFAS, détaille l'Echa. Le nettoyage des sites pollués est techniquement difficile et coûteux. Si elles continuent à être rejetées, elles ne cesseront de s'accumuler dans l'environnement, dans l'eau potable et dans les aliments."
Ce sont des constituants naturels du charbon et du pétrole. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont émis lors de la combustion incomplète de matières organiques, comme les carburants, le bois ou le tabac.
Leur toxicité varie d'un composé à l'autre mais certains ont un fort potentiel pour se concentrer dans les organismes. Comme le benzo(a)pyrène, un des HAP les plus toxiques, classé dans le groupe des substances les plus dangereuses par l'IARC (le Centre international de recherche sur le cancer de l'ONU). D'autres HAP sont classés cancérogènes probables, comme le dibenzo(a,h)anthracène.
"Pour un non fumeur, la principale voie d'exposition aux HAP est l'alimentation: la contamination des aliments peut se faire par dépôt atmosphérique (végétaux), accumulation dans les espèces animales (viandes, poissons), ou lors de la préparation des aliments au charbon de bois", explique le site Cancer-environnement.
Récemment, des HAP ont été identifiés dans des couches pour bébé mais on en retrouve aussi dans la fabrication de panneaux de bois, de peintures, de produits béton, de revêtements routiers, de faïencerie ou encore dans la cuisson friture des aliments. Des HAP se retrouvent ainsi dans les viandes et poissons fumés.
La révision de la législation européenne sur les produits chimiques peut envore évoluer, notamment s'enrichir, précise la Commission européenne. "S'attaquer à cette pollution à la source, c'est la meilleure idée qu'on pouvait avoir si les lobbys industriels ne freinent pas les États", s'enthousiasme François Veillerette, le porte-parole de l'ONG Générations futures.
"C'est bien mais 2030 c'est loin, s'alarme la chercheuse Adeline Loyau. Cela signifie encore près de dix ans d'exposition à ces molécules. Ma crainte, c'est qu'elles soient remplacées par d'autres molécules tout aussi dangereuses. On devrait appliquer le principe de précaution et pendant ce temps-là, on joue avec la santé des gens."