McFly et Carlito, Tibo InShape, Magali Berdah... Un premier quinquennat d'Emmanuel Macron sous influence

De gauche à droite: Gabriel Attal et Tibo InShape pour promouvoir le SNU, Emmanuel Macron sur Snapchat, Emmanuel Macron et l'influenceuse Magali Berdah, vidéo YouTube de Ludovic B. réalisée avec Gabriel Attal. - Captures d'écrans YouTube, Snapchat, Instagram
Gabriel Attal ne cache pas sa fierté en ce 24 février 2021. Il anime en direct sur YouTube et sur Twitch une émission consacrée aux problématiques que rencontrent les jeunes en France, mises en exergue par la crise du Covid-19. À ses côtés, Malek Délégué, chroniqueur pour Touche pas à mon poste, Julia Layani et Élise Goldfarb, à la tête d’une agence de conseil et créatrices de podcasts, le tiktokeur Fabian Cayuela-Ruiz et surtout… Marie Lopez, alias "Enjoyphoenix pour ceux qui la connaissent, c’est-à-dire beaucoup de monde", glisse sourire aux lèvres le porte-parole du gouvernement lors des présentations.
Il est vrai qu’avec ses plus de 9 millions de fans sur Instagram et Youtube, la jeune femme a de quoi le faire pâlir d’envie. Gabriel Attal arrive tout juste à atteindre les 100.000 abonnés combinés sur ces deux plateformes.
Durant l’heure et demie d’échanges qui va suivre, plusieurs sujets vont être abordés en lien avec la jeunesse et la pandémie, le tout dans une ambiance plutôt aseptisée. Jusqu’à ce que Marie Lopez hausse le ton, agacée par une énième question sur des influenceurs ayant pris l’avion direction Madrid pour aller au restaurant, alors que ces derniers étaient encore fermés dans l’Hexagone.
“Moi, je trouve que ça va, par rapport aux étudiants qui ne peuvent pas bouffer. (...) Et d’ailleurs, je ne suis pas journaliste. Je trouverais ça super que la prochaine fois, il y ait un journaliste qui soit là pour rétorquer, car ce n’est pas mon métier”, lance-t-elle.
Sur les réseaux sociaux, les étudiants s’emparent de la saillie. Certains initient le hashtag #etudiantspasinfluenceurs pour dénoncer la démarche de Gabriel Attal. Ils digèrent mal que le gouvernement ait choisi ces cinq personnalités jugées déconnectées de la réalité pour relayer leur précarité financière comme psychologique. Le format ne sera finalement pas reconduit, malgré l’ambition initiale d’en organiser un par mois.
La “caution jeune”
Cette séquence est révélatrice des efforts, mais aussi des difficultés, rencontrés par la macronie durant le quinquennat qui vient de s’écouler, pour s’afficher aux côtés d’influenceurs, youtubeurs et autres tiktokeurs. En l’espace d’un mandat, toutes les plateformes utilisées par les jeunes ont été investies par des membres du gouvernement.
“Les influenceurs, c’est un peu la caution jeune. Le fait d'aller les chercher là où ils passent le plus clair de leur temps - les réseaux sociaux - c’est intelligent. Et puis il y a un avantage clair. Le gouvernement fait endosser par des influenceurs un discours, une parole sur les grands enjeux de notre temps”, analyse pour BFMTV.com Alexandre Eyries, enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication, auteur de l’ouvrage Communication poli-tweet (L’Harmattan, 2015).
D’autres initiatives gouvernementales allant dans ce sens, dont il serait inutile de dresser la liste tant elles ont été nombreuses ces cinq dernières années, ont connu plus de succès que la rencontre Enjoyphoenix-Gabriel Attal. C’est le cas du défi lancé par Emmanuel Macron aux youtubeurs Mcfly & Carlito début 2021. Le locataire de l’Élysée avait promis aux deux vidéastes la possibilité de venir tourner à l’Élysée s’ils réalisaient une séquence rappelant les gestes barrières. La démarche était d’autant plus habile que le président conditionnait son accueil à une barre de 10 millions de visionnages à franchir.
