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Gouvernement

Vers une "déchéance de nationalité pour tous"?

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Alors que les critiques fusent, jusque dans la majorité dénonçant la stigmatisation d'une partie de la population, l'idée d'étendre la déchéance de nationalité à tous les terroristes et non pas aux seuls binationaux fait son chemin. Problème: une telle mesure serait contraire à plusieurs conventions internationales signées par la France.

Etendre la mesure pour éteindre le débat qui enflamme la gauche? Des responsables de la majorité tentaient en ce début de semaine de dégager un compromis sur la question de la déchéance de nationalité pour les terroristes, plusieurs évoquant une possible extension de la mesure à tous les Français. Quitte à produire des apatrides...

Dévoilé en Conseil des ministres le 23 décembre, le projet de réforme constitutionnelle prévoit d'étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français condamnés "pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation". 

Aujourd'hui, seuls peuvent être déchus les binationaux devenus français. Mais une telle extension permettrait de faire taire les critiques des nombreux responsables socialistes qui s'offusquent de l'inscription dans la Constitution d'un régime spécifique pour les binationaux, qui représentent quelque 5% des Français.

"Déchéance pour tous"

Ce mardi, le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Bruno Le Roux, s'est dit favorable, sur France Info, à ce que le débat sur la déchéance de nationalité porte sur "tous les terroristes".

Cet élargissement "est un élément qui est dans le débat", a de son côté admis lundi le secrétaire d'Etat au Parlement Jean-Marie Le Guen.

Silencieux depuis la présentation du projet de réforme, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, qui avait estimé le 4 décembre que la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français n'était "pas une idée de gauche", s'est pour sa part montré ouvert à cette solution. Dans les médias et devant le Bureau national du PS, il a évoqué trois solutions permettant de répondre à "l'esprit" de la promesse présidentielle, sans discriminer les binationaux: la création d'une peine d'indignité nationale, la déchéance des droits civiques, ou la déchéance de nationalité, à condition qu'elle "soit ouverte à l'ensemble des Français".

La proposition d'une "déchéance pour tous" avait déjà été avancée la semaine dernière par le sénateur UDE Jean-Vincent Placé, et par la députée Les Républicains Nathalie Kosciusko-Morizet. Le président LR de la région Nord-Pas-de-Calais/Picardie, Xavier Bertrand, s'y est rallié lundi.

"Ligne rouge"

Mais la mesure continue à faire des vagues. Mardi, l'ancien Premier ministre Alain Juppé a fait part de son opposition à l'extension de la mesure à tous les Français. "Pourquoi pas pour les binationaux nés français. Mais si un mono-national devient apatride, là je dis stop, c'est pour moi une ligne rouge absolue", a-t-il prévenu sur Europe 1.

Lundi en fin d'après-midi, à l'appel de SOS Racisme, une cinquantaine d'opposants à la déchéance de nationalité se sont réunis à proximité du siège du PS à Paris où se tenait un bureau national.

"Globalement, une grosse majorité du bureau national n'est pas favorable au maintien de la mesure et à son vote", a résumé à l'issue du BN le député Alexis Bachelay. L'idée d'une déchéance de nationalité pour tous n'est pas non plus la "plus populaire chez les socialistes", a de son côté expliqué la porte-parole du PS Corinne Narassiguin.

"Tout individu a droit à une nationalité"

Se pose un problème de taille: l'extension de la déchéance à tous les terroristes est contraire à la déclaration universelle des droits de l'Homme, qui stipule dans son article 15 que "tout individu a droit à une nationalité" et que "Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité". Une convention onusienne de 1961 "sur la réduction des cas d'apatridie" affirme en outre que "les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride". L'exécutif a d'ailleurs exclu jusqu'à présent d'étendre la mesure à tous les Français:

"La déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu'un apatride", a souligné le président de la République en annonçant la réforme constitutionnelle devant le congrès le 16 novembre.

Cette extension est jugée "absurde" par plusieurs constitutionnalistes interrogés par l'AFP. "C'est du grand n'importe quoi, c'est absurde", explique par exemple Dominique Rousseau, qui souligne que "deux articles de notre code civil excluent aujourd'hui toute possibilité de rendre une personne apatride".

Une source gouvernementale haut placée rappelle que la France a signé la convention onusienne de 1961 "sur la réduction des cas d'apatridie" sans la ratifier. "Mais il y a un usage international auquel la France se conforme: le refus de l'apatridie", ajoute-t-elle immédiatement.

La balle dans le camp du Parlement

La France, qui s'enorgueillit d'être la "patrie des droits de l'Homme", pourrait-elle s'engager sur cette voie? "Ce débat, c'est pour montrer qu'on vise les criminels terroristes, pas les binationaux", décrypte la même source. "Cela semble impossible de faire l'apatridie mais, au final, c'est peut-être cela que le Parlement retiendra. C'est à lui de prendre ses responsabilités".

"Il appartient désormais au Parlement de prendre ses responsabilités", a aussi affirmé Manuel Valls dans ses voeux au gouvernement lundi. Il a reconnu "des débats difficiles", tout en soulignant qu'ils traversaient davantage les "formations politiques" que les citoyens.

François Hollande a de son côté espéré devant les ministres que la réforme soit adoptée par les parlementaires "en évitant les surenchères et en dépassant les clivages". "Nous devons refuser tout ce qui divise les Français en raison de leur origine, de leur religion ou du lieu où ils vivent", a-t-il ajouté, sibyllin.

V.R. avec AFP