Le procès Bettencourt suspendu pour une question de procédure

Sept des principaux protagonistes de l'Affaire Bettencourt, autour de la riche héritière de l'Oréal, Liliane (2e en haut à gauche). Dans l'ordre, Eric Woerth, Pascal Wilhelm, Patrice de Maistre, Carlos Vejarano, Stephane Courbit, Francois-Marie Banier et Martin d'Orgeval. - Montage AFP
C'est la femme la plus riche de France, et l'une des plus grosses fortunes mondiales. Liliane Bettencourt a-t-elle été victime, des années durant, d'un entourage peu scrupuleux? C'est la question à laquelle tenteront de répondre les juges au cours d'un procès hors-norme qui s'ouvre ce lundi à Bordeaux. Un procès prévu pour durer cinq semaines et dont l'audience a été suspendue lundi matin pour une question de procédure. Sa reprise est prévue dès mardi matin.
En tout, ce sont dix personnes, dont l'ancien ministre UMP Eric Woerth, qui sont jugées dans le volet "abus de faiblesse" de l'affaire, premier d'une longue série de procès dans un dossier aux ramifications multiples.
L'ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, un temps soupçonné et mis en examen en 2013, dans le volet de l'enquête portant sur un possible financement politique occulte, a finalement bénéficié d'un non-lieu.
François-Marie Banier, Patrice de Maistre, Eric Woerth...
Huit ans après le début de cette affaire aux innombrables rebondissements judiciaires, la justice va examiner les agissements d'habitués de l'hôtel particulier de la propriétaire du groupe de cosmétiques L'Oréal, à Neuilly-sur-Seine dans les Hauts-de-Seine. Ils sont soupçonnés d'avoir profité de la vulnérabilité de la vieille dame, âgée de 92 ans, et 11e fortune du monde (près de 30 milliards d'euros, selon le magazine américain Forbes).
Parmi ces habitués, l'artiste et photographe François-Marie Banier, 67 ans, et son compagnon Martin d'Orgeval, 41 ans, qui furent des intimes de la milliardaire. Les deux hommes, poursuivis pour abus de faiblesse et blanchiment, sont soupçonnés d'avoir profité de largesses, notamment sous forme de dons pécuniaires et d'oeuvres d'art, se chiffrant en centaines de millions d'euros.
Egalement poursuivi pour abus de faiblesse et blanchiment, Patrice de Maistre, 65 ans, l'ex-gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt: il est soupçonné d'avoir profité de la vulnérabilité de la milliardaire, alors qu'elle souffrait de sénilité depuis septembre 2006, selon une expertise psychiatrique de 2011 dont les résultats devraient être âprement débattus à l'audience.
Le député UMP Eric Woerth, qui fêtera son 59e anniversaire durant le procès, ex-ministre du Budget et du Travail de Nicolas Sarkozy et ancien trésorier de sa campagne lors de l'élection présidentielle en 2007, est quant à lui renvoyé pour recel d'une somme que lui aurait remise Patrice de Maistre. L'avocat Pascal Wilhem, qui avait succédé à Patrice de Maistre, et un de ses clients, l'entrepreneur audiovisuel Stéphane Courbit, sont poursuivis pour abus de faiblesse, accusés d'avoir poussé la milliardaire à investir 143 millions d'euros dans l'entreprise de ce dernier.
Des enregistrements-pirates au coeur du procès
Deux notaires, Jean-Michel Normand et Patrice Bonduelle, sont, eux, renvoyés pour complicité d'abus de faiblesse. Enfin, son dernier infirmier, Alain Thurin (abus de faiblesse), et l'homme qui gérait son ancienne île aux Seychelles, Carlos Cassina Vejarano (abus de faiblesse et abus de confiance), seront également à la barre de ce procès prévu pour durer cinq semaines. Lors de l'ouverture du procès lundi matin, Alain Thurin n'était pas présent. Il a tenté de se suicider, a annoncé le procureur de cette première audience.
A l'origine de ce feuilleton politico-financier hors normes, qui a secoué le mandat de Nicolas Sarkozy, des rivalités au sein de la famille, lesquelles éclatent au grand jour fin 2007: la fille de Liliane Bettencourt, Françoise Bettencourt-Meyers, en conflit avec sa mère, dépose plainte à l'encontre de François-Marie Banier.
A l'appui de la plainte, des enregistrements de conversations, réalisés à l'insu de la milliardaire à son domicile par son majordome. Or ces écoutes-pirates, en partie divulguées dans la presse, révéleront d'autres faits donnant lieu à l'ouverture en cascade de plusieurs enquêtes. A l'issue de six années d'une procédure dépaysée à Bordeaux, fin 2010, depuis Nanterre, douze personnes avaient été mises en examen dans ce volet abus de faiblesse. Deux ont bénéficié d'un non-lieu, dont Nicolas Sarkozy.
Le rebondissement Claire Thibout
Mais le dossier a encore connu un ultime rebondissement fin 2014: Claire Thibout, comptable de Liliane Bettencourt de 1995 à 2008, considérée comme un des témoins-clés, a été mise en examen le 28 novembre pour faux témoignages. Cette mise en cause, dans une procédure distincte à Paris, fait suite à deux plaintes déposées en 2012 par François-Marie Banier et Patrice de Maistre. Au cours de l'enquête, Claire Thibout avait accusé les deux hommes d'avoir profité de la fragilité de la milliardaire pour lui soutirer de l'argent. Elle a notamment affirmé avoir remis à Patrice de Maistre 50.000 euros, somme qui aurait été destinée à Eric Woerth. Elle avait également fait état de l'emprise de François-Marie Banier sur sa patronne, désormais placée sous la tutelle de son petit-fils.
Vers une salve d'incidents de procédure?
Si le dossier ne repose pas uniquement sur le témoignage de l'ex-comptable, plusieurs avocats de la défense veulent le renvoi du procès. Une salve d'incidents de procédure est donc attendue à l'ouverture de l'audience. Outre l'abus de faiblesse, trois autres volets seront jugés ultérieurement à Bordeaux: du 23 au 25 mars, le volet trafic d'influence, dans lequel sont renvoyés Patrice de Maistre et Eric Woerth, et, les 8 et 9 juin, le volet violation du secret professionnel, qui verra comparaître la juge Isabelle Prévost-Desprez. Pour atteinte à la vie privée, l'ancien majordome Pascal Bonnefoy et cinq journalistes doivent comparaître à une date encore indéterminée.