"Franchement, ça fait peur": dans l'Aisne, après les intoxications alimentaires en série, la psychose s'installe chez les parents

De l'épidémie à la rumeur, il n'y a qu'un pas. En quelques jours, 19 enfants de Saint-Quentin (Aisne) ont été victimes d'intoxications alimentaires ayant coûté la vie à une fille de 12 ans. Et depuis, le sujet est sur toutes les lèvres et est devenu l'objet d'une véritable psychose.
"Devant l'école, on ressent ce climat-là, il y a beaucoup de parents inquiets", raconte sur le parking de l'établissement Élodie, qui vient déposer sa petite fille qui, elle, ne déjeune pas à la cantine. Devant la grille, après l'heure du déjeuner ce lundi 23 juin, les parents échangent discrètement. Les théories fusent, parfois jusqu'à frôler le complotisme.
"Je suis très inquiet, surtout qu'il y a quelques jours, dans la poste de Saint-Quentin, ils ont retrouvé une enveloppe avec de la poudre dedans. Je ne veux accuser personne, mais je me demande s'il ne s'est pas passé quelque chose en lien avec cette poudre", s'interroge à la grille de l'école primaire Gérard, un père de 63 ans.
À deux pas de l'hôpital, une famille confie avoir vu sur Facebook d'autres informations, pourtant démenties, mettant en cause l'eau potable. "À ce qui paraît, il faut éviter de boire l'eau du robinet. On entend tellement de choses sur internet qu'on a peur, on fait attention à tout", témoigne une mère de deux garçons, dont l'un souffrirait de symptômes tout comme son mari.
Depuis une dizaine de jours et l'apparition des premiers cas, l'angoisse monte. Des interrogations et théories qui ont le temps de s'installer, alors que les incertitudes s'accumulent depuis le départ. Quelle est l'origine exacte de cette série noire? Les suspicions se tournent vers de la viande vendue dans six boucheries dont deux rayons de supermarchés.
Un phénomène hyper localisé qui réveille le douloureux souvenir de l'affaire Buitoni, où des pizzas confectionnées dans le nord avaient entraîné la mort de deux enfants après l'apparition de la même bactérie, E.coli.
"Le directeur m'a appelé ce matin pour me dire de venir chercher ma fille"
Dans la ville de 50.00 habitants environ, il n'est pas difficile de tomber sur des personnes affectées par cet épisode. "Quelqu'un de ma famille a été touché, un enfant de sept ans qui est hospitalisé et dans le coma. Franchement, cela me fait vraiment très peur", nous raconte, préoccupée, Khaoula, une mère de six enfants récemment installée dans la commune.
"Je surveille mes enfants, surtout la nuit, mais pour l'instant, ils n'ont pas de symptômes. J'évite totalement d'acheter de la viande, cela me fait trop peur", ajoute-t-elle.
Pour les familles, la vie a changé abruptement. Certains arrêtent totalement de consommer de la viande, vident leurs frigos et récurent compulsivement leurs congélateurs. D'autres retirent leurs enfants des cantines malgré l'absence de lien avec les intoxications. Et le moindre mal fait apparaître des inquiétudes exacerbées.
"Le directeur m'a appelé ce matin pour me dire de venir chercher ma fille, elle a des vomissements… Il ne faut pas paniquer non plus, ça n'a peut-être rien à voir, il a fait très chaud ce week-end. Mais on est inquiets, comme tous les parents, surtout après que la petite soit décédée", raconte Gérard, qui dit avoir fait un barbecue quelques jours plus tôt.
Un nombre restreint de vendeurs de viande ont vu leurs commerces fermés le temps des enquêtes sanitaires menées par les services de l'État. Mais il n'en aura pas fallu davantage pour pousser les habitants à se tourner temporairement vers un régime végétarien. "Aujourd'hui j'ai eu une quinzaine, contre 50 à 80 en temps normal", souffle Fabrice, un charcutier de la ville dont le commerce reste ouvert.
"Je crois que tout le monde a peur, on entend beaucoup de versions alors on ne sait pas vraiment. Les gens ne veulent plus manger de viande, mais on ne sait pas si c'est le bœuf, le mouton... On ne sait rien", regrette l'artisan. Des analyses dont les résultats sont attendus pour la fin de la semaine devraient permettre d'élucider cette question.
Plus de 200 appels à une ligne pour les parents inquiets
Dans ces circonstances exceptionnelles mélangeant angoisses et inconnues, la préfecture a décidé de la mise en place d'une cellule d'information et d'écoute. Les sonneries s'y enchaînent comme autant de messages de détresse. Un flot de questions de parents qui cherchent à être rassurés pour leurs enfants ou pour eux même, et plus de 200 coups de fil en trois jours.
"Je vous arrête, ça ne touche pas les desserts ni les frites...", assure à une mère Nadine Lombardi, adjointe au directeur de cabinet pour la préfecture de l'Aisne, pendant un échange.
"Nous répondons à tous les appels dont la population aurait besoin, on a principalement des habitants inquiets pour leurs enfants et eux-mêmes après avoir acheté des viandes (...) S'il y a des symptômes, nous les renvoyons vers le 15", explique la directrice des sécurité au sein de la préfecture.
L'objectif: rassurer, ficher les situations de chacun et distiller les bonnes pratiques. Si de la viande problématique a été achetée et reste dans le réfrigérateur ou le congélateur, il faut s'en débarrasser. Suivre les consignes d'hygiène élémentaires comme le lavage de mains. Et, surtout chez les plus jeunes, surveiller l'apparition potentielle de symptômes.
Des précautions qu'il faudra garder tant que l'alerte ne sera pas levée. Sur le plan sanitaire, les investigations se poursuivent. Mais après la mort d'une petite fille ces hospitalisations vient aussi le temps de la justice. Le parquet de Saint-Quentin a annoncé l'ouverture d'une enquête préliminaire contre X "des chefs 'd'homicide involontaire', 'blessures involontaires', 'mise en danger de la vie d'autrui' et 'tromperie sur la marchandise présentant un danger pour la vie humaine'", selon un communiqué.