Procès de la bande corse du "Petit Bar": premier test pour le statut de repenti

Palais de justice de Poitiers. (photo d'illustration) - Guillaume Souvant - AFP
Premier test grandeur nature pour le statut de repenti "à la française": un Corse, sous protection depuis qu'il a dénoncé les membres présumés de la bande criminelle du "Petit Bar", comparaît ce lundi à leurs côtés à Aix-en-Provence, dans un dossier d'assassinat.
Le premier repenti français
L'audience, qui doit s'ouvrir à 14h, est à haut risque: la sécurité du premier repenti français, Patrick Giovannoni, 48 ans, dépend de la crédibilité de ce statut. Inspiré de la lutte anti-mafia en Italie et aux Etats-Unis, il est encore embryonnaire en France.
En brisant la loi du silence en 2015, Patrick Giovannoni a fait tomber l'un des groupes criminels les plus emblématiques de ces dernières années en Corse. Avec ses cinq coaccusés, à des degrés divers d'implication, il est jugé pour l'assassinat en 2010 de l'ancien nationaliste Antoine Nivaggioni, proche du clan Orsoni.
Assurer la sécurité des repentis
Comme tous les repentis, Patrick Giovannoni a pu bénéficier des gros moyens prévus par la loi pour assurer sa sécurité. En échange d'une collaboration complète, l'État s'engage à aider les repentis à refaire leur vie à l'abri, éventuellement avec une identité d'emprunt, à la manière des services de renseignements.
La divulgation de détails sur cette protection est punie par la loi. Le ministère refuse même de communiquer le nombre de statuts de repenti accordés, "compte tenu de la sensibilité de cette matière". Mais, face à un milieu criminel réputé pour ne pas pardonner la délation, ces efforts seraient réduits à néant par une comparution à visage découvert.
Préserver l'anonymat
Pour éviter le casse-tête juridique, une loi adoptée in extremis en octobre 2017 prévoit la possibilité d'un huis-clos, qu'a déjà prévu de réclamer l'avocat de Patrick Giovannoni, Laurent-Franck Liénard, ou d'autres dispositifs techniques, comme une comparution par vidéo-conférence floutée.
"Il appartient à la juridiction de faire comparaître (le repenti) dans des conditions permettant de préserver son anonymat et sa protection", a souligné avant cette première judiciaire le procureur général d'Aix-en-Provence, Robert Gelli.
Pas d'immunité pénale
Ce n'est pas le seul écueil. Malgré son statut, Patrick Giovannoni, décrit comme une petite main, ne bénéficie pas d'une immunité pénale, et n'a aucune assurance que la justice lui rende grâce d'avoir parlé. Ses aveux, tardifs, n'ont en effet pas permis d'empêcher le crime.
"On doit le condamner, mais pas à de la prison ferme, car ce serait l'envoyer à la mort", estime son avocat, Laurent-Franck Liénard, qui redoute des représailles. "On casse le système des repentis s'ils savent que c'est comme ça qu'ils sont remerciés". Avec ce côté coup de "poker" à l'audience, le système de repenti à la française reste "délicat à gérer", confirme un magistrat qui a beaucoup travaillé sur le grand banditisme, en Corse notamment.
Le procès-test
"Malheureusement on est assez loin du système des repentis italiens", poursuit-il : en France, une commission spéciale est chargée d'attribuer le statut, et magistrats et enquêteurs ne peuvent "rien négocier". "Ensuite, tout ce qui est peine prononcée nous échappe encore plus", autant d'inconnues qui nuisent au développement du dispositif, estime-t-il.