Dénonciation des accords entre la France et l'Algérie: Éric Ciotti pensait décrocher une victoire mais retire finalement son texte

Éric Ciotti et Emmanuel Macron à Nice le 6 juin 2025 - Ludovic MARIN / POOL / AFP
Encore un essai. Déjà débattue dans l'hémicycle en 2023, la fin des accords entre la France et l'Algérie signés en 1968 aurait dû revenir dans l'hémicycle ce jeudi matin à l'occasion de la niche parlementaire de l'Union des droites pour la République (UDR), le groupe de députés d'Éric Ciotti.
"On est très optimiste. On a fait nos calculs et on a une grande chance de remporter une victoire", saluait en amont la députée Hanane Mansouri auprès de BFMTV.
Marche arrière
Cette journée, qui permet à chaque groupe parlementaire d'avoir la main une fois par session sur l'agenda de l'Assemblée nationale, pouvait en effet donner le sourire aux alliés de Marine Le Pen. Sur le papier, la fin de ces accords avait toutes les chances de passer dans l'hémicycle, avec le soutien des députés LR.
Mais Éric Ciotti a finalement préféré changer son fusil d'épaule, décidant ce jeudi matin, après l'ouverture des discussions, de finalement le retirer de l'ordre du jour.
"Ce débat parlementaire intervient à quelques jours, le 1er juillet, de la décision, du verdict qui concerne notre compatriote Boualem Sansal", a expliqué le député des Alpes-Maritimes.
"L'objectif pour nous est la libération de Boualem Sansal, une grande voix de paix, un grand écrivain, et dont nous avons aujourd'hui l'ardente obligation de soutenir le combat et d'éviter la poursuite du calvaire qu'il subit", a encore poursuivi l'ancien président des LR.
Calmer le jeu avec Alger
Le sous-titre est clair: alors que l'écrivain franco-algérien, arrêté de façon arbitraire par l'Algérie à l'automne dernier pourrait se voir infliger une peine de prison de 10 ans, conformément aux réquisitions de la Cour d'appel d'Alger, pas question de mettre de l'huile sur le feu avec la diplomatie algérienne.
Et tant pis si l'accord entre la France et l'Algérie est l'objet de très vives critiques de la part de la droite et de l'extrême droite, à commencer par le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau.
Cet accord, qui a vu le jour six ans après l'indépendance de cette ancienne colonie française, a créé un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d'emploi.
Il visait à l'origine à faciliter l'immigration économique pour répondre au fort besoin de main d'œuvre dans l'Hexagone au début des Trente glorieuses. Concrètement, il contient aujourd'hui des mesures qui assouplissent l'arrivée et la délivrance de titres de séjour aux ressortissants algériens.
"Union sacrée" à droite avec le RN et Éric Ciotti
D'après un rapport de la direction générale des étrangers en France, 646.462 titres de séjour à des ressortissants algériens ont été accordés en 2023, loin devant les autres pays.
De quoi susciter des crispations chez Éric Ciotti, Jordan Bardella ou encore Bruno Retailleau qui veulent tous les trois une nette réduction de l'immigration en France, les poussant à mêler leurs voix contre l'accord entre la France et l'Algérie.
"Sur des jours de niche parlementaire, il y a souvent peu de monde et ceux qui viennent sont les plus motivés. On va avoir une sorte d'union sacrée des députés de toute la droite de l'hémicycle avec une gauche qui ne sera pas là", prédisait ainsi un député LR ce mercredi soir.
En décembre 2023, les députés LR dont le parti était alors dirigé par Éric Ciotti, avaient soutenu une proposition de résolution pour mettre fin aux accords de 1968. Si la droite avait finalement enregistré un échec, les députés Horizons et RN avaient largement voté pour. Le texte avait récolté 114 voix et 151 voix contre.
Ce jeudi matin, si le RN et ses alliés de l'UDR, les LR et Horizons avaient fait le plein sur cette résolution, ils auraient pourraient récolter jusqu'à 222 voix, soit une large victoire en cas de faible mobilisation sur les autres bancs.
"On va bien sûr voter pour. On ne va pas se déjuger juste parce que c'est porté par Éric Ciotti. Les Français ne comprendraient pas qu'on défende quelque chose et qu'on ne le soutienne pas quand c'est dans l'hémicycle", expliquait encore le député Horizons Jérôme Patrier-Latrus ce mercredi soir.
Gêne du camp présidentiel
Quant à la macronie, elle avait choisi jusqu'ici de temporiser. Si certains à Renaissance reconnaissent que cet accord n'est plus "opérationnel", à l'instar de la vice-présidente du groupe Marie Lebec, le choix avait été de ne pas voter pour cette proposition de résolution.
"On va quand même peut-être avoir 2 ou 3 députés qui vont voter ce texte pour dire qu'il faut arrêter que l'Algérie nous prenne pour des idiots", reconnaissait cependant en amont un cadre du groupe.
En cas d'adoption de cette proposition de résolution, avec ou sans voix macronistes, Emmanuel Macron aurait eu toutes les chances de s'agacer. Si ce texte n'a pas de valeur contraignante pour le gouvernement, son adoption aurait tout eu d'un puissant symbole, en donnant du grain à moudre au ministre de l'Intérieur.
Prérogatives de l'Élysée
Sous pression de Bruno Retailleau, le Premier ministre François Bayrou avait promis de "réexaminer en totalité" les accords de 1968 en février dernier. Depuis, la question est au point mort.
Il faut dire que jusqu'ici, le chef de l'État a toujours fait le dos rond, d'abord par principe. La diplomatie est le "domaine réservé" du président et Emmanuel Macron n'a nullement l'intention de toucher aux accords entre la France et l'Algérie sous la pression des députés et du gouvernement.
Dans un contexte de très nette dégradation des relations entre Paris et Alger, le locataire de l'Élysée ne souhaite pas non plus aggraver les tensions entre les deux pays.
"On ne va pas dénoncer de manière unilatérale les accords de 1968", avait d'ailleurs indiqué de façon très claire le chef de l'État en février dernier, quelques jours à peine après la volonté de François Bayrou de poser le sujet sur la table.
Agacement
En cas de vote de cette résolution, Emmanuel Macron aurait très probablement faire savoir son agacement vis-à-vis des troupes d'Édouard Philippe à l'Assemblée. Quand les députés Horizons avaient déjà voté en décembre 2023 la proposition de résolution pour mettre fin à ces accords, le président avait déjà été fort mécontent.
"Je n’avais pas compris que la politique étrangère de la France était définie au Parlement", avait alors ironisé le président de la République lors d'un conseil des ministres.
La manœuvre n'avait cependant rien d'une surprise: quelques mois plus tôt l'ex-Premier ministre avait appelé à dénoncer les accords entre la France et l'Algérie dans les colonnes de L'Express.
Retour espérée à l'automne
Autant dire que dans le camp du gouvernement, le retrait de cette proposition de résolution par Éric Ciotti ce jeudi matin a des airs de soulagement tant sur le plan politique qu'international.
Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et des Français de l'étranger, a ainsi salué "l'esprit de responsabilité" du groupe UDR, "pour ne pas provoquer d'escalade même verbale" risquant d'entraver les efforts diplomatiques pour obtenir la libération de l'écrivain.
Mais le sujet devrait très vite revenir sur la table. Éric Ciotti a expliqué à la tribune de l'Assemblée nationale que la fin des accords entre la France et l'Algérie puissent être étudiée à l'"ouverture de la session d'automne". Ce serait alors aux députés de Marine Le Pen qui disposeront alors de leur propre niche de s'en emparer.