BFMTV
Parlement

"Obstruction" ou "amélioration du budget": avant l'hypothèse du 49.3, les députés se renvoient la balle

Charles de Courson à l'Assemblée le 23 octobre 2024

Charles de Courson à l'Assemblée le 23 octobre 2024 - JULIEN DE ROSA / AFP

Face à des débats qui s'enlisent à l'Assemblée nationale, la gauche ferraille avec la coalition présidentielle. La droite refuse de retirer des amendements tandis que Renaissance tout comme le NFP espèrent encore aller au vote. Le tout risque de se conclure par un 49.3.

Des accusations mutuelles. À un peu moins d'une journée de la fin programmée des débats sur la première partie du budget, le camp gouvernemental est accusé par la gauche de ralentir volontairement les débats. La droite assume alors que Renaissance a accepté de retirer des amendements.

"Tout cela est gravissime pour le débat démocratique", a tancé dans l'hémicycle Mathilde Panot, la présidente des députés insoumis.

Réponse de Laurent Saint-Martin, le ministre de l'Économie: "nous voulons avoir pour une fin des débats dès cette fin de semaine", plaidant pour l'accélération des échanges. Issu des rangs de la macronie, le locataire a cependant défendu "le respect du Parlement".

"On encore pu débattre quelques jours"

Autant dire que dans les rangs de l'Assemblée, personne ne veut manifestement être accusé d'être responsable d'un recours au 49.3, cette cartouche institutionnelle qui met fin aux débats sans vote tout en permettant d'adopter le budget.

D'un côté, la gauche affiche sa volonté d'avancer tandis que le gouvernement n'a de cesse de se dire à l'écoute. Pour preuve de sa bonne volonté : le ministère des Relations avec le Parlement a allongé les délais et permis aux députés de siéger jusqu'à samedi soir alors que le débat devait se finir ce vendredi soir.

"On aurait encore pu débattre quelques jours je pense. Mais c'était trop compliqué avec le budget de la sécu qui doit commencer lundi prochain", explique un député macroniste à BFMTV.com.

Il faut dire que même avec le nouveau délai, les débats risquent de tourner court. À la mi-journée, ce vendredi, les députés n'en étaient qu'à l'article 7 sur 64, après 5 jours de débat.

"On ne va pas nous reprocher de vouloir améliorer le budget"

Il semble donc très peu probable que le volet recettes, actuellement en examen, puisse être étudié entièrement d'ici samedi soir. Pour accélérer les débats, la gauche a accepté de retirer 270 amendements. Mais c'est n'est pas suffisant et pour cause : plus de 3.650 amendements ont été déposés par les députés dont 45% rien que par la coalition présidentielle.

Les députés Renaissance ont bien accepté de retirer une centaine d'amendements. Mais pas question pour la droite qui a déposé 20% des amendements de faire de même.

"On ne va quand même pas nous reprocher de vouloir améliorer ce budget", lance un collaborateur parlementaire de droite.

Véronique Louwagie, la vice-présidente LR de la commission des Finances, elle, assume. "Le budget, c'est la déclinaison de toutes les politiques publiques du pays qui intéressent les Français. Il y a énormément de sujets donc beaucoup d'amendements", juge cette spécialiste du budget.

"Tout ce petit monde LR fait de l'obstruction avec le soutien de Michel Barnier, c'est une évidence", s'agace, lui, le député Richard Ramos.

L'idée derrière la tête de Matignon pour le centriste: la volonté de laisser délibérément se prolonger les débats avec l'objectif d'entrer dans le champ de l'article 47 de la Constitution.

L'option de l'article 47, une option "très pratique"

Cela contraindrait l'Assemblée, si elle n'arrivait pas à se prononcer en première lecture sur le budget qui comporte encore un volet dépenses à étudier, de le transmettre directement au Sénat au bout de 40 jours - soit le 21 novembre.

La chambre haute, à majorité de droite, pourrait alors reprendre largement les mesures gouvernementales avant que le budget ne revienne en commission mixte paritaire, cet organe qui réunit sénateurs et députés pour trouver une version commune du texte.

"C'est très pratique pour Michel Barnier. Il joue sur du velours avec les sénateurs et il peut dire qu'il a laissé débattre longuement les députés", sous-texte le Modem Richard Ramos.

De quoi lui permettre de continuer à afficher la posture d'homme de dialogue qu'il peaufine depuis son arrivée à Matignon.

Budget : le gouvernement agite le 49.3 – 23/10
Budget : le gouvernement agite le 49.3 – 23/10
44:04

Vers "un échec collectif démocratique"

Mais le recours à l'article 47, jamais utilisé jusqu'ici dans toute l'histoire de la Ve République, pourrait sérieusement faire monter la température à l'Assemblée.

"Il faut des votes et des débats". Sans cela, "les Français vont se demander à quoi sert l'Assemblée, ce sont toutes nos institutions démocratiques qui seraient fragilisées", s'inquiète le député Renaissance David Amiel.

"Ce serait un échec collectif démocratique" si "nous ne pouvons pas finir" ce premier volet du projet de loi de finances, regrette encore cet ex collaborateur d'Emmanuel Macron.

En attendant, le 49.3 qui permet d'adopter un texte sans vote est toujours sur la table. Elle aurait également le mérite de lui permettre de continuer à afficher une posture d'écoute. Son recours potentiel a été avalisé ce mercredi en Conseil des ministres, sans que cela signifie forcément qu'il soit bien utilisé.

Un nouveau casse-tête la semaine prochaine

49.3 ou pas ce samedi, la copie gouvernementale devrait continuer à être profondément remaniée dans les prochaines heures. Sans grande mobilisation du camp présidentiel qui oscille entre agacement et frustration, la gauche avance ses pions.

Taxation pérenne sur les très hauts revenus et non temporaire comme le souhaitait le gouvernement, nouvel impôt sur le patrimoine des milliardaires... Pas question pour la gauche qui se surmobilise en séance de se passer de quelques victoires politiques.

Elles ne devraient cependant pas aller très loin. En cas de 49.3, le gouvernement peut reprendre à son profit les amendements qu'il souhaite. Le casse-tête est cependant loin d'être fini: lundi, les débats s'ouvrent pour le budget de la sécurité sociale avec là aussi le spectre du 49.3 qui rôde.

Marie-Pierre Bourgeois