Européennes: Manon Aubry, la nouvelle figure insoumise

PORTRAIT - En décembre dernier, Manon Aubry, jusque là porte-parole d'Oxfam France, devenait officiellement tête de liste des Insoumis aux Européennes. En attendant de s'installer dans un siège au Parlement de Strasbourg, l'ancienne militante associative a roulé sa bosse du Var à l'Afrique.

Les campagnes des Républicains et de la France insoumise en vue des Européennes partagent un point commun: les deux camps antagonistes sont allés chercher leurs têtes de listes respectives en dehors de leurs militants. En effet, avant d'être propulsée figure de proue du mouvement de gauche, Manon Aubry n'avait pris aucun engagement partisan.

Engagement politique précoce

Mais il existe bien des manières de s'engager et la Varoise n'a pas attendu d'être approchée par Jean-Luc Mélenchon, ainsi que selon elle, par Génération.s de Benoît Hamon et Place Publique désormais emmenée vers le scrutin continental par Raphaël Glucksmann, pour dire son mot sur la société. Née le 22 décembre 1989, fille de Catherine Poggi-Aubry, dont le nom figure sur la liste de la France insoumise mais en position inéligible, et de Bruno Aubry, elle a étudié dans un lycée de Saint-Raphaël, où émargeait aussi David Rachline, de deux ans son aîné, et à présent cadre du Rassemblement national et maire de Fréjus, ville natale de la jeune femme.

Durant ses années lycée, Manon Aubry a multiplié les prises de position comme elle l'a résumé elle-même en se présentant sur le site de la France insoumise:

"Mon engagement a commencé tôt; dès mes années lycéennes dans le Var, j’ai coordonné la mobilisation contre les réformes Fillon et le Contrat Première Embauche (CPE) et milité pour le 'non' au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen en 2005."

Mais un engagement partisan tardif 

La suite de son cursus l'a ensuite conduite à Paris, et plus précisément à Sciences-Po, où elle s'est trouvée à la tête de l'antenne maison de l'Unef. Un pas déjà en direction des partis vu la proximité du syndicat partisan et du Parti socialiste? Point du tout, selon Raphaëlle Rémy-Leleu, alors militante de l'Unef à Sciences-Po, citée le 25 décembre dernier par le JDD: "Manon a poussé pour ne pas faire de structuration. Elle assumait de dire: 'Oui, on fait de la politique, mais pas dans un parti.'" Auprès du même journal, l'intéressée prolongeait même, assurant qu'elle n'était pas de "ceux qui rêvaient déjà d'une carrière politique". Gabriel Attal, devenu en 2018 secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education nationale, évoluait d'ailleurs dans cette même promotion.

Après son diplôme en affaires internationales et droits de l'Homme, Manon Aubry s'est embarquée pour le monde des ONG et le continent africain, résidant, comme l'a relevé ici France Info, pendant un an au Liberia puis deux ans en République démocratique du Congo. Mais c'est une troisième expérience qui marque particulièrement sa carrière professionnelle. Membre d'Oxfam France, elle y a été "responsable du plaidoyer justice fiscale et inégalités" pendant quatre ans, ses fonctions n'ayant pris fin qu'en décembre 2018 au moment d'entrer dans l'aventure politique. La lutte contre l'évasion fiscale demeure toutefois son premier cheval de bataille.

Conversations et water-polo

La bascule n'avait pourtant rien d'évident. Selon le détail livré à Paris Match il y a quelques mois, il lui a fallu une rencontre préliminaire en août 2018 avec Jean-Luc Mélenchon, puis une seconde entrevue le mois suivant, à laquelle elle s'est rendue avec onze pages de questions programmatiques, pour commencer à se laisser amadouer. "Il a dû se dire: 'Quelle chieuse'…", a-t-elle ri devant le JDD à l'instant de retracer cette longue séance de mise au point. C'est une discussion avec Cécile Duflot, longtemps femme politique et dorénavant patronne de la branche française d'Oxfam, qui a achevé de la convaincre... ou plutôt lui a montré que la circonstance n'était pas de nature à la dissuader:

"On a discuté de ce que c’était qu’être une femme dans un milieu d’hommes, une jeune chez les vieux, une novice parmi les requins. Ça ne m'a pas rassurée!"

Pour sortir la tête des eaux de l'associatif et de la politique, Manon Aubry la plonge depuis des années dans celle des piscines, pour des concours de natation d'abord puis des matchs de water-polo. Sa saison au sein d'un club du 18e arrondissement de Paris vient d'ailleurs de se clore sur la victoire en championnat, "sans aucune défaite" a-t-elle ajouté au micro de France Inter il y a quelques jours.

Ses chances de prendre la tête des Européennes dimanche prochain semblent en revanche dérisoires mais la France insoumise espère être la première formation de gauche au soir de l'élection. Si tel n'était pas le cas, Manon Aubry connaîtrait là la première défaite de sa saison. 

Robin Verner