“Ces influenceurs sont des agents passants, qui n’ont pas le défaut d’émaner d’une institution. On sait que lorsqu’une campagne émane de Matignon, de l’Élysée, elle est rejetée en principe par une partie de la population car elle émane du pouvoir. Mais lorsque l’on fait endosser à Mcfly & Carlito l’idée d’encourager les gestes barrières, le discours passe beaucoup mieux car ce sont des habituées des vidéos humoristiques", continue Alexandre Eyries.
Résultat? La vidéo "Je me souviens" (clip gestes barrières) des deux youtubeurs atteint rapidement son objectif, et culmine aujourd’hui à 16 millions de vues. Comme promis, ils sont invités au palais présidentiel pour réaliser un “concours d’anecdotes” avec Emmanuel Macron. Là encore, carton plein: plus de 17 millions de visionnages à ce jour et 1,4 million de mentions “j’aime”.
Création d’un “département influence” au gouvernement
Avant cette séquence, c’est le Service national universel (SNU) - une version édulcorée du service militaire voulue par Emmanuel Macron - que le gouvernement avait tenté de promouvoir à l’été 2019. Gabriel Attal n’avait pas hésité à mouiller son maillot en se contorsionnant dans une carcasse de pneu au beau milieu de la forêt guyanaise dans le cadre d’une vidéo d’un autre youtubeur, Tibo inShape, dont le contenu est orienté vers la musculation.
Sur Instagram, c’est @sundyjules et @enzotaistoi - tous deux possédant 1 million d’abonnés - qui avaient vanté le SNU, évoquant un concept “iconique”. L’accueil avait cette fois été moins chaleureux que le “concours d’anecdotes” élyséen, d’autant que ces trois influenceurs avaient été payés par le gouvernement pour réaliser cette opération, comme l'avait confirmé Gabriel Attal à l'AFP, sans qu'un montant précis ne soit communiqué.
Preuve de la politique volontariste menée par le gouvernement à destination des influenceurs, toujours à l’été 2019, un département “influence” a été créé au sein du Service d’information du gouvernement (SIG), rattaché à Matignon, normalement chargé de relayer l’action gouvernementale.
"Il avait pour mission de proposer et mettre en œuvre des stratégies de communication indirectes s’appuyant sur des partenaires et plus largement la société civile afin de maximiser la visibilité des politiques publiques", explique la direction du SIG à BFMTV.com.
Avant de préciser que la section a finalement été renommée en septembre 2020 “département chargé des réseaux et des partenariats”, “pour davantage refléter les missions couvertes par celle-ci”.
Toutes les routes mènent à Magali Berdah
Ce toilettage n’a en tout cas rien changé à la volonté de l’exécutif d’apparaître en odeur de sainteté auprès des jeunes. C’est désormais Magali Berdah, papesse du monde de la télé-réalité, qui fait tourner toutes les têtes. Les ministres se l’arrachent, avec son million d’abonnés sur Instagram mais surtout son agence Shauna events, 20 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020, qui gère la carrière d’une multitude de stars de l’influence, à l'image de Maeva Ghennam ou de Thibault Garcia, stars de l'émission de télévision Les Marseillais.
Gabriel Attal, Sarah El Haïry, la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de l’Engagement, ou encore Emmanuel Macron l’ont tous rencontré durant le quinquennat.
“Oui j’ai rencontré Gabriel Attal. C’est lui qui m’a contacté pour qu’on discute de ma vision globale sur les influenceurs. Rien de fou, mais très très intéressant. Et ensuite, Sarah El Haïry, je ne sais plus si c’est elle qui m’a contacté ou moi. On a discuté du SNU, de tout ce qui se passait sur la jeunesse aujourd’hui. C’était très instructif”, détaille-t-elle à BFMTV.com.
