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Politique

Bertrand : « On n’a pas fini de discuter »

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Xavier Bertrand, Ministre du Travail, est venu défendre point par point son projet de réforme des régimes spéciaux. Il lève aussi le voile sur les coulisses des négociations.


G C : Vous êtes l’homme clé en ce moment de ces négociations. Quel est votre indice de confiance sur la fin de la grève d’ici vendredi soir sur une échelle de zéro à dix ?
X B : Si c’est ma volonté c’est dix sur dix, le plus rapidement possible. Parce que c’est une deuxième journée de galère qui commence aujourd’hui pour de nombreux salariés qui ne savent pas combien de temps ils vont mettre pour aller au boulot, qui sont parfois inquiets et qui se demandent comment ça va se passer s’ils vont arriver et s’ils seront en retard.

G C : Donc volonté et confiance pour vous c’est pareil, c’est du dix sur dix ?
X B : Non parce qu’il y a la volonté. La confiance ne dépend pas de nous. Il y a des questions précises qui ont été posées par les organisations syndicales qui voulaient savoir si on peut aller dans des discussions d’entreprise et si ça va être sérieux et solide. On m’a posé la question samedi soir, hier j’ai répondu oui. Maintenant, les conditions sont réunies pour qu’on aille dans les entreprises.

G C : Et qu’est ce que vous avez proposé concrètement aux syndicats, qui puisse les faire changer d’avis et dire à leur base qu’on peut suspendre la grève ?
X B : On va revenir un petit moment en arrière, parce que je crois qu’il faut bien comprendre, sur le dossier des régimes spéciaux, comment les choses se sont passées depuis le début. Il y a d’abord cette volonté de mener à bien cette réforme de régimes spéciaux : il faut que les Français soient sur un pied d’égalité, et il faut aussi réformer les régimes spéciaux parce qu’autrement dans 5, 10 ou 15 ans, personne ne peut garantir aux agents des régimes spéciaux, qu’on saura comment financer leur retraite. Il y a 1 300 000 retraités dans ces régimes spéciaux, il y a 500 000 cotisants. Donc il y a un problème de financement. Nous avons donc décidé d’engager cette réforme et, depuis le début, je cherche une réforme raisonnable. C'est-à-dire, avoir les moyens de trouver une réforme équilibrée et juste. J’ai donc mis sur la table un premier document d’orientation, je ne l’ai pas décidé tout seul, j’en ai beaucoup parlé avec des organisations syndicales qui sont venues me voir. Après, certaines m’ont dit qu’elles allaient me faire des propositions parce qu’il y a un risque, notamment sur le pouvoir d’achat de certains agents. C’est à dire que s’ils font deux ans et demi de plus, ils peuvent quand même toucher moins. J’ai regardé les choses, je suis allé dans les entreprises, et nous avons décidé d’apporter des réponses complémentaires.

G C : Donc on est d’accord, les salariés qui partiront à la retraite après quarante annuités au lieu d’actuellement 37.5, ne toucheront pas moins…
X B : Non, ils gagneraient plus. La vérité, c’est qu’ils ne peuvent bien souvent pas faire 37.5 ans. Vous avez des clauses qui sont stupides dans certaines entreprises ; à la SNCF et à EDF, vous devez partir à la retraite à 50 ans ou à 55 ans même si vous n’avez pas toutes vos années de cotisations. Même si vous n’aurez pas votre retraite complète on vous fait partir. Je veux supprimer ces clauses. Ce qui veut dire, et pour être très précis dans la réponse à votre question, que sur la base de 40 ans, un agent qui fera 2 ans et demi de plus ne touchera pas un euro moins.

G C : Sur le terrain il y a eu de l’intox pour que les gens croient autre chose ?
X B : Ce que je veux vous dire c’est qu’il y a eu des modifications, des améliorations au document du Gouvernement, parce que je suis allé voir sur place. Je me suis mis avec des agents, notamment EDF, face au simulateur et ils m’ont montré les choses. Ce qui est vrai, c’est qu’un agent qui n’augmenterait pas d’un mois sa durée de cotisation, alors qu’il faut l’augmenter pour tout le monde, verrait sa pension en subir les conséquences. En revanche, celui qui avancera avec la réforme n’aura aucun problème. Je le dis aux agents concernés, allez voir la nouvelle version du simulateur, dans l’entreprise.

