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Procès

"Je voulais me reconvertir": au procès de Frédéric Péchier, un ancien collègue témoigne du trouble causé par les empoisonnements

Le docteur Frédéric Péchier, devant le tribunal à Besançon, le 8 septembre 2025

Le docteur Frédéric Péchier, devant le tribunal à Besançon, le 8 septembre 2025 - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Le docteur Jeangirard a témoigné ce jeudi 18 septembre devant la cour d'assises du Doubs. Il revient sur la série d'incidents inexpliqués au sein de la clinique Saint-Vincent, et son arrêt en 2017. L'année où l'affaire éclate et Frédéric Péchier est mis en examen.

Veste moutarde, chemise blanche, lunettes sur le nez… Le docteur Jeangirard, anesthésiste-réanimateur, s’avance dans la salle de la cour d’assises du Doubs. Pour cette neuvième journée d’audience dans le procès de Frédéric Péchier, accusé de l’empoisonnement de 30 patients, dont 12 mortels, dans deux cliniques privées de Besançon, le témoin revient sur la série noire d’"événements indésirables graves", ou "EIG", inexpliqués à Saint-Vincent.

Aujourd’hui en poste à l’hôpital de Vesoul, le Dr Jeangirard a fréquenté de longues années les couloirs, blocs et salles opératoires de la clinique Saint-Vincent. Frédéric Péchier était d'ailleurs son collègue. "J’ai commencé en novembre 1996 et je suis parti en janvier 2024", explique-t-il à la barre ce jeudi 18 septembre.

L’augmentation de la fréquence des événements indésirables graves inexpliqués ne lui a pas échappé. "J’en ai eu sept, d’autres en ont eu cinq, certains trois", indique le témoin dont trois des sept EIG, liés à Frédéric Péchier, ont été retenus pour le procès.

"J’en avais parlé avec Frédéric Péchier. Il nous avait dit que c’était la norme." Pour le justifier, l'ex-anesthésiste s'était appuyé sur des chiffres, des statistiques qu'il glissait dans les conversations. "Il n’y jamais eu d’écrits", expose le témoin qui lui faisait alors confiance.

"Je n’avais plus la foi"

"C’est un personnage en qui vous aviez confiance. Vous aviez confiance en ce qu’il vous disait", poursuit le praticien qui souligne avoir loué les qualités du docteur Frédéric Péchier dans un article du Parisien, au tout début de l'affaire.

Ces "EIG" inexpliqués marquent quand même le médecin et s’invitent dans les discussions de son couple. "J’avais parlé avec ma femme d’arrêter l’anesthésie, car c’était une loterie", expose le témoin. "Je voulais me reconvertir en plombier-chauffagiste. Je n’avais plus la foi."

"Heureusement, je l’ai retrouvée, car après le départ de Frédéric Péchier, je n’ai jamais plus connu d’'EIG'", affirme-t-il devant la cour d’assises du Doubs. "De 2017 à 2024, j’ai endormi 3.000 patients chaque année, et il n’y a eu aucun 'EIG' inexpliqué", poursuit-il.

Le témoignage du Dr Jeangirard accable la défense de Frédéric Péchier. C’est en effet en 2017 que le Dr Péchier est placé en garde à vue et mis en examen pour une première série d’empoisonnements au sein de deux cliniques privées bisontines. Dr Jeangirard le découvrira lors d'une convocation dans les locaux de la police judiciaire. "C'était un dimanche, et je ne savais pas pourquoi j'étais convoqué. Je ne savais pas que Péchier était en garde à vue, je ne savais rien. Ça n'avait pas fuité à la clinique Saint-Vincent."

Son audition dure 56 heures. "C’est un passage à la moulinette", confie-t-il. Il apprend que son collègue est suspecté d’avoir pollué au hasard les poches de perfusion des patients de ses collègues entre 2008 et 2017. "Ça a été un choc. Pour moi, c'est alors inimaginable qu'il y ait un empoisonneur, qu'on utilise des patients pour se venger de quelqu'un ou quelque chose. Je ne peux pas l'admettre."

"C'est très facile"

En 2017, après les 'EIG' inexpliqués de Sandra Simard et Jean-Claude Gandon, le témoin a expérimenté la pollution de poche de soluté en partant du mode opératoire supposé de l’accusé. "Les poches de Ringer Lactate se terminent par un bout de plastique, avec deux trous recouverts d’aluminium. Vous soulevez l’aluminium, pouvez planter une aiguille plus fine dedans, et vous remettez l’aluminium", expose-t-il.

"Vous avez essayé", lui demande la présidente. "On a tous essayé. On a gardé une âme d’enfant. On a essayé de comprendre comment c’était possible", raconte-t-il. "Ça ne veut pas dire qu’on va le faire aux patients."

Interrogé sur cette manipulation par la cour, le témoin l'affirme: "C’est très facile. Si je le montre à un enfant de six ans, il le fera. Si vous mettez du sirop de grenadine, vous verrez la couleur, mais vous ne verrez pas le trou."

Si la manipulation est à la portée de tous, l’ajout de produits dans ces poches demande, elle, des connaissances médicales pointues. "Ce n'est à la portée que d'anesthésistes ou d'infirmiers anesthésie", affirme-t-il. "Quand on injecte de la mépivacaïne ou du potassium (des produits que l'on retrouve dans les cas de Jean-Claude Gandon et Sandra Simard, Ndlr), c'est une volonté d'empoisonner." "Avez-vous des doutes sur sa culpabilité?", l’interroge l’une des avocates générales. "Non", lui répond le témoin.

Charlotte Lesage