Le combat de deux Français déchus de leur nationalité

Le vote solennel du Sénat, prévu ce mardi, sur la révision constitutionnelle devrait enterrer cette réforme controversée. Les sénateurs ont en effet adopté jeudi un amendement réécrivant l'article 2 sur la déchéance de nationalité, en la réservant aux binationaux. Une position inconciliable avec celle des députés et qui devrait entraîner l'échec du projet.
Si le principe de la déchéance de nationalité ne sera donc pas inscrit dans la Constitution après de longues semaines de débats, elle n'en reste pas moins une réalité. La déchéance de nationalité a été appliquée 27 fois depuis 1973 dont 13 pour terrorisme.
En octobre, Bernard Cazeneuve avait annoncé avoir demandé la déchéance de nationalité de cinq personnes condamnées pour leur participation aux attentats de Casablanca du 16 mars 2003, quatre Franco-Marocains et un Franco-Turc, âgés de 38 à 41 ans. Ils ont dû rendre leur passeport en février 2016. Les équipes de 7 jours BFM ont rencontré deux d'entre eux: Attila Turk et Fouad Charouali.
"Je vis un cauchemar"
"Je vis un cauchemar", confiait Fouad Charouali à BFMTV le jour où il a dû rendre son passeport à la préfecture de Versailles. "C'est un coup de massue qui tombe sur la tête. Ce passeport français c'est quelque chose auquel je tiens, qui définit mes valeurs (...) J'ai l'impression que c'est une mère qui désavoue son enfant".
Arrivé en France à 3 ans, il a acquis la nationalité française à 16 ans. Après 38 ans en France, c'est comme s'il recommençait à zéro sur le territoire. Il a dû demander le jour où il a rendu son passeport une carte de séjour qui lui permet d'être en règle six mois. Ensuite il saura s'il peut rester ou s'il doit être expulsé. Mais sa femme, ses enfants, son travail, ses attaches sont à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines.
Pas de poursuites judiciaires depuis 2009
Depuis leur remise en liberté, aucun des cinq hommes n’a fait l’objet de poursuites judiciaires. Ils n’ont pas même été assignés à résidence ou perquisitionnés, depuis la mise en place de l’état d’urgence.
Depuis sa sortie de prison en 2009, Attila Turk s'est réinséré dans la société. "De 2009 à 2015 j'étais en liberté, je n'étais pas considéré comme dangereux. Si je suis dangereux, qu'on m'interpelle, si une personne est dangereuse on ne la laisse pas en liberté", clame-t-il amer. "Nous étions jeunes et naïfs, mais on n'a pas commis l'irréparable. L'enquête a bien prouvé qu'il n'y avait ni arme, ni explosif, ni préparation d'attentat. J'ai fait ma peine", se défend-il.
Attila Turk ne "voit pas d'autre endroit où vivre". En Turquie où il risque d'être expulsé, il n'a que de lointaines attaches familiales et sa femme et ses enfants sont en France. "On a rien à voir avec (les terroristes du Bataclan ndlr). Ce sont des tarés, ils s'en fichent de la nationalité, ils veulent mourir. Au nom de la sécurité on nous déchoit nous, pourquoi nous?", s'interroge-t-il en ayant le sentiment d'être un bouc émissaire.
L'espoir du recours
Les cinq déchus n'ont pas l'intention de se laisser faire. Ils ont déposé un recours devant le Conseil d'Etat et ont encore l'espoir d'annuler la décision. Leurs avocats espèrent plaider leur cause avant l'été.
"Si on légitime la déchéance de nationalité pour quelqu'un comme Attila ou les autres, on ouvre une boite de pandore terrible et on banalise la déchéance. Or la déchéance, elle ne peut pas être banalisée. Si elle existe, elle ne peut être réservée que pour des situations hors normes, extrêmes, où un citoyen français par des actes épouvantables perd sa légitimité de rester français", plaide William Bourdon.