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"C'est pas Badinter": la proposition de nommer Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel irrite

Richard Ferrand à l'Élysée le 8 mars 2022

Richard Ferrand à l'Élysée le 8 mars 2022 - Ludovic MARIN / AFP

Emmanuel Macron a proposé ce lundi soir le nom de l'ex-président de l'Assemblée nationale pour remplacer Laurent Fabius à la tête du Conseil constitutionnel. Mais son profil suscite la perplexité, y compris en macronie. Richard Ferrand va devoir désormais convaincre le Parlement du bien-fondé de sa nomination.

Un fidèle d'entre les fidèles. Emmanuel Macron a annoncé ce 10 février avoir choisi l'ex-président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand pour devenir président du Conseil constitutionnel. Sa probable nomination, une fois levé l'obstacle des auditions du Parlement, vient parachever dix ans de compagnonnage politique aux côtés du chef de l'État.

"Il a à la fois la hauteur, la distance et l'expérience de dialogue. C'est le profil idéal. C'est pour ça qu'il est choisi", analyse ainsi le président des sénateurs macronistes François Patriat auprès de BFMTV.com.

"Une parole très libre"

Sans mandat depuis 2022 après avoir été sèchement battu aux législatives par une candidate socialiste, Richard Ferrand n'a en réalité jamais quitté les allées du pouvoir ces dernières années.

"Il fait partie des rares à avoir une parole très libre avec lui, à lui dire les choses comme elles sont, dans les bons moments comme dans les tempêtes", analyse François de Rugy, son prédécesseur à la tête du Palais-Bourbon.

De quoi faire de lui une énigme dans un cercle présidentiel qui ne compte plus guère de fidèles de la première heure. Pur apparatchik socialiste, cet ancien proche d'Henri Emmanuelli et de Martine Aubry, avait fait partie des premiers à gauche à intégrer le giron d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie.

"Il pense qu'il sera utile"

Depuis, les deux hommes ne sont plus quittés. Nommé ministre de la Cohésion des territoires en mai 2017, le Breton ne passe qu'à peine 4 petites semaines à son poste, contraint à la démission après des soupçons de prise illégale d'intérêt liées aux Mutuelles de Bretagne qu'il a dirigées.

Une fois exfiltré, il devient président des députés Renaissance à l'Assemblée où la greffe prend mal avec les troupes macronistes. Il gagne alors un surnom :le grognard grognon. Richard Ferrand finit cependant par devenir le locataire de la rue de Lassay, l'un des plus beaux postes de la République.

Après sa défaite aux législatives - une première depuis 1958 pour un président de l'Assemblée nationale -, Richard Ferrand fait vœu de silence médiatique. Depuis, il a fondé sa société de conseil tout en présidant le conseil de surveillance du groupe de cliniques privées Elsan.

"S'il dit oui pour le Conseil constitutionnel, c'est parce qu'il pense qu'il y sera utile au pays, ce n'est pas par vanité", décrypte l'ex-député macroniste et questeur de l'Assemblée Florian Bachelier.

Des arguments parfaitement entendables pour Prisca Thévenot, députée Ensemble pour la République: "Une telle nomination nécessite qu’on s’attache au parcours, à l’expérience et la résistance des profils. Richard a toutes les qualités surtout dans le contexte dans lequel nous sommes où nous institutions sont chahutées voire menacées."

"Il n’a méprisé personne, il n’a insulté personne, c’est un vrai républicain", décrit l’un de ses interlocuteurs. Pour autant, sous couvert d’anonymat, plusieurs ministres assument une nomination très politique. "J’entends depuis un an qu’il faut des nominations qui ne laissent pas les coudées franches à Marine Le Pen si elle est élue", glisse un membre du gouvernement.

"Pas le premier choix"

Son nom a pourtant mis du temps à s'imposer. Pendant des mois, Emmanuel Macron a réfléchi à la succession de Laurent Fabius, contraint de quitter le Conseil constitutionnel après 9 ans.

Avec un contexte particulier: la crainte de l'élection d'un candidat ou d'une candidate en 2027 qui chercherait à remettre en cause la légitimité de l'institution.

En pleine réforme des retraites, Laurent Wauquiez, alors président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, avait accusé le Conseil constitutionnel qui venait de censurer en partie des dispositions de la loi, "d'être sorti de son lit". "Désormais, le juge s'est mis à écarter les lois", avait tempêté l'élu LR en mars 2023.

De quoi pousser le chef de l'État à chercher un profil extrêmement solide pour contrer les attaques à venir, sans forcément souhaiter reprendre à son compte la tradition de nommer l'un de ses proches, que ce soit Jean-Louis Debré pour Jacques Chirac ou Laurent Fabius pour François Hollande.

"Richard Ferrand, ce n'était pas le premier choix je pense", résume pudiquement un conseiller ministériel qui a suivi de très près le dossier.

