Cancer du sein: faut-il vraiment avancer l'âge de dépistage des femmes avant 50 ans?

Une statue de femme se couvrant partiellement la poitrine. - Flickr - CC Commons - Corey
Une femme sur huit développe un cancer du sein au cours de sa vie, selon les chiffres de Santé Publique France. Alors que près de 62.000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année à l'échelle nationale, le gouvernement propose d'abaisser l'âge de dépistage organisé du cancer du sein, recommandé pour les femmes de 50 à 74 ans.
Actuellement, une mammographie doit être répétée tous les deux ans entre 50 et 74 ans. Il est également recommandé dès 25 ans d'avoir une palpation par un médecin, un gynécologue ou une sage-femme tous les ans.
80% des cancers du sein surviennent après 50 ans
Mais la question du dépistage se pose en cette journée de lutte contre le cancer, alors que de plus en plus d'études font état d'une hausse du nombre de cancers (du sein, mais pas seulement) chez une patientèle plus jeune. "Il y a une réelle question de savoir comment mieux prévenir et mieux dépister ces cancers qui surviennent chez des femmes plus jeunes", alertait il y a quelques jours Anne-Vincent Salomon, directrice de l'Institut des cancers des femmes de l'Institut Curie à Paris, sur France Inter.
Pour autant, les spécialistes du cancer ne sont pas tous favorables à l'idée d'abaisser l'âge de dépistage à avant 50 ans, contrairement à ce que l'on pourrait croire. "Cela ne va pas de soi", déclare à BFMTV.com Corine Balleyguier, radiologue et cheffe du département d'imaginerie médicale à l'Institut Gustave-Roussy, spécialisé dans la lutte contre le cancer.
D'abord tout simplement parce que les tranches d'âge avant 50 ans ne sont pas celles qui sont le plus à risque de développer un cancer du sein, à en croire le taux d'incidence par tranches d'âge. Selon elle, le taux d'incidence passe du simple au double entre 40 et 60 ans car "il y a un pic, ou une réelle accélération du risque" à ce moment-là de la vie: ce chiffre s'établit à 6 cas pour 1000 femmes chez les femmes de 50 ans, contre 3 cas pour 1000 chez celles de 40 ans.
"On a toutes dans son entourage des femmes jeunes qui ont eu des cancers, donc je comprends que ça marque tout particulièrement, d'autant que leur nombre est en hausse... Mais globalement 80% des cancers du sein arrivent après 50 ans donc ceux qui se déclenchent avant ne représentent pas la majorité", avance la radiologue, pour qui avancer l'âge n'est pas "forcément une bonne idée".
Les mammographies pas préconisées à un jeune âge
Ainsi, elle ne préconise pas la mammographie pour les jeunes femmes. "Ce n'est pas forcément un bon examen pour les femmes jeunes qui ont les seins denses. Cette densité de la glande mammaire rend les images moins lisibles. Qui plus est, ce sont des rayons X donc on ne le propose pas à 20 ans, à l'âge où le sein est sensible. C'est plutôt délétère et ça peut aussi se montrer inefficace".
Alors pourquoi ne fait-on pas d'échographies de contrôle, d'IRM et de mammographies à tout le monde? "Premièrement on n'est pas sûrs d'avoir assez de machines pour tout le monde mais c'est pas forcément le premier problème", pointe Corine Balleyguier. Le risque réside aussi dans la possibilité de découvrir des faux positifs.
L'échographie de contrôle, par exemple, n'est pas idéale lorsqu'on n'a pas une idée précise de ce qu'on cherche. "Il n'y a pas aujourd'hui de contrôle qualité donc les échographes ne sont pas égaux entre eux et ça va beaucoup dépendre du temps qu'a passé l'échographiste sur la poitrine".
Puis "avec ce genre d'examens, on va nécessairement trouver un tas de petits nodules, des images à première vue anormales alors qu'il s'agit de nodules absolument bénins et normaux", explique la spécialiste. "Ce qu'on appelle des faux positifs, parmi lesquels il va ensuite falloir faire le tri, ce qui peut amener à faire des biopsies pour rien".
"Ce type de geste invasif représente toujours un risque -même minime-, un coût, un stress pour les patientes, et ça peut effrayer ou décourager des femmes à faire leurs examens de dépistage plus tard, à l'âge où cela est vraiment nécessaire".
La piste du dépistage personnalisé
Plutôt que de raisonner en terme d'âge de façon arbitraire, la spécialiste du dépistage oncologique propose ainsi de réfléchir en termes de facteurs de risque personnalisé. "Cela ne dépend pas uniquement du facteur âge. On peut tout à fait imaginer une femme de 70 ans qui ne présente pas de risque particulier en comparaison à une femme de 35 ou 40 ans", développe la responsable du département d'imagerie médicale.
"Nous ne sommes pas tous égaux face au risque de développer un cancer: il faut prendre en compte les antécédents familiaux, le mode de vie, le poids, l'alimentation, la consommation d'alcool et de tabac, le niveau de densité mammaire".
Selon elle, mieux vaudrait donc "s'intéresser aux facteurs de risque et concentrer plus d'énergie sur les femmes qui en ont le plus besoin", même si elle reconnaît que la question du dépistage chez les femmes de 40 à 45 ans se discute. Selon elle, la question est "très débattue" au sein de la communauté médicale. En 2022, de nouvelles recommandations de la Commission européenne proposaient d'élargir le dépistage de la maladie de 45 ans à 74 ans.
"L'idée n'est pas aberrante car il est vrai que le risque est pas si différent que ça pour les femmes entre 45 et 50 ans. Donc s'il y avait quelque chose sur lequel on pourrait bouger, ça pourrait être ça".
Un taux de dépistage beaucoup trop faible
Corine Balleyguier reste toutefois sceptique sur l'efficacité d'une telle mesure, dans le sens où actuellement, les femmes qui sont élligibles au dépistage organisé en France ne sont que 46% à effectuer les dépistages recommandés. Un chiffre qui tend d'ailleurs à baisser, selon Santé Publique France.
En attendant, des programmes de dépistage personnalisés voient le jour un peu partout dans le monde, dont en France. À l'échelle européenne, l'étude My Pebs (my personnal breast screaning) coordonnée par le Dr Suzette Delaloge invite 20.000 femmes françaises à tester une approche personnalisée du dépistage en tenant compte du risque individuel. À l'institut Gustave-Roussy, des parcours de prévention existent aussi pour des patients spécifiquement à risque comme celles porteuses des gènes BRCA1 et 2, tels que le programme "Interception".
Enfin, la radiologue Corine Balleyguier estime que si on commence à réfléchir à abaisser l'âge de début du dépistage du cancer du sein, il faut aussi réfléchir à l'élargir l'âge au-delà des 74 ans actuellement préconisés. "Les femmes vivent de plus en plus longtemps et le risque d'attraper un cancer du sein ne s'arrête pas à 74 ans. Bien qu'il s'agisse souvent de cancers moins agressifs, ce risque a plutôt tendance à aumenter avec l'âge", suggère la spécialiste.