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Police-Justice

Mort d'Elisa Pilarski: le coût des expertises peut-il entraver l'enquête judiciaire?

Elisa Pilarski est morte le 16 novembre 2019, tuée par des chiens dans une forêt de l'Aisne

Elisa Pilarski est morte le 16 novembre 2019, tuée par des chiens dans une forêt de l'Aisne - Facebook

La juge d'instruction en charge de l'enquête sur la mort d'Elisa Pilarski a confirmé avoir renoncé à un premier devis d'analyse trop onéreux des ADN des chiens mis en cause. Face à un budget étriqué, le coût des expertises entre en compte dans l'avancée de l'enquête.

Dans les séries policières américaines, les enquêteurs résolvent les affaires en multipliant test ADN, expertises balistiques et autres examens médico-légaux. Dans la réalité, ces derniers sont loin de disposer d'autant de moyens pour accéder "à la manifestation de la vérité". Elisa Pilarski, 29 ans, a été tuée dans la forêt de Retz, dans l'Aisne, le 16 novembre dernier, par un ou plusieurs chiens. Trois mois plus tard, les prélèvements effectués sur les 67 chiens mis en cause n'ont toujours pas été analysés.

La juge d'instruction a refusé un premier devis, en raison de son coût prohibitif. Comme souvent, les magistrats sont prudents et réfléchissent à deux fois avant d'avoir recours à un examen onéreux dont le résultat ne serait pas nécessairement probant.

Un devis à 200.000 euros

Vendredi, la juge d'instruction en charge de l'enquête a confirmé que les analyses n'avaient pas été effectuées car le laboratoire lui avait envoyé un premier devis de "200.000 euros".

"Contrairement à ce qui a été affirmé par certains médias, les expertises ADN ne sont absolument pas abandonnées. Elles vont être bel et bien menées. La procédure a juste pris un peu de retard en raison de la cherté du devis présenté par le laboratoire privé initialement sollicité", a-t-elle fait savoir à l'Agence France Presse.

Maître Alexandre Novion, l'avocat du compagnon de la victime, nous avait au préalable également fait état d'un coût "très élevé" pour analyser l'ADN des 67 chiens, les 5 chiens de la victime et les 62 autres appartenant à l'association le Rallye la Passion. Ces dernières sont réalisées par un laboratoire privé, car la gendarmerie en charge du dossier n'utilise pas ce type de technique, plus rare que les tests d'ADN humain.

Une grille tarifaire libre

Le montant semble effectivement "exorbitant", aux yeux de Soizic Lebeau, experte en empreintes génétiques, contactée par BFMTV.com. Cette dernière précise que chaque laboratoire est libre de fixer sa grille tarifaire, mais que la variation sur le territoire ne dépasse pas plus de 10%. Le coût dépend également de la rapidité du flux d'analyses effectuées, indique l'experte:

"Si le laboratoire effectue un gros volume de prélèvement, un test ADN coûte aux alentours de 15-20 euros. S'il faut avoir un résultat très rapidement, par exemple lors d'une garde à vue, on monte à 200 euros." 

Dans tous les cas, le laboratoire effectue une hiérarchisation, en accord avec le magistrat, dans les examens à effectuer:

"Tandis que les enquêteurs ne peuvent pas se permettre de laisser le moindre indice sur la scène de crime, l'expert fait une sélection, dans l'analyse des scellés", poursuit Soizic Lebeau.

Budget étriqué

Les expertises en biologie moléculaire font toutefois appel à plusieurs machines, tout en allongeant le temps de travail humain, il est donc certain qu'elles sont plus onéreuses que celles en toxicologie par exemple. Et les magistrats n'ont pas un porte-monnaie extensible.

"Les consignes d'expertises sont bien sûr contraintes par le budget de la justice... qui est ce qu'il est", déplore auprès de BFMTV.com Cécile Mamelin, juge aux affaires familiales et trésorière nationale de l'Union syndicale des magistrats (USM).

Face à un budget étriqué, réparti proportionnellement dans les 36 cours d'appel, la justice doit sans cesse s'interroger sur la pertinence d'une analyse. Dans un rapport de la Cour des comptes publié en 2014, les actes médicaux (analyses génétiques, expertises toxicologiques, médecine légale) étaient la catégorie occasionnant le plus de frais de justice en matière pénale.

L'expertise ADN n'est "pas le Graal absolu"

Pour un devis concernant un cambriolage, si le montant des expertises est supérieur aux préjudices, le parquet renoncera donc systématiquement aux analyses. Dans le cadre d'affaires criminelles lourdes, un examen déterminant ne sera, de fait, jamais écarté, ce qu'a assuré la juge d'instruction chargée de l'enquête sur la mort d'Elisa Pilarski. Cette dernière est en train de contacter d'autres laboratoires privés français à même de pratiquer ce type d'expertise très spécifique sur des animaux.

Si elles sont attendues de pied ferme par le compagnon de la victime, Me Caty Richard, avocate de la mère d'Elisa Pilarski, appelle à la prudence:

"Il convient d’éviter le piège de croire que les expertises scientifiques soient la solution à toutes les enquêtes judiciaires. Dans cette affaire notamment les expertises ADN ne constituent pas le Graal absolu, et si leurs résultats sont attendus bien évidemment par mes clients en tout premier chef, il n’est pas non plus question de fantasmer que ces expertises répondront à toutes les questions posées par ce drame", a-t-elle déclaré dans un communiqué.
Esther Paolini