"Le monstre que j'avais enfermé en moi a resurgi", témoignage d'un abuseur abusé
Dans le jardin arboré d’un pavillon de Bry-sur-Marne, Gaël* tire nerveusement sur sa cigarette. Il saisit chaque moment de flottement pour s’éclipser quelques instants du groupe de parole de l'Ange Bleu, une association qui recueille les témoignages d'anciens enfants abusés et de pédophiles abstinents. Cette pause clope, c'est comme une échappatoire éphémère aux témoignages violents qui s’enchaînent autour de la table de la salle à manger. Pour la première fois, l’homme de 35 ans est venu raconter "l’enfer total" qu’il vit depuis deux ans, quand il a commencé à abuser de sa petite fille, aujourd’hui âgée de 5 ans. Malgré son apparente timidité, Gaël ne passe pas par quatre chemin pour livrer son histoire.
"La première fois, ça s’est produit dans la salle de bains. Je prenais une douche avec ma fille, elle a touché mon sexe innocemment et je l’ai laissée faire. Et ça a recommencé, il m’arrivait de lui caresser les parties intimes le soir en la couchant."
"Monstre"
Ces attouchements, sans pénétration, Gaël ne se les explique pas car il n'a "jamais été attiré par les enfants. Il y a deux ans, je me disais encore que je si je croisais le chemin d’un pédophile je lui couperais les couilles". Sa "descente aux enfers" a commencé avec une dépression à la suite de son licenciement.
"Avec ma compagne, nous n’avions plus qu’un seul salaire pour vivre, on a eu des problèmes d’argent, ça a entraîné beaucoup de disputes entre nous. Elle me repoussait sexuellement alors que j’ai toujours eu une libido très développée. Jamais je n’aurais imaginé reporter ça sur ma fille sachant que j’ai moi-même subi des violences sexuelles quand j’étais petit. Je connais la douleur des victimes et pourtant j’ai sauté à pieds joints dans cette spirale infernale", glisse-t-il en regardant les multiples coupures qu’il a sur l’avant-bras. "Il y a trois jours, j’ai encore tenté de me suicider."
La culpabilité a rapidement rattrapé Gaël, en proie à de violentes crises d’angoisse et de tétanie. "Je me dégoûte d’avoir infligé ça à mon enfant mais d’une certaine manière je pense que si je n’avais pas été victime dans mon enfance je n’aurais jamais reproduit ces gestes, ça ne me serait pas venu à l’esprit. Il y a un monstre en moi que j’ai enfermé il y a trente ans et qui a refait surface." Monstre. Ils sont nombreux à se considérer de la sorte dans le groupe de parole. Ce jour-là, Gaël se sent soulagé d’être face à d’autres "monstres".
"Ça fait du bien de savoir que je ne suis pas le seul dans cette détresse. Mais j'aurais préféré connaître l'Ange Bleu avant mon passage à l'acte. On n'en serait sûrement pas là aujourd'hui…"
Plaintes
En janvier, la compagne de Gaël a déposé plainte au commissariat de Suresnes après que leur petite fille lui a raconté la façon dont son père la touchait. "Quand j’ai été entendu par la police, j’ai nié les faits, je les ai déformés. Je voulais repousser l’échéance." Il réussit à convaincre sa femme de retourner voir les officiers pour minimiser l'histoire, ce qu'elle fait.
"Le problème c'est que j'ai rechuté, j'ai touché une nouvelle fois ma fille et sa mère l'a appris." Après cette deuxième plainte, plus question pour Gaël de cacher la vérité. Pendant ses huit heures de garde à vue, il avoue tout: les attouchements, le mal-être, la dépression, le passé. "Je suis soulagé que ça ait éclaté car je voulais que ça s’arrête", assure-t-il.
Depuis, sa femme l’a quitté, emmenant avec elle leur fille. "On ne se voit plus mais on discute par téléphone." C’est son ex-compagne qui l’a incité à trouver de l’aide en attendant son éventuel procès. Gaël a récemment été déféré devant le juge. S'il en tire un certain soulagement, celui-ci est toutefois vite anéanti par la culpabilité et la tourmente: "Par mes gestes, j’ai volé l’innocence de ma fille et j’ai brouillé ses frontières entre le bien et le mal."
*Le prénom a été modifié