"Le PS et LFI ne vont pas le rater"

Plusieurs noms avaient circulé, de celui de Didier Migaud, l'ex-garde des Sceaux, longtemps socialiste qui avait franchi le Rubicon en septembre dernier pour devenir ministre de la Justice à Jean-Denis Combrexelle, un temps directeur de cabinet d'Élisabeth Borne à Matignon. Sans guère convaincre le locataire de l'Élysée qui a finalement choisi le nom de Richard Ferrand.

Avant de dire oui, l'ex-président du Palais-Bourbon s'est assuré de ne pas aller droit à l'échec. Il lui faut en effet encore passer devant la commission des lois au Sénat et à l'Assemblée. Si les 3/5 des parlementaires qui en sont membres mettent leur veto, l'ancien député n'aura d'autre choix que de reculer.

"S'il y va, c'est qu'il a fait ses comptes et qu'il pense qu'il ne risque rien. Après, je pense qu'il risque quand même d'être un peu secoué et que LFI et le PS ne vont pas le rater", remarque un poids lourd de la macronie.

"On est quand même loin de Robert Badinter"

En février 2022, l'audition de la ministre Jacqueline Gourault, pressentie pour devenir membre du Conseil constitutionnel avait été émaillée de chausse-trappes, de questions sur les décisions passées du Conseil constitutionnel à ses relations avec Emmanuel Macron, tout en étant finalement bien validée par le Parlement.

"Il n'a pas un profil de constitutionnaliste, il a commencé sa carrière au magazine Auto Moto. On est quand même loin de Robert Badinter (président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995 NDLR)", tance un député macroniste qui ne l'apprécie guère.

Deux années de droit pendant ses études, rapporteur d'à peine deux textes à l'Assemblée en 10 ans sur les bancs de l'hémicycle... Son CV a de quoi rendre perplexe, y compris Laurent Fabius.

Lors d'un discours en forme de testament, le numéro 1 du Conseil constitutionnel espérait en décembre dernier que son successeur détienne une "expérience juridique solide", appelant à "la compétence" et à "l'expérience".

"La République des copains"

Quant à "l'indépendance" que réclamait également l'actuel président, les contempteurs de Richard Ferrand ont beau jeu de s'interroger.

"La question, c'est: est-ce qu'il saura faire preuve d'autorité et saura bien représenter l'institution quand elle sera attaquée?", se demande de son côté un ex-ministre de François Hollande.

"Le Conseil constitutionnel ne peut pas être l'endroit où on recase ses amis. Ce n'est pas la République des copains", s'est agacé de son côté le coordinateur national de LFI Manuel Bompard sur BFMTV ce dimanche.

Même son de cloche au PCF. 'Ce choix va indubitablement affaiblir la légitimité d'une institution qui va prendre une importance considérable, étant donné les circonstances politiques', considère le sénateur Pierre Ouzoulias. Son parti a même déposé une proposition de loi pour changer les règles de nomination au Conseil Constitutionnel

"On avait dit la même chose pour Laurent Fabius avec François Hollande et regardez, il a très bien fait le travail. Et puis s'il est nommé Richard Ferrand sera en poste jusqu'en 2034 tandis qu'Emmanuel Macron quittera l'Élysée en 2027", banalise de son côté l'ex-président de l'Assemblée François de Rugy.

"Ça va passer, mais ce sera juste", glisse un ministre, convaincu que "le RN laisserait passer". Autour de Marine Le Pen, on ne dit mot des intentions de la patronne. Mais l’un de ses proches se félicite que le profil choisi par l’Élysée soit "moins pire qu’Eric Dupond-Moretti", un temps envisagé.

"Après ce n’est pas notre tasse de thé, mais au moins c’est un type qui est politique et qui a de l’expérience", note un proche de la présidente de groupe.

"Un trouble" sur son indépendance

Richard Ferrand aura d'autant plus à faire que sa seule interview après sa défaite aux législatives avait jeté le trouble. L'ex-député avait appelé auprès du Figaro à "changer" "la limitation du mandat présidentiel dans le temps". En cas d'arrivée rue de Montpensier, Richard Ferrand sera rapidement jugé à l'épreuve des faits.

Les sages devraient se pencher sur une question prioritaire de constitutionnalité liée à l’inéligibilité d’un élu condamné et à l’exécution provisoire de sa peine qui l'empêche de se présenter à nouveau devant les électeurs, même en cas d'appel.

La réponse sera particulièrement suivie par Marine Le Pen pour qui le Parquet de Paris a requis ce type de peine, laissant planer son absence de la ligne de départ en 2027.

"C'est dommage parce que même si sa décision est prise en toute indépendance, ça jettera forcément un trouble si le Conseil constitutionnel dit que tout cela est bien dans les clous juridiques", regrette déjà un sénateur LR.

Marie-Pierre Bourgeois et le service politique de BFMTV