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"La proposition d'une VIe République n'est que l'exploitation populiste du scandale Cahuzac"

Faiblesse du parlement, omniprésence du président, couple exécutif usé, faut-il revoir en profondeur la Ve République et ses institutions?

Faiblesse du parlement, omniprésence du président, couple exécutif usé, faut-il revoir en profondeur la Ve République et ses institutions? - -

Eva Joly a annoncé, ce lundi, sur BFMTV, qu'elle se joindrait à Jean-Luc Mélenchon le 5 mai prochain pour manifester en faveur d'une VIe République. Face à la crise, la France doit-elle effectivement envisager de mettre un terme à la Ve République?

Une manifestation se tiendra le 5 mai prochain, pour l'anniversaire du second tour de la dernière élection présidentielle, afin de promouvoir la mise en place d'une VI République.

La proposition a été lancée par Jean-Luc Mélenchon afin de donner "un grand coup de balai" après la crise déclenchée par l'affaire Cahuzac. Ce lundi matin, l'ancienne candidate EELV à la présidentielle, Eva Joly, a annoncé sur BFMTV qu'elle se joindrait au co-président du Parti de gauche.

Face à la multiplication des crises et des scandales, la dissolution d'un système politique pour en reconstruire un autre est-elle une option envisageable? BFMTV.com a posé la question à l'historien Jean Garrigues, spécialiste d'histoire politique.

Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon manifesteront pour une VIe République. Est-ce la bonne solution pour tourner la page après les scandales?

Ce pourrait être une solution. Mais le changement de système institutionnel ne doit pas être lié à une crise morale, telle que celle que l’on observe aujourd’hui.

Avec l'affaire Cahuzac, on est face à des malversations, des dérives, qui pourraient exister dans n’importe quel régime. Un changement de système découle d'une analyse: celle de l'inefficacité des institutions en place.

Or ce qui est proposé aujourd’hui par Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly relève beaucoup plus de l’exploitation politicienne et populiste du scandale, que d’une réelle réflexion sur le changement des institutions.

On est dans une vieille tradition des extrêmes: dans les années 1930, déjà, l’extrême-gauche et l'extrême-droite prenaient appui sur les scandales pour réclamer un nouveau régime.

Mais aujourd'hui, en 2013, les institutions de la Ve République ne sont-elles pas un peu affaiblies?

On mélange un peu tout, il faut bien distinguer le fonctionnement d'un système politique et ses déviances. Ce qui est manifeste, c’est l’impuissance du gouvernement actuel, comme du précédent, à gérer des problèmes structurels, des problèmes de mutation de la société française, qui se traduisent par une crise sociale, une crise économique et une crise morale.

Cette crise morale vient, au fond, d’un manque de confiance vis-à-vis des élites. Mais elle porte assez peu sur les institutions.

En revanche, on peut effectivement s'interroger sur le fonctionnement et efficacité de ces institutions.

C'est-à-dire?

Il est certain que la Ve République ne laisse pas vraiment fonctionner le système parlementaire, car il est totalement sous le joug de l'exécutif.

La sur-présidentialisation de notre système entraîne une bipolarisation de la vie politique. Conséquence: on est incapable de se rassembler sur des objectifs communs. Il y a systématiquement un dénigrement par la droite de ce qui est fait par la gauche, et vice versa.

Il faut rappeler que les institutions de la Ve République ont été taillées sur mesure pour le Général de Gaulle. Elles font du président un arbitre. Il est, certes, nécessaire d’avoir un arbitre au-dessus des partis, mais de fait, le président reste en permanence un chef de parti. Il contribue donc lui-même à la dualité gauche-droite.

Que faudrait-il changer alors?

Incontestablement, le fonctionnement du couple exécutif. À partir des institutions de 1958, il y a eu une dérive permanente pour transformer le Premier ministre en une sorte de "collaborateur" du président, pour reprendre les mots de Nicolas Sarkozy.

Aujourd'hui, il y a donc un exécutif double, dans lequel on ne sait pas qui fait quoi. Et dans lequel, surtout, le chef de l'Etat est totalement irresponsable devant les Français.

Il faudrait également une réforme du code moral de la gouvernance et il n'y a pas besoin d'une VIe République pour cela.

La mort de la Ve République n'est donc pas au programme?

Ce qui pourrait, à terme, entraîner la mort de la Ve République, c’est le phénomène croissant de divorce des Français avec leur classe politique. Pour répondre à ce divorce, dont le scandale n’est qu’un des éléments, on peut, c'est vrai, réfléchir à une transformation des institutions. Le système actuel est flou et incohérent, et au regard de ce qui se fait ailleurs en Europe, on peut effectivement le questionner.


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Propos recueillis par Adrienne Sigel