G C : C’est un simulateur informatique, un logiciel ?
X B : Oui, c’est un logiciel informatique qui permet de calculer les années de cotisations dans le régime spécial de l’entreprise concernée, ça permet de voir combien on aura, en partant en retraite à tel ou tel âge.

G C : Il est vrai que les retours qu’on a eu de certains syndicats c’est que le logiciel était mal configuré au début et qu’ensuite des modifications ont été apportées…
X B : Vous avez raison de le préciser, c’est très important, parce qu’aujourd’hui dans la nouvelle version, il montre bien la réalité et tout ce que je vous dis correspond à la stricte vérité.

G C : Qu’est ce qui ferait changer l’attitude des syndicats dans vos propositions ?
X B : Maintenant qu’on a posé ce cadre gouvernemental, de la responsabilité du gouvernement, c’est à dire l’harmonisation de la fonction publique et du privé, les 40 ans pour tous, on n’a pas fini de discuter. On a besoin de parler de choses très précises et très concrètes : les salaires, les salaires en fin de carrière, la pénibilité et la spécificité des métiers, la formation en fin de carrière. Un exemple : un contrôleur en fin de carrière, il a plusieurs jours de découchés où il n’est pas chez lui. Est-ce qu’on ne peut pas lui donner le choix, soit de continuer comme avant, soit en fin de carrière, de donner des cours, de former des jeunes contrôleurs. Est-ce qu’on donne la possibilité dans des entreprises comme la RATP, en fin de carrière, s’il y a trop de machinistes, d’avoir une autre fonction à l’intérieur de la RATP ? Ou alors même, notamment sur certains métiers pénibles, pourquoi ne pas proposer une activité à temps partiel avec un financement. Tout ce qu’on met là sur la table, il est quand même bon d’en discuter dans les entreprises.

G C : Pour résumer, les syndicats voulaient que l’Etat participe à ces négociations. Vous acceptez d’y participer, d’envoyer des responsables de votre cabinet participer, entreprise par entreprise ?
X B : Clairement la réponse est oui parce qu’il faut bien comprendre que sur ce sujet là, chacun a à l’esprit les principes d’harmonisation de la réforme. Ce n’est pas seulement la volonté du gouvernement, c’est la volonté des français. Ce dossier n’arrive pas sur la table aujourd’hui par hasard. On en a parlé pendant la campagne, le président de la République a été clair, avec la question notamment des 40 ans pour tous. Maintenant, chacun veut être sûr que les négociations vont réussir et d’ailleurs, il y a une obligation de résultat. A partir de ce moment là, pour les entreprises publiques, qu’il y ait un représentant de l’Etat, si c’est une garantie supplémentaire, que les choses vont se passer sérieusement et que les négociations seront solides, la réponse est oui.

G C : On entend que certains grévistes ne veulent pas arrêter la grève, qui demandent tout simplement le retrait du projet de réforme et qui ne veulent pas aller jusqu’à 40 annuités. Vous pensez vraiment que la base va suivre ?
X B : Quand vous interrogez l’ensemble des agents, la SNCF l’a rendu public la semaine dernière, ils sont une très large majorité, beaucoup plus de 50% à vouloir dire aujourd’hui aux organisations syndicales qu’il faut négocier dans les entreprises. A dire : « nous avons compris que le passage à 40 ans était inévitable comme pour l’ensemble des français et aujourd’hui il faut pouvoir nous permettre de nous organiser comme on l’a permis en 2003 pour les fonctionnaires et les agents du privé. »

G C : Donc vous pensez qu’ils vont suivre ?
X B : Je suis persuadé que la volonté des agents c’est justement qu’on aille dans ces négociations avec les entreprises. Si vous interrogez l’ensemble des agents, c’est une écrasante majorité, parce qu’il faut aussi leur donner la possibilité de s’organiser par eux-mêmes et je crois qu’il est important de bien préciser que les négociations dans les entreprises ne sont pas faites pour annuler le passage aux 40 ans. Il faut être clair et transparent vis à vis de l’ensemble des français. Je crois qu’il faut bien comprendre que dans la France de 2007, on a vraiment beaucoup plus à gagner en se mettant autour d’une table qu’en restant dans un conflit.