Fort de son succès auprès des politiques, la femme d’affaires s’est même lancée dans une série sur la campagne présidentielle, dans laquelle elle suivait les principaux candidats 24h durant. Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse sont tous passés derrière sa caméra. La quadragénaire, sans aucune formation journalistique, a réussi à obtenir une interview avec Emmanuel Macron à l'issue de son meeting à la Défense Arena le 2 avril, qu’elle a diffusé durant l’entre-deux-tours. Et ceci alors que le président de la République se faisait rare dans les médias traditionnels. “Je les ai contactés comme tout le monde, et ils m’ont répondu par la suite. Je n’ai pas eu de passe-droit”, promet-t-elle.
Mais Magali Berdah a bien sa petite idée concernant les raisons qui ont poussé le président-sortant de l’époque à accepter sa proposition. “Les influenceurs, c’est quand même un canal de communication énorme, qui permet de toucher des gens qui ne vont pas regarder BFM ou LCI. Je pense qu’il en faut pour tout le monde. Ce n’est pas une critique, c’est juste qu’aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, il y a des gens qui ne vont pas s’informer ailleurs. Il est temps de comprendre qu’il faut parler à tout le monde et pas à une seule catégorie de personnes. C’est juste la modernité quoi. C’est le 21ème siècle”, juge-t-elle.
Accorder des entretiens et des apparitions à des influenceurs permet en tout cas au gouvernement de court-circuiter le monde journalistique traditionnel et d'éventuelles questions embarrassantes.
“On est dans la stratégie de représentation plutôt que dans de véritables interviews”, juge Alexandre Eyries. “On voit bien que la technique de l’interview, la question de relance, la manière de poser des questions pour obtenir certaines informations, ce n’est pas le boulot de Magali Berdah. Et effectivement, elle est sympathique, elle est plutôt spontanée, mais on ne risque pas grand-chose à aller se faire interviewer par elle lorsqu'on est un politique un tantinet expérimenté”, continue-t-il.
L’approche est d’ailleurs défendue par la principale intéressée. “Je trouve que le système journalistique concernant la politique est à refaire. Les femmes ne sont pas traitées de la même manière que les hommes, et puis ce sont toujours les mêmes équipes, ça endort les gens. Il n’y a pas de nouveauté, de fraîcheur, tout est tellement réglementé et contrôlé que ça en devient barbant, ça fait perdre de la proximité”, confie-t-elle à BFMTV.com. Elle se targue même d'avoir réussi à décrocher le premier sourire d'Éric Zemmour en interview, et va jusqu’à comparer le journalisme politique au "harcèlement" qu’elle voit tous les jours sur les réseaux sociaux. "C’est la première fois que je voyais un milieu aussi dur d’un point de vue médiatique”, jure-t-elle.
“Charlène Miappa”
À vouloir flirter avec des personnalités issues des réseaux sociaux et de la télé-réalité, un univers connu pour ses scandales à répétitions, certains membres du gouvernement se sont cependant brûlés les ailes. C’est le cas de Marlène Schiappa, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté.
Le 8 décembre dernier, elle recevait Magali Berdah accompagnée de cinq des influenceuses dont elle gère la carrière. Sur des séquences à l’époque diffusées en “story” Instagram, on voit les jeunes femmes au fond du taxi qui les amène place Beauvau ironiser sur leur rencontre avec “la reine” “Charlène Miappa”. Les invitations à la bienséance de Magali Berdah n’y changeront rien. Elles entament à tue-tête “ah qu’est ce qu’on rigole chez Marlène Schiappa” dans le véhicule, chansonnette qu’elles interpréteront également face à la ministre lors de la rencontre.
Les réseaux sociaux s’emparent de la séquence, et Magali Berdah et ses influenceuses sont sévèrement critiquées pour leur comportement jugé inapproprié. Marlène Schiappa, elle, est accusée d’avoir franchi un pas de plus dans la désacralisation de sa fonction.
