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"S'immerger dans une scène de crime": qu'est-ce qu'une reconstitution numérique dans une enquête?

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Le juge d'instruction en charge du dossier de la mort de Thomas à Crépol (Drôme) en novembre 2023 lance ce lundi 22 septembre une reconstitution numérique en présence des 14 jeunes hommes mis en examen dans cette affaire.

Reconstituer la scène de crime... sans quitter les murs du palais de justice. C'est le choix fait par le juge d'instruction en charge du dossier de la mort de Thomas, 16 ans, poignardé lors d'un bal à Crépol (Drôme) en novembre 2023. Si l'auteur des coups de couteau est toujours inconnu à ce stade, 14 personnes dont plusieurs mineurs sont mises en examen pour "homicide volontaire" ou "tentative d'homicides volontaires en bande organisé".

Elles sont soupçonnées de venir de quartiers populaires Romans-sur-Isère et d'avoir blessé plusieurs participants pendant un affrontement avec des groupes locaux.

Au cours d'une enquête, lorsque le juge d'instruction souhaite organiser une reconstitution, celle-ci prend place en général à l'endroit où le crime a été commis, où sont rassemblées toutes les parties du dossier - du mis en cause et ses conseils aux avocats des parties civiles. S'il accepte de participer, le suspect rejoue les faits geste après geste, sous l'œil attentif des enquêteurs, qui peuvent ainsi confirmer ou infirmer les différentes versions et hypothèses.

Ici, rien de tout cela: ce n'est pas à Crépol que les différents protagonistes se rejoignent, mais bien au sein du palais de justice de Valence. A priori jusqu'au 1er octobre, les 14 mis en examen seront confrontés à une modélisation numérique en 3D des lieux du drame.

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L'objectif: s'immerger complètement dans une scène de crime, et ainsi pouvoir établir plus précisément la responsabilité de chacun des suspects... et peut-être comprendre qui est l'auteur des coups de couteau qui ont conduit à la mort de Thomas, en 2023. "C'est comme un jeu vidéo en 3D", commente à BFMTV Me Jean-Yves Dupriez, avocat de parties civiles dans le dossier.

"Immergé dans la scène"

Lors d'une reconstitution "classique", les enquêteurs peuvent seulement prendre en photo les différents gestes effectués par le suspect. "L'inconvénient, c'est que cela manque de fluidité. Une reconstitution numérique permet de mieux analyser les trajectoires complètes des individus qui se déplacent sur une scène de crime", indique Me Hervé Gerbi à BFMTV.

L'avocat a notamment assisté à deux reconstitutions numériques, la première lorsqu'il était avocat de parties civiles au procès des attentats du 13-novembre 2015, et la seconde dans le dossier du "tueur de DRH", Gabriel Fortin: pour ce faire, les gendarmes ou les policiers "sauvegardent" une scène de crime à l'aide d'un matériel spécialisé leur permettant d'enregistrer plusieurs points et coordonnées. Ils retravaillent ensuite ces données afin de reconstituer la scène en réalité virtuelle.

Dans le cas précis du drame de Crépol, c'est un expert en support numérique qui devra reconstituer, selon les indications des juges d'instruction et des avocats, un film numérique permettant de représenter au mieux la scène de crime et le déroulé des faits.

Pour Me Hervé Gerbi, cet acte présente de nombreux avantages. "Une reconstitution 3D permet de voir aussi quelle était la visibilité des témoins présents sur la scène de crime. Et ce n'est pas inintéressant du point de vue du mis en cause, pour comprendre quel était son champ visuel. On est immergé dans la scène, comme si on était l'auteur des faits", décrit-il.

"L'avantage principal, c'est qu'on peut revenir sur une version et pouvoir la travailler à l'envi sans problème de temps. Avec l'outil numérique, on a plus de matière et de temps", indique à BFMTV Me Alexandre Farelly, avocat de la famille de Thomas.

Une technologie perfectible?

Reste que cette technique nécessite encore énormément de moyens humains et financiers: à l'heure actuelle, "plusieurs jours" sont nécessaires aux enquêteurs pour transformer les données récupérées sur une scène de crime en une modélisation numérique, selon David Brutin, de l'Université Aix-Marseille, qui travaille à perfectionner ces technologies et faciliter le travail des enquêteurs.

Cet enseignant-chercheur coordonne depuis l'an dernier un projet baptisé iCRIME et expérimenté depuis le mois de décembre au sein de la cour d'appel de Caen (Calvados). Le programme a pour but d'automatiser le traitement des données en apprenant aux logiciels des enquêteurs à reconnaître les meubles ou objets présents sur la scène de crime. Mais il tend aussi à offrir la possibilité d'animer ces éléments pour vérifier chaque hypothèse lors de la reconstitution.

"On fabrique un jumeau numérique de la scène de crime, on sauvegarde cette dernière et on l'archive à vie", détaille David Brutin à BFMTV. Même si plusieurs années ont passé et que la scène de crime a été "libérée", "on peut se replonger dans cette scène de crime le plus fidèlement possible".

Au sein du tribunal de Caen, une salle est dédiée à cette expérimentation: lorsqu'un juge d'instruction souhaite lancer une reconstitution numérique, tous les participants - le juge lui-même, mais aussi les greffiers, le mis en cause et tous les avocats du dossier - s'y rassemblent, revêtent des casques de réalité virtuelle et ont accès à la modélisation numérique réalisée en amont.

La reconstitution se déroule ensuite de manière assez classique, le suspect rejouant la scène geste après geste. La victime est, elle, représentée par un avatar. "Ses mouvements, ses paroles... Tout est enregistré et pourra être diffusé lors du procès", détaille David Brutin. "En ré-immergeant le suspect dans la scène de crime, on va peut-être pouvoir débloquer des souvenirs, déclencher des aveux."

Elisa Fernandez