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"Les Français n'en ont pas pour leur argent": Bayrou prend l'opinion à témoin sur le budget pour s'éviter la censure

François Bayrou et Éric Lombard le 15 avril 2025 à Paris

François Bayrou et Éric Lombard le 15 avril 2025 à Paris - Alain JOCARD / AFP

Le Premier ministre, qui cherche à tout prix à éviter la censure à l'automne prochain, joue la carte de la transparence sur les efforts budgétaires à venir lors d'un "comité d'alerte". Mais à Matignon, pas grand monde ne croit à sa chute dans les prochains mois.

La roue pourrait-elle tourner pour François Bayrou? Après avoir réussi là où Michel Barnier a échoué en parvenant à faire adopter un budget en janvier dernier dans un contexte politique très inflammable, le spectre de la censure a fait son retour ces derniers jours.

Pour tenter de conjurer la menace, le Premier ministre a décidé de jouer carte sur table ce mardi matin lors d'une conférence de presse baptisée "comité d'alerte sur le budget", prenant à témoin l'opinion.

"Seule une prise de conscience de nos concitoyens, seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité de notre situation, peut soutenir une action déterminée", a avancé Fraçois Bayrou, jugeant que la France était "devant une montagne de difficultés".

La dépense publique "ne fait pas le bonheur"

Si le ton s'est voulu grave, c'est que la potion des budgets de l'État et de la sécurité sociale s'annonce très amère. S'ils n'arriveront dans l'hémicycle qu'à l'automne prochain, le gouvernement prépare déjà les esprits à des arbitrages difficiles.

Là où Éric Lombard, le ministre de l'Économie a annoncé ce dimanche sur BFMTV sa volonté de faire 40 milliards d'euros d'économies, le Premier ministre a placé la barre encore plus haut, en annonçant "un effort de quelque 3 milliards d'euros supplémentaires", sans hausse d'impôts supplémentaire jugée "intenable".

Si "les grands choix" à faire dans les dépenses à couper et les nouvelles recettes fiscales seront proposés avant le 14 juillet prochain, les pistes sur la table - de la désindexation des retraites sur l'inflation à une éventuelle nouvelle réforme de l'assurance chômage - suscitent déjà la colère de la gauche.

"L'excès de dépenses publiques ne fait pas le bonheur des citoyens", s'est défendu le Premier ministre, regrettant que "pour parler simplement, les Français n'en aient pas pour leur argent".

Impossible de tenir sans les socialistes

Autant de mots qui ne passent pas à gauche. Avant même la conférence de presse de François Bayrou, le député socialiste Jérôme Guedj a jugé sur Public Sénat ce mardi matin qu'il "n'échapperait pas à une négociation" avec la gauche au risque sinon de "s'exposer à de graves déconvenues".

"Vous savez, le Premier ministre peut tomber dès le mois de mai sur la loi de programmation de finances publiques", assume quant à lui son collègue Philippe Brun, vice-président PS de la commission des finances à l'Assemblée nationale auprès de BFMTV.com.

Sans les 66 députés socialistes avec qui le chef du gouvernement était parvenu à un accord à l'hiver dernier pour faire adopter le budget, impossible pour le Premier ministre de tenir à Matignon.

"Ils font monter les enchères"

Le socle commun qui réunit les députés LR, Modem, Horizons et Renaissance ne compte que 211 élus, loin des 289 nécessaires pour s'assurer le vote des projets de loi de finances.

"Les socialistes vont faire monter les enchères, c'est une évidence. C'est la base de toute négociation, d'autant plus quand vous avez quelqu'un de faible en face de vous", détaille un conseiller ministériel qui suit de près les futurs arbitrages budgétaires.

François Bayrou devrait également regarder avec attention ce qui se passe au Rassemblement national et ses 140 députés.

"Si le projet, c'est de demander aux Français de se serrer la ceinture sans que l'État n'aille sur le chemin des économies en matière d'immigration, nous nous emploierons à le censurer", a déjà prévenu le vice-président du RN Sébastien Chenu sur CNews-Europe 1 ce lundi.

Optimisme à Matignon

Mais pour l'instant du côté de Matignon, l'heure n'est pas du tout à l'inquiétude, et on juge au contraire que la volonté de François Bayrou de jouer carte sur table peut lui permettre de tenir.

"Je ne vois pas du tout les députés le censurer à l'automne", assure l'un de ses proches, pour qui Matignon" fait tout pour mettre les députés dans le coup".

Si le Premier ministre affiche sa confiance, c'est que plusieurs éléments jouent en sa faveur, à commencer par les municipales en mars 2026. Les socialistes, qui jouent très gros pour ce scrutin, auront-ils le cœur à renverser le centriste, à quelques mois à peine d'échéances qui s'annoncent très compliquées avec La France insoumise en embuscade pour conquérir des villes?

"Quand vous voulez montrer que vous êtes responsable, contrairement aux députés LFI, vous ne renversez pas la table avant d'aller devant les électeurs", veut croire un député Renaissance.

L'hypothèse Pompidou

Même topo pour le Rassemblement national (RN) qui a également affiché ses ambitions pour gagner des communes. Le parti à la flamme peut d'autant moins se payer le luxe de censurer François Bayrou qu'en cas d'éventuelle dissolution décidée dans la foulée de sa démission par Emmanuel Macron, Marine Le Pen ne pourra pas se présenter à de nouvelles législatives.

La présidente des députés RN a été condamnée fin mars à une peine d'exécution immédiate qui l'empêche de se présenter à toute élection dans les 5 ans. Elle a cependant fait appel.

Et même si le scénario de la censure avait bien lieu, en combinant les forces de toute la gauche et du RN comme en novembre dernier pour Michel Barnier, "Emmanuel Macron le reconduirait à son poste", veut croire un proche de François Bayrou.

L'histoire est déjà arrivée en 1962 quand Georges Pompidou avait été censuré par l'Assemblée nationale. Le Premier ministre avait certes présenté sa démission au président Charles de Gaulle mais il l'avait alors refusée.

Le Général avait cependant prononcé quelques jours plus tard la dissolution de l'Assemblée nationale avant d'obtenir la majorité absolue, d'emporter les élections et de reconduire Georges Pompidou à Matignon.

"François Bayrou a beaucoup de chance depuis son arrivée à Matignon. Il croit que sa bonne étoile va continuer à le suivre et il connaît très bien son histoire de France", sourit un député Modem.

Marie-Pierre Bourgeois