Cinq mois plus tard, Magali Berdah défend cette initiative. “Les influenceuses ont trouvé ça très utile. Elles ont promu une application gratuite pour les femmes battues. Elles l’ont fait à titre gratuit. D’ailleurs, moi je fais tout bénévolement. Et on a eu 1500 téléchargements de l’application en une journée. Après, les critiques qu’on a reçu et le tollé de messages négatifs, je dirais malheureusement que l’on est habitué”, déclare-t-elle.
Du côté du cabinet de Marlène Schiappa, sa conseillère presse et communication Aurélia du Vignau explique à BFMTV.com “qu’il est important de relayer les dispositifs mis en place pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes auprès de tous les publics. Expliquer ces dispositifs à des influenceuses a permis de les faire connaître auprès de nombreuses jeunes femmes sur les réseaux sociaux”.
Une explication qui ne convainc pas au sein de l’entourage du président de la République. “Ces filles, c’est de la matière inflammable et c’est parti en vrille”, confiait récemment au Monde un proche du chef de l’État, à l’opposé de Mcfly et Carlito, considérés comme “deux pères de famille à qui on pouvait faire confiance”.
Des politiciens influenceurs?
Et si la solution pour éviter ce genre d’écueil ne consistait pas à se passer de ces imprévisibles influenceurs, tout en se réappropriant leurs codes? C’est pour cette option qu’a opté Jean-Baptiste Djebbari, le fantasque ministre des Transports qui fait des émules sur Tiktok. En moins d’un an de présence sur la plateforme, il a réussi à rassembler 1,2 million d’abonnés et 32,9 millions de “j’aime”. Les raisons de son succès? Précisément cette réappropriation des codes. Quand on parcourt son profil, ces différentes vidéos frappent par leur maîtrise des musiques, des filtres et des memes populaires sur la plateforme, où les effets de mode sont aussi éphémères que nombreux.
Après de premières vidéos quasiment dépourvues de message politique, le ministre a profité de l’élection présidentielle pour charger les adversaires de la macronie. Dans une vidéo publiée dans l'entre-deux-tours, Jean-Baptiste Djebbari se filme en chantant à tue-tête dans la rue “Chômage, je suis au chômage”, avec en légende la mention: “Marine Le Pen si la Russie ne lui avait pas prêté 9 millions”.
L’ancien pilote a néanmoins fait savoir qu’il ne comptait pas rempiler, comme l’a indiqué le Parisien, n’ayant pas “vocation à faire de la politique un métier”. Qui pour le remplacer alors, en sa qualité de ministre le plus visible sur les réseaux sociaux, lors de l’acte II d’Emmanuel Macron? Il se pourrait bien que ce soit le chef lui-même.
Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est ainsi essayé au “vlog”, contraction des termes “vidéo” et “blog”, qui consiste à filmer un voyage, sa journée… puis de publier le résultat sur les réseaux sociaux. C’est ce format que son équipe a adopté pour mettre en scène la campagne présidentielle sur YouTube, avec la mini-série “le Candidat”. En huit épisodes, de Marseille à la Bretagne, en passant par une balade sur les quais de Seine à la rencontre de badauds, les équipes d’Emmanuel Macron ont savamment mis en scène un président sortant à la rencontre des Français, dans un format décliné pour les réseaux sociaux.
Mais malgré les efforts déployés, le succès est relatif. Alors que le premier épisode a réuni 405.000 spectateurs, le dernier n'en a attiré que 53.000. Pas de quoi décourager les équipes du chef de l'État, qui ont décidé de renouveler le format. La semaine dernière, deux vidéos, répondant aux mêmes critères, ont été diffusées sur la chaîne YouTube d’Emmanuel Macron, intitulées “5 ans à l’Élysée” et revenant sur les moments forts de son premier mandat. “J’aime beaucoup ce nouveau youtubeur”, peut-on lire dans les commentaires.