Viol "involontaire", par "manipulation": au procès des viols de Mazan, à chacun sa défense sur le banc des accusés

51 personnes sont jugées au procès des viols de Mazan - Benoit PEYRUCQ / AFP
"Tous ceux qui sont venus chez moi peuvent dire le contraire. Je ne leur ai pas menti, ils savaient très bien. (...) Les hommes qui sont venus chez moi ne sont pas venus par hasard." Courant septembre, Dominique Pelicot est interrogé par la cour criminelle qui le juge pour les viols de sa femme Gisèle et la soumission chimique dans laquelle il l'a plongée pendant une décennie.
Le septuagénaire reconnaît les faits reprochés, mais demande à ses 50 co-accusés d'assumer leurs responsabilités. Selon lui, tous étaient parfaitement au courant de l'état d'inconscience dans lequel se trouvait Gisèle Pelicot au moment des rapports sexuels imposés.
"À mi-parcours de l'examen de la situation de l'ensemble des co-accusés", le président de cette cour criminelle Roger Arata a souhaité donner la parole à Gisèle Pelicot pour recueillir son ressenti. La septuagénaire, qui a assisté à la quasi-totalité des audiences, qui était présente lors du visionnage des vidéos filmées par son mari -sans les regarder- devrait réagir ce mercredi 23 octobre aux réponses apportées par les 29 co-accusés de Dominique Pelicot, les 29 hommes accusés de viol, qui pour l'instant ont été interrogés par la justice.
La dernière fois qu'elle a pris la parole, Gisèle Pelicot dénonçait le traitement qu'on lui infligeait depuis le début du procès.
"Je me sens humiliée, dans cette salle on me traite d’alcoolique, on me dit complice", s'était-elle emportée. "J’ai tout entendu! Ils sont venus me violer. C'est tellement dégradant et humiliant ce que j'entends dans cette salle".
"Pas d'intention de viol"
Le 2 septembre, à l'ouverture du procès, 35 des 50 co-accusés maintenaient ne pas savoir que Gisèle Pelicot avait été droguée par son mari, et par conséquence n'avait pas donné son consentement à un quelconque rapport sexuel. "Ils sont d’accord de la matérialité de la relation sexuelle au domicile des Pelicot, mais il y a un désaccord quand on leur dit qu’ils y sont allés en connaissance de cause", résumait sur BFMTV Me Isabelle Crépin-Dehaene, qui représente deux des accusés.
"Je ne supporte pas ça", s'est emporté un jour Gisèle Pelicot, sortant de la salle d'audience, alors que l'un des accusés assurait ne pas avoir eu l'intention de la violer.
Le ton avait été donné dès le départ par un autre avocat de la défense. "Il y a viol et viol", avait brandi Me De Palma, avocat de six accusés, pour appuyer l'absence d'intention de viol des accusés quand ils venaient au domicile des Pelicot. Ils avaient pourtant l'intention d'avoir un rapport sexuel, en l'état imposé à Gisèle Pelicot.
Depuis, la cour a reçu autant de versions qu'il y a d'accusés. Ils évoquent le "viol involontaire", le "viol à contrecœur", comme ont ironisé les avocats des parties civiles, ou encore le viol par manipulation. Mais nombres d'entre eux le plaident: "Ils ne sont pas des violeurs".
"Je me sens coupable de viol, mais pas de l'intention de viol, car ce jour-là dans ma voiture, je ne me suis pas dit que j'allais violer cette femme", soutenait Lionel R.
L'impossibilité de prononcer le mot viol
Cette défense est partagée par la plupart des accusés, même ceux qui au départ reconnaissaient un viol. Jérôme V, venu à six reprises chez les Pelicot, reconnaît a minima "le caractère immoral et illégal" des faits. Cyprien P., lui, "ne conteste pas les faits". Mais face au tribunal, il ne peut se résoudre à prononcer le mot viol. "Je m'excuse d'avoir participé à ce truc horrible, je suis coupable", précise-t-il, mais "je ne peux pas dire que c'est un viol". "Ça ne me représente pas... Je regrette, je ne peux pas dire autre chose", persiste l'accusé.