G C : Autour d’une table il y aurait peut être SUD Rail, deuxième syndicat de la SNCF. Pourquoi le deuxième syndicat n’est pas destinataire de la lettre de méthode que vous avez envoyé hier ?
X B : Pour plusieurs raisons : la première c’est qu’il n’est pas considéré comme représentatif. Ça n’est pas moi qui fixe arbitrairement les règles de représentativité. Elles existent depuis longtemps et SUD Rail les connaît depuis longtemps. A partir de ce moment là, si un syndicat n’est pas représentatif il n’a pas la même vocation.

G C : Pourquoi il n’est pas représentatif ?
X B : Parce qu’il y a des règles de représentativité qui datent depuis très longtemps. Il y a l’histoire des syndicats, il y a leur audience. Je vais être très précis sur ce sujet : on a reçu SUD Rail au Ministère, et ils sont sortis en disant qu’il n’y a rien à négocier dans cette réforme. A partir de là, si c’est pour se retrouver face à des personnes totalement fermées à la négociation, je ne vois pas d’intérêt, il faut qu’on avance sur un dossier comme celui-là. Dans un moment qui est important, difficile pour des millions de français, pour les usagers et pour les entreprises concernées, pour des agents qui ont des inquiétudes aussi. A nous d’apporter des réponses. On est aussi dans un moment important parce que l’action, qui était celle des syndicats, qui ont compris à la veille de la grève qu’il fallait qu’eux aussi fassent des propositions, ça montre bien qu’on a peut-être la possibilité, cette fois ci, de régler tout ça en sortant par le haut.

G C : La retraite du salarié dans le privé est basée sur les 25 meilleures années, pour les régimes spéciaux de retraite, c’est parfois sur les six meilleurs mois, les six derniers mois même le dernier mois. Ça va rester ?
X B : On va passer aux six derniers mois. On n’a pas inventé ça aujourd’hui, c’est exactement comme la fonction publique depuis maintenant quelques années.

G C : Ma question finalement c’est pourquoi tout le monde ne sera pas sur un pied d’égalité ?
X B : Six derniers mois parce que dans la fonction publique comme dans les régimes spéciaux, les primes ne sont pas intégrées dans le calcul de la retraite alors que dans le privé on prend tout en considération. Il faudrait vraiment mettre tout à plat pour qu’on soit sur un pied d’égalité au niveau du salaire. Donc ce ne sera pas un avantage que l’on concède, c’est tout simplement parce que les primes ne sont pas intégrées. J’irai même plus loin c’est que, si vous intégrez les primes, ça vous coûte plus cher que de passer justement aux six derniers mois. Un dernier élément, c’est que les fonctionnaires ne sont pas égaux face aux primes ; il y a des hauts fonctionnaires qui ont des primes importantes, et il y a des fonctionnaires, dans les hôpitaux par exemple, qui n’ont pas beaucoup de prime. Ça fait aussi une inégalité, alors si c’est pour intégrer les primes et créer des injustices, je ne suis pas preneur. Voilà pourquoi j’assume les six derniers mois.

G C : Et est ce que vous êtes preneur pour une réforme du régime spécial des parlementaires : cinq ans de mandat, 1500 euros de retraite garantie ?
X B : C’était hier ça, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous avons eu le débat il y a maintenant 15 jours, à l’Assemblée Nationale, pour réformer le régime des parlementaires. On va tout mettre à plat et on va le faire avec beaucoup de transparence, de sorte à éviter tous les fantasmes sur la question. Le débat est venu il y a quinze jours, je représentais le Gouvernement ; d’habitude sur des sujets comme ça le Gouvernement doit rester muet, ça concerne les parlementaires donc on ne dit rien. Mais j’ai pris mes responsabilités, je me suis levé et j’ai dit qu’il fallait effectivement réformer le régime des parlementaires et j’ai donné un avis favorable du Gouvernement. Cela veut dire qu’un parlementaire ne pourra plus cotiser en même temps, pour sa retraite, en tant que fonctionnaire. Comme il y avait deux cotisations il y avait deux versements de retraite. Il y a des exemples célèbres, de droite comme de gauche, qui montre bien que c’était scandaleux et pas normal. En 2003 les parlementaires ont commencé à réformer leur régime de retraite et aujourd’hui en 2007 ils continuent.

G C : Mais on est d’accord qu’ils vont continuer à cotiser double et donc, au bout de cinq ans de mandat, ils toucheront les 1500 euros de retraite ?
X B : Je crois qu’il faut vraiment mettre les choses à plat, parce que sur ce sujet, quand on joue la transparence, il y a moins de fantasmes et on peut avancer.

La rédaction-Bourdin & Co