Cluster dans une discothèque à Bordeaux: les contrôles dans les boîtes de nuit sont-ils suffisants?

À n'en pas douter, il s'agit du secteur économique qui a le plus pâti du Covid-19 et des mesures prises depuis près d'un an et demi pour en contrecarrer les ravages. Mais depuis le vendredi 9 juillet, les discothèques respirent puisque, de nouveau, les noctambules y transpirent. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes (de la nuit)? Pas vraiment: de premières alertes émergent déjà. Ainsi, depuis ce week-end, le nombre de cas grandit parmi les personnes ayant fréquenté les soirées de reprise organisées au sein de l'établissement du Hangar FL à Bordeaux.
Et en-dehors des défaillances éventuelles dans l'application des mesures à observer, pointées par plusieurs clients, c'est la suffisance de la stratégie mise en place qui se trouve interrogée.
Un foyer qui fait tache d'huile
Le vendredi 9 juillet, 670 personnes fêtaient la réouverture du Hangar FL, une boîte située au 6 Quai de la Souys, à Bordeaux. Le 15 juillet, deux cas d'infection étaient signalés parmi ces fêtards auprès de l'ARS girondine. Samedi, ce bilan s'est porté à 21. Depuis dimanche et une communication de la préfecture de Gironde, on chiffre même les infectés à 35, parmi ceux qui ont franchi les portes du Hangar FL lors des soirées des 9, 10 ou 13 juillet.
Bien sûr, on scrute en premier lieu le respect des conditions d'entrée dans la boîte de nuit bordelaise. Celles-ci sont celles en vigueur dans l'ensemble des discothèques de France: pour accéder aux dancefloors, il faut disposer d'un pass sanitaire, soit plus précisément pouvoir présenter un schéma vaccinal complet (chose rare cependant parmi la jeune population la plus susceptible de se rendre en discothèque, au vu du calendrier de la vaccination) ou un test PCR ou antigénique négatif, réalisé dans les 48 heures précédant la venue. Il existe une troisième possibilité: la production d'un test de même nature attestant d'un rétablissement du virus vieux de plus de 15 jours mais de moins de six mois.
Des failles?
Thierry Coste, gérant de la société HFL Productions, co-organisatrice de la soirée, a protesté samedi dans les colonnes de Sud Ouest, assurant que tout avait été fait "dans les règles" et notant: "80 personnes ne sont pas venues ou ont été refoulées parce qu’elles n’étaient pas les clous".
Après avoir vérifié le QR code associé au résultat du test, encore faut-il, cependant, établir que celui-ci correspond bien à l'identité de la personne qui s'en est munie. Et c'est là que le bât a blessé, selon plusieurs témoignages dont celui de cette jeune fille au micro de BFMTV:
"Quand on est arrivé, les pass sanitaires n’étaient pas très bien contrôlés. On a même une amie qui a réussi à entrer sans pass. On nous a dit d’enlever le masque, que ce n’était pas nécessaire. (…) Personnellement, je suis positive depuis deux jours."
"Il peut y avoir des failles", a reconnu Philippe Bernard, le gérant du Hangar FL dimanche auprès de l'antenne locale de France Bleu. Le même homme s'est interrogé à haute voix auprès de Sud Ouest: "Le protocole est-il efficace? Je ne suis pas médecin pour le savoir".
Car au-delà des entourloupes individuelles ou du cas d'une seule boîte de nuit - il y a quelques jours on avait d'ailleurs remarqué l'infection d'au moins 165 des 600 participants à une soirée tenue dans un club d'Enschede aux Pays-Bas, qui ont pris depuis la décision de refermer provisoirement les établissements de nuit - la fiabilité des tests au regard du délai fixé expose à des difficultés, selon la recherche scientifique. On pense ici à la thématique des faux négatifs, c'est-à-dire la possibilité de voir un test proclamer que le sujet est sain alors qu'il est pourtant contaminé par le virus.
Un paradoxe, deux situations
Ce paradoxe apparent peut provenir de deux situations bien distinctes. Tout d'abord, on ne peut écarter l'hypothèse de tests ponctuellement défectueux malgré un niveau de charge virale en principe détectable. Mais c'est la seconde dimension qui s'avère plus problématique: 48h avant l'apparition des symptômes, la charge virale du patient est trop basse pour être détectée, d'après une étude publiée le 28 avril dernier dans la revue scientifique Nature.
Dans un graphique tiré de ces travaux et relayé sur Twitter par le journaliste Vincent Glad dimanche, il apparaît ainsi que l'indice de faux négatif est de 1 à trois jours du début des symptômes, et de 0,7 encore la veille.