"On n'est pas des violeurs dans l'âme", ose quant à lui Thierry Po., poursuivi également pour détention d'images pédopornographiques. Un autre assure ne pas avoir pu venir commettre un viol, estimant que Gisèle Pelicot n'était pas à son goût. "Je ne suis pas violeur, mais si j’avais violé quelqu’un ça n’aurait pas été une dame de 57 ans, mais une belle", assume Ahmed T., qui a pourtant imposé des actes sexuels à Gisèle Pelicot.
"Je ne demande pas à ce qu’on dise que je suis innocent, mais je ne suis pas un violeur, c'est tout! On dit que je suis un violeur, car il y a ce mot de non-consentement", lance pour sa part Simone M.
Lors de ce procès, annoncé comme un tournant sociétal sur la notion du viol, la question du consentement revient sans cesse. Avec des définitions très personnelles. Si certains reconnaissent n'avoir jamais échangé avec Gisèle Pelicot et ne pas avoir recueilli son consentement, la mise en scène de Dominique Pelicot, pour d'autres, justifiait leur passage à l'acte. "J'avais le consentement du mari", s'est défendu Mohamed R. à la barre. "J'ai toujours cru percevoir le consentement de Mme Pelicot à travers M. Pelicot, c'est lui qui le donnait", estime quant à lui Dominique D.
Tous manipulés
La simulation d'un endormissement de Gisèle Pelicot est aussi un argument de défense. Plusieurs d'entre eux disent "ne pas avoir cherché plus loin". "Du début à la fin du rendez-vous, rien ne m'a choqué. Je pensais qu'elle faisait semblant de dormir", a déclaré pour sa part Eric D. Tous plaident ainsi la thèse de la manipulation, ce que dément l'accusé principal. Lors des premiers échanges entre Dominique Pelicot et les hommes qu'il fera venir chez lui, ce dernier indiquait rechercher un partenaire pour avoir des relations sexuelles avec un couple.
Tous assurent que le mari leur a dit que sa femme ferait semblant de dormir. À leur arrivée, Gisèle Pelicot est en position fœtale, totalement inerte, comme le montre les vidéos diffusées à l'audience.
"Sur le moment, je trouve ça bizarre, mais je me sens en confiance, je pensais être invité par le couple. Jamais je ne me serais imaginé qu'il puisse faire ça à sa femme dans son dos", assure Vincent V.
"Manipulés", "piégés", tombés "dans un guet-apens", certains de ces hommes ont, disent-ils, été "terrorisés" par Dominique Pelicot. "Quand je l'ai vu, j’ai eu la trouille de ma vie, il était tout rouge, il avait un regard terrifiant, il était directif", s'est justifié Redouan E., assurant avoir fait "le bon élève" et répondu aux attentes de Dominique Pelicot. Il dira même avoir tenté de réveiller Gisèle Pelicot par ses caresses. Marc L. lui n'a fait qu'"obéir aux ordres".
Le soutien des proches
Reste ceux qui accusent Dominique Pelicot de les avoir drogués. "Je ne me rappelle plus de la scène", a répondu systématiquement Jean T. quand il a été interrogé par la cour. Un autre évoque le Coca que Dominique Pelicot lui aurait proposé, un autre encore un jus d'orange ou un verre d'eau. L'intéressé nie en bloc affirmant avoir vu un seul de ces hommes boire de l'eau, directement au robinet. Les vidéos montrent elles des hommes visiblement en pleine capacité, Jean T. arborant même le V de la victoire avec les doigts.
Si certains arrivent à regretter, des aveux clairs de leur part semblent impossible. "Pourquoi ne pas le croire, pourquoi croire tout le monde et pas lui? On croit en sa version, car on sait que ce n’est pas un violeur, on n'a aucun doute", confiaient, à BFMTV, d'une seule voix Valérie et Erica, la compagne et la fille de Cyril D., lui aussi accusé. Une appréciation très largement partagée par les proches de ces hommes jugés.