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Présidentielle

Taubira, Juppé, Baroin... A chaque campagne présidentielle, le mythe du sauveur

Christiane Taubira en 2016 à New York

Christiane Taubira en 2016 à New York - Jewel Samad © 2019 AFP

Après Alain Juppé en 2017, Christiane Taubira en 2022... Chaque élection d'un président de la République appelle son lot d’hommes et femmes providentiels, surtout quand le climat politique est moribond.

À gauche, Christiane Taubira est un nom qui revient régulièrement parmi les sympathisants socialistes. Le revirement d'Anne Hidalgo, proposant mercredi soir une primaire ouverte à gauche, alimente d'autant plus la tentation liée à l'ancienne ministre de la Justice. "Elle réfléchit à la situation politique", confiait un de ses proches à BFMTV lundi.

Car sondage après sondage, la gauche ne finit plus de s’enfoncer, et ses sympathisants de désespérer, tout en s’accrochant à l’idée d’un homme -ou d’une femme en l’occurrence- providentiel. Un réflexe qui n'est pas nouveau en France. Cela en devient même une spécificité nationale.

“L’institution de la Ve République semble totalement adaptée à ce tropisme de la personnalité présidentielle, car c’est le rendez-vous entre un homme ou une femme et ses électeurs”, avance Jean Garrigues auprès de BFMTV.com, président du Comité d’histoire parlementaire et politique, et auteur de Les hommes providentiels–Histoire d'une fascination française (Seuil), qu’il s’apprête à rééditer en mars, avec les exemples d’Emmanuel Macron et d’Eric Zemmour.

"Elle était un rêve fou, elle s’impose comme une évidence"

Plus largement, le spécialiste recense les caractéristiques de ce mythe français. “L’homme providentiel est celui qui arrive dans le paysage politique de manière quasi messianique alors qu’il était dans une situation d’extériorité, et dont on attend des miracles.”

Il faut dire que la Cinquième République naît avec pour premier président de la République un homme souvent qualifié de sauveur de la Nation: le général de Gaulle.

Souvent, les élus revêtent les habits de héros historiques, une façon d’apparaître à leur image aux yeux des Français. Les uns se revendiquent du général, d'autres de Jeanne d'Arc, Robespierre ou François Mitterrand pour une période plus récente. Parfois même au sens propre, comme l’avait tenté Ségolène Royal en se présentant régulièrement dans la course à la présidentielle en 2007 drapée d’une veste blanche. “Elle jouait le mimétisme avec Jeanne d’Arc”, selon Jean Garrigues.

Juppé 2017

En 2017 montait le nom du “meilleur d'entre nous” -Alain Juppé- qualifié ainsi par Jacques Chirac. Au point d’être la cible d'un appel quasi-solennel aux élus LR, émis par le député du Rhône Georges Fenech en mars 2017, afin qu'ils destinent leurs parrainages à l’ex-maire de Bordeaux. Un sursaut alors qu'à ce moment la droite gaulliste est dans les cordes, craignant la “chute imminente” de François Fillon, convoqué par les juges d'instruction dans le cadre du PenelopeGate, du nom de l'affaire des soupçons d'emplois fictifs de Penelope Fillon.

Si le député Georges Fenech juge l’élu alors âgé de 72 ans comme le "seul par son expérience à pouvoir reprendre le flambeau", c’est vite oublié la casserole de sa condamnation en 2004 dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Cette image d'homme providentiel ne suffira pas, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, et ministre à de nombreuse reprises, sera finalement défait lors de la primaire de la droite et du centre ne rassemblant que 33,51 % des voix face à François Fillon.

Baroin 2022

Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, la droite traditionnelle a souvent été en difficulté à l'heure de se trouver un leader naturel, selon l'expression souvent utilisée. Les regards se sont notamment tournés vers François Baroin, rappelé au cœur des instances du parti en octobre 2019. Xavier Bertrand et Valérie Pécresse venaient alors de quitter le navire, rendant leur carte du parti.

L’ex-président de l'Association des maires de France (AMF) revenait alors de sa traversée du désert. Aux législatives de 2017, celui qui est aussi maire de Troyes depuis 1995, s'était pris un violent revers, avec 26,95% des voix au second tour, loin derrière les 49,12% du candidat porté par la vague macroniste. Mais en septembre 2020, le favori du patron Christian Jacob provoque stupeur et incrédulité à droite, en fermant la porte à sa candidature pour 2022.

L'époque est au clivage. Eric Zemmour, Christiane Taubira, ces deux personnalités -très éloignées sur le spectre idéologique- ont en commun une forme de radicalité. Résultat: ils plaisent surtout dans leur camp. “Taubira incarne le mieux les valeurs d’une certaine gauche, utopique, idéalisée, affirme Jean Garrigues. C’est un recours par rapport à une impasse politique de la gauche.”

Déception obligatoire

Mais l’idée d’une candidature providentielle dérange les personnalités, elles, déjà bien engagées. Surtout quand elles sont en difficulté, y voyant une énième candidature à gauche. “C’est trop tard, juge un porte-parole de Yannick Jadot pour BFMTV.com. Que pense Taubira sur le climat? Ou sur la justice sociale? On ne sait pas.”

Car s’engager dans la course à l’Élysée comporte des risques pour la popularité du candidat. “On note toujours une déception, car l’attente est beaucoup trop élevée, pointe l’historien Jean Garrigues. Il y a d’abord un temps d’enchantement autour d’une boussole, suivie d’une période de disgrâce.” De quoi décourager Christiane Taubira qui risquerait de perdre son aura? "C'est le théâtre des ombres", nous commentait Arnaud Montebourg à son sujet jeudi dernier. Celui qui a appelé à l'union à gauche attend son appel.

Seul moyen de survivre en politique pour une personnalité providentielle: entamer une mue. “Mitterrand avait joué sur la nouveauté et la rupture en 1981, et en 1988, il misait sur l’ordre et la continuité”, détaille Jean Garrigues. Selon lui, Emmanuel Macron s’apprête à faire de même. Pariant que la nouvelle radicalité des hommes et femmes providentielles ne dure qu'un temps: celui de la campagne.

Nina Jackowski