Un taux de faux négatifs allant de 17 à 48% avant les symptômes
En lisant la synthèse de l'étude dans son détail, on s'aperçoit plus précisément que le taux potentiel de faux négatifs - parmi la population de 10.000 individus suivie - évolue de 17 à 48% lors de ces journées cruciales. Le seuil pour la constitution d'une charge virale suffisamment élevée pour être repérée est jaugé à 2,4 jours avant la manifestation des signes extérieurs du mal d'après ce travail d'experts piloté par les chercheurs Katherine F. Jarvis et Joshua B. Kelley, rattachés à l'Université du Maine aux Etats-Unis.
Des statistiques d'autant plus préoccupantes que la probabilité d'une transmission décolle nettement deux jours avant l'apparition des symptômes: 44% des contagions s'opèrent ainsi, assure le rapport, avant celle-ci.
Les biologistes ne veulent pas d'un raccourcissement des délais
La messe serait dite, par conséquent, d'un point de vue sanitaire. Oui et non. Les principaux intéressés ne reprennent pas l'idée d'imposer des tests plus frais dans ces lieux.
"On ne va pas se cacher, on n'est pas favorable à réduire encore les délais", nous confie Morgane Moulis, vice-présidente du Syndicat des biologistes médicaux. Certes, elle ne relativise pas les enjeux: "Plus on réduit les délais, plus le négatif sera fort. (...) Pour les boîtes de nuit, on devrait presque réduire la validité du résultat à 4 heures avant la venue".
"Mais en pratique, il y a toujours des difficultés, et le système est déjà suffisamment compliqué", avertit Morgane Moulis. Ces obstacles tiennent à la fois à l'organisation, à la faisabilité de tests aux délais plus brefs et à la dimension politique d'un tel revirement. Tout d'abord, exiger la production de résultats d'un test réalisé, par exemple, dans les 24 heures reviendrait à "réduire la possibilité de se rendre en laboratoire pour faire le fameux test", observe la vice-présidente du Syndicat des biologistes médicaux qui ajoute: "les week-ends, il y a bien des drives ouverts mais ce sont des permanences".
D'où des tensions probables du point de vue de l'affluence et la menace d'une dissuasion pour les patients. "On risque d'autant plus des manquements, même si des gens sans test négatif en principe n'entreraient pas en boîte de nuit si le système était pleinement fonctionnel", glisse notre interlocutrice. De surcroît, la saturation éventuelle des laboratoires alors dépassés par le rythme à tenir pourrait conduire à des "mécontentements, une agressivité" dont les professionnels se passeraient bien, pose Morgane Moulis.
Mais si le dispositif souffre de carences, ne vaudrait-il pas mieux choisir de fermer ces établissements particulièrement vulnérables aux transmissions?
"Economiquement, ça a été très difficile pour eux, alors si en plus on referme au bout de trois ou quatre semaines...", remarque la biologiste qui rappelle que l'effet hospitalier ne se lira que dans quelques temps. Et elle recommande à ce stade de surveiller le nombre des hospitalisations d'ici une semaine ou dix jours.
L'exécutif soutient toujours le dispositif
De toute façon, pour le moment, les autorités n'ont pas prévu d'adapter la réponse politique. Invité ce lundi matin du plateau des 4 Vérités de France 2, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, cheville ouvrière des tractations avec les discothèques, a soutenu:
"On a beaucoup travaillé avec les discothèques. On a regardé les mesures qui étaient les plus adaptées. Nous sommes tombés d'accord pour dire que le pass sanitaire était la bonne formule. A partir du moment où on a un accord, on le tient et nous voulons tenir cet accord, on garde les boîtes de nuit ouvertes avec une obligation de pass sanitaire".
Il a en revanche mis en garde: "Mais ça dit très bien ce qui nous menace si on laisse filer la pandémie, si on laisse filer le variant Delta et qu'on laisse exploser les contaminations. Le risque, c'est effectivement de revenir à une situation que nous faisons tout pour éviter, avec tout le gouvernement et l'exécutif, le retour aux mesures de confinement."
Devant le foyer qui s'est déclaré autour de l'établissement bordelais, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a prêché l'intransigeance, sans pour autant que ce rappel à l'ordre augure de nouvelles orientations sanitaires. Il a demandé au préfet davantage de fermeté dans l'application des mesures convenues, et a souligné la menace d'une fermeture administrative de tout établissement convaincu de manquements et de contrôles défaillants.
