Relation sexuelle avec une fillette de 11 ans: la délicate question de l’âge du consentement

A partir de quel âge peut-on consentir une relation sexuelle? C’est la délicate question qu’abordera mardi le tribunal correctionnel de Pontoise. Un homme de 29 ans est poursuivi pour "atteinte sexuelle" sur une fillette de 11 ans et risque cinq ans de prison. Son cas, déjà renvoyé en septembre dernier, pourrait l’être une nouvelle fois. D’abord parce que la défense a soulevé des nullités. Mais aussi parce que la partie civile compte demander la requalification des faits en viol, ce qui pourrait lui valoir une peine de 20 ans de prison.
"A partir du moment où même le présumé-auteur reconnaît qu’il y a eu un rapport sexuel avec pénétration, pour nous c’est un viol. Et un viol, ça relève des assises", explique Martine Brousse, président de l’association "La Voix de l’enfant", partie civile dans cette affaire.
Juridiquement, ce n’est pourtant pas automatique. Si le droit français interdit les relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans, il ne fait aucune mention d’un âge légal du consentement. Sans violence, contrainte, menace ou surprise, avoir une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans, même quand l’accusé est majeur, ne relève donc pas du viol, mais de l’atteinte sexuelle.
Un projet de loi présenté le 7 mars
L’affaire de Pontoise, mais aussi l’acquittement en novembre par les assises de Seine-et-Marne d’un homme de 22 ans (au moment des faits) jugé pour le viol d’une enfant de 11 ans, avait relancé le débat sur l’inscription dans la loi d’un âge en dessous duquel s’appliquerait une présomption de non-consentement. Le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, qui devrait être présenté le 7 mars en Conseil des ministres, devrait déterminer ce seuil dans la loi. Emmanuel Macron lui-même s’était à titre personnel dit favorable à une limite fixée à 15 ans.
Avec une présomption de non-consentement simple, c’est le prévenu qui devra démontrer que la victime était consentante. Mais dans le cadre d’une présomption de non-consentement irréfragable, la défense ne pourra plus tenter de prouver le consentement. "En droit, une présomption de culpabilité qu’on ne peut pas renverser poserait des problèmes au regard de la constitution", prévient Jacky Coulon. Le secrétaire nationale de l’union syndicale des magistrats (USM) met également en garde contre l’effet d’une telle mesure dans le cas d’une affaire qui concernerait deux adolescents consentants.
"Comme si on supprimait les feux rouges et qu’on disait que c’était à la police d’apprécier si on le brûle ou pas"
De son côté, le syndicat de la magistrature considère qu’il ne faut pas toucher à la liberté d’interprétation du juge, considérée par certains comme un vide juridique. "Il faut lui laisser la possibilité de regarder à la fois si le consentement du mineur n’est pas éclairé mais aussi si l’auteur pouvait avoir conscience de ça, explique Katia Dubreuil, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature. Souvent on oublie cet élément intentionnel qui est fondamental: quand on condamne une personne pour viol sur mineur de 15 ans, il encourt 20 ans de réclusion criminelle. C’est une des peines les plus lourdes prévue par le Code pénal, qui réprime l’intention d’un auteur de contraindre une victime. On ne peut pas écraser la notion de viol par l’automatisation de la réponse pénale".
Mais "la majorité des magistrats n’est pas formée pour ça", répond Martine Brousse. Pour la présidente de l'association la Voix de l’enfant, "c’est comme si on supprimait les feux rouges et qu’on disait que c’était à la police d’apprécier si on l'a brûlé ou pas. Je viens de voir qu’un enfant ne pouvait pas avoir accès aux réseaux sociaux avant 15 ans. Alors les réseaux sociaux, ce n’est pas avant 15 ans, mais une relation sexuelle, oui? Pour nous ce n’est pas acceptable".
"Faire en sorte que les plaintes des victimes soient recueillies au plus vite, pour qu’on ait le maximum de preuves"
Début février, un groupe de travail du Sénat sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs s’est quant à lui prononcé contre l’instauration d’une limite d’âge pour le consentement. Selon les sénateurs, celle-ci serait "sans effet sur le risque d’acquittement par un jury populaire de cour d’assises, qui juge en son intime conviction". Elle aurait également "un caractère brutale et arbitraire" en introduisant "une automaticité dans la loi pénale qui ne permettrait pas de prendre en compte la diversité des situations".
De son côté, Katia Dubreuil reconnaît que "la répression pénale des violences sexuelles est insatisfaisante, parce que souvent on classe sans suite ou on fait des non-lieux par manque de preuve". Selon elle "la réponse n'est pas dans l'automatisation, mais dans le fait de faire en sorte que les plaintes des victimes soient recueillies au plus vite et dans les meilleures conditions, pour qu’on ait le maximum de preuves".
"Les actes sexuels sur un enfant sont forcément des atteintes graves à son intégrité"
Des conclusions difficiles à entendre du côté des associations de défense de l’enfance. "La notion de discernement est absurde, lance Murielle Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, qui interviendra en tant qu’experte au procès de Pontoise. Comment penser qu’une enfant de 11 ans peut avoir le discernement nécessaire pour vivre une relation sexuelle? Les actes sexuels sur un enfant sont forcément des atteintes graves à son intégrité. Ils ne sont pas équipés pour vivre ça. Certains enfants pourraient à 13 ans avoir la capacité de… Mais au nom de ces enfants-là, qui subiront quand même des conséquences, on va mettre en danger l’ensemble des enfants?".
Selon elle, instaurer un seuil de non-consentement serait "un moyen supplémentaire de dire ‘on ne touche pas aux enfants’. Pour le moment, c’est interdit, mais dans certains cas aujourd'hui ça revient quand même à dire que ce ne serait pas si grave. C’est choquant". L’âge légal du consentement est d'ailleurs déjà fixé dans de nombreux pays: Il est de 16 ans en Suisse et aux Pays-Bas, de 15 ans au Danemark, de 14 ans en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Italie ou au Portugal, ou encore de 13 ans au Royaume-Uni.