"Signal de rupture", "leurre"... La classe politique divisée après l'annonce de Lecornu de renoncer au 49.3

Le Premier ministre Sébastien Lecornu, le 3 octobre 2025 à Matignon. - Photo par ALAIN JOCARD / POOL / AFP
Certains décrivent un geste significatif quand d'autres y voient un écran de fumée. En indiquant de bonne heure ce vendredi 3 octobre qu'il renonçait à engager l'article 49.3 de la Constitution, en amont de la présentation de son projet de budget, Sébastien Lecornu a entraîné des réactions contrastées au sein de la classe politique.
Sans surprise, le camp présidentiel salue le fait que le Premier ministre abandonne cette disposition permettant au gouvernement de se passer du vote des députés sur un texte, moyennant l'engagement de sa responsabilité.
La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, évoque sur le réseau social X un "acte de confiance envers la représentation nationale". Grâce à cette décision, les parlementaires pourront "débattre pleinement sur les orientations budgétaires de la France" prochainement et "voter à l’issue de ces discussions", écrit-elle.
Sur le même ton, la députée Horizons Naïma Moutchou, parfois évoquée parmi les personnalités qui pourraient composer le gouvernement Lecornu, évoque un "vrai signal de rupture".
"C’est désormais aux partis politiques et aux groupes représentés au Parlement d’assumer leurs responsabilités pour parvenir à un compromis qui donne un budget au pays", abonde son collègue parlementaire de Renaissance, Pieyre-Alexandre Anglade.
Plus largement dans le bloc central, le patron des Républicains, Bruno Retailleau, se montre plus mesuré, évoquant un "choix qui se comprend". Le ministre de l'Intérieur démissionnaire dit toutefois craindre "une coalition des démagogues" qui entraînerait le "vote d’un budget qui serait contraire aux intérêts supérieurs de notre pays".
"Si tel était le cas, ce serait dramatique pour la France et les Français", soutient-il sur X.
Largement insuffisant pour la gauche
Du côté de la gauche, l'enthousiasme des soutiens de Sébastien Lecornu est loin d'être partagé. Le député écologiste Benjamin Lucas évoque un "leurre" pour "gagner du temps" et "maintenir la politique d'Emmanuel Macron."
Chez les socialistes, qui rencontrent Sébastien Lecornu ce vendredi en fin de matinée et dont la décision de censurer ou non le futur gouvernement pourrait être décisive, le compte n'y est pas.
Certes ces derniers proposaient de gouverner sans 49.3 au moment de se présenter comme une alternative à François Bayrou à la fin de l'été, lorsque la chute de l'ex-chef du gouvernement sur un vote de confiance apparaissait inéluctable. Pour autant, cette "méthode nouvelle", proposée par Sébastien Lecornu ne leur suffit pas.
Interrogé quelques minutes après la prise de parole du Premier ministre, Boris Vallaud a considéré sur Franceinfo que ce dernier n'avait proposé "aucun" compromis au Parti socialiste jusqu'ici.
"Je sais ce qu'il a envoyé au Conseil d'État comme projet de budget. Et il ressemble comme deux gouttes d'eau à celui de Monsieur Bayrou", a-t-il dit. Avant de citer "2,3 milliards d'économies sur les franchises médicales", ou "2,5 milliards d'économies faites sur les familles", en raison du "gel des prestations sociales".
Autrement dit, les élus roses attendent un changement sur le fond et pas uniquement sur la forme. Jusqu'ici, les pistes mises dans le débat par Matignon et notamment celles en faveur des salariés (défiscalisation et allègement des charges sociales sur les heures supplémentaires, rétablissement de certaines dispositions de la prime Macron...) n'ont pas répondu à leurs exigences.
Les socialistes veulent une victoire sur le fond
Très amères après le précédent compromis budgétaire noué avec François Bayrou l'an dernier - qui n'avait pas débouché sur un débat au Parlement concernant l'âge légal de départ à la retraite, contrairement à leurs attentes - les socialistes sont fermes.
Et d'autant plus après une semaine où la gauche a perdu des postes clés à l'Assemblée nationale, en raison d'un soutien réciproque entre le camp présidentiel, LR, et le Rassemblement national.
Il faudra au PS une "victoire symbolique ou sensible" pour ne pas censurer, traduisait le député Arthur Delaporte ce jeudi, citant à nouveau la taxe Zucman sur les très hauts patrimoines ou une suspension de la très contestée réforme des retraites.
Deux mesures à nouveau écartées ce matin par Sébastien Lecornu dans sa prise de parole, le Premier ministre ayant appelé à ce que "chacun (fasse) un pas, un geste, sans se renier dans ses propres convictions pour faire avancer le pays".
Toutefois, Olivier Faure l'a mis au défi d'organiser un nouveau vote sur la réforme des retraites, sans utilisation du 49.3, contrairement à 2023, en arrivant à Matignon ce matin. Une façon de "vérifier" que "l'intention qu'il affiche" va "jusqu'au bout" et "n'est pas simplement une facilité, une habileté", a-t-il précisé.
LFI accuse Lecornu de vouloir s'appuyer sur "l'extrême droite"
Plus à gauche, les insoumis voient un lien entre la décision de Sébastien Lecornu sur le 49.3 et les élections récentes pour les postes clés de l'Assemblée nationale.
"Pas d’illusion : l’annonce de la non-utilisation du 49-3, après deux jours où l'on a vu en grand une alliance Macronistes/RN à l’assemblée à l’occasion des élections pour le bureau et les commissions, signifie que celle-ci va se poursuivre pendant le budget", a jugé Éric Coquerel. "Pour tenter de s’en sortir, l’extrême centre va s’appuyer sur l’extrême droite."
La solution, selon les insoumis? Censurer. En ce sens, une motion sera déposée dès "la nomination de ce gouvernement" a rappelé le coordinateur de LFI, Manuel Bompard.
Le RN donne un bon point sur le 49.3, mais attend de voir pour le reste
Au Rassemblement national, également reçu à Matignon avant le PS, Marine Le Pen a donné un bon point sur la question du 49.3, contrairement à la gauche, saluant un geste "plutôt respectueux de la Constitution" et "plus respectueux pour la démocratie que ce qui a pu être fait dans les années précédentes".
"Cela ne change pas fondamentalement les choses, mais cela veut dire que le Premier ministre accepte l'idée qu'il doit trouver une majorité à l'Assemblée nationale", a ajouté la cheffe des députés RN.
Sur le reste, le parti d'extrême droite est resté sur sa ligne initiale. À savoir, d'attendre la déclaration de politique générale du chef du gouvernement la semaine prochaine pour se prononcer sur la question de la censure.
Partie de Matignon sans "avoir une vision précise" sur la politique budgétaire voulue par Sébastien Lecornu, Marine Le Pen a rappelé, avec ses termes, les exigences de l'extrême droite: "arrêter avec la folie dépensière d'une immigration absolument dérégulée", "alléger la pression fiscale et notamment sur les classes moyennes", "commencer le combat contre les fraudes", "retrouver de la sagesse dans la contribution à l'Union européenne."
"Nous attendrons lundi pour voir si (Sébastien Lecornu) prend en considération ces éléments", a-t-elle précisé.
Le rôle du RN pourrait devenir déterminant dans les prochains jours. Car, faute de réussir à convaincre les socialistes, Sébastien Lecornu deviendrait dépendant de l'extrême droite pour réussir à se maintenir à la tête du gouvernement.