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L'agression d'Yvan Colonna ravive la colère sur le non-rapprochement des détenus corses

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L'inscription d'Yvan Colonna au répertoire des "détenus particulièrement signalés" vient d'être levée. Ce statut, qui l'empêchait d'être transféré en Corse, est devenu, depuis son agression, l'objet de la colère de nombreux corse qui dénoncent un statut politique.

"Aujourd'hui, il est marqué comme un fait acquis que ces trois hommes n'ont pas le droit de vivre, on a l'impression qu'il est acquis que ces trois hommes doivent mourir en prison, c'est un retour en arrière de 40 ans." Ce sentiment est celui de Bruno Questel, député de la majorité et soutien infaillible au président Macron mais qui, sur cette question de transfèrement des membres du "commando Erignac" en Corse et de leur aménagement de peine "assume pleinement d'être en décalage" avec le gouvernement.

La violente agression d'Yvan Colonna, étranglé puis étouffé par un co-détenu le 2 mars sur fond de motif religieux a ravivé la colère en Corse. 4200 personnes, selon les autorités, 15.000 selon les organisateurs se sont réunis ce dimanche à Corte pour apporter leur soutien à Yvan Colonna et à sa famille, mais aussi pour dénoncer la responsabilité de l'État français dans cette agression.

Collégiens et lycéens se mobilisent également depuis le début de la semaine avec pour mot d'ordre un "Statu Francese Assassinu" ("État français assassin", NDLR) scandé dans les manifestations, dont s'est défendu le préfet de Corse.

"L'État français n'est pas un État assassin, l'État français n'a jamais été un État assassin, prétendre le contraire est contraire à la vérité", a déclaré Amaury de Saint-Quentin. "L'urgence aujourd'hui, c'est de renouer le dialogue avec l'ensemble des acteurs du territoire et retrouver la voie de l'apaisement."

Colonna radié du répertoire des détenus signalés

Pourquoi un tel slogan? En cause notamment, l'inscription d'Yvan Colonna, mais aussi des deux autres membres du "commando Erignac", Alain Ferrandi et Pierre Alessandri , au répertoire des DPS - "détenus particulièrement signalés". Une inscription renouvelée chaque année, sur la base du comportement du détenu mais aussi du risque d'évasion qu'il présente ou du risque de trouble à l'ordre public.

Ce statut les empêche d'obtenir, comme ils le réclament depuis des années, leur transfèrement dans l'unique prison corse de Borgo, pas équipée pour accueillir ce type de détenus. Yvan Colonna était jusqu'à son agression incarcéré à Arles (Bouches-du-Rhône), tandis qu'Alain Ferrandi et Pierre Alessandri purgent leur peine à Poissy (Yvelines), à près de 900 km de l'île de Beauté.

Pourtant en février 2018, interpellé par Stéphanie Colonna, l'épouse du berger, Emmanuel Macron n'avait pas totalement fermé la porte: "Que votre enfant puisse voir son père, que les personnes qui sont détenues dans notre pays puissent voir leur famille, ça fait partie des choses que nous allons assurer", avait-il affirmé.

"Cette agression aurait pu être évitée depuis longtemps", tranche auprès de BFMTV.com Thierry Casolasco, président de l'"Associu Sulidarità", association de défense et de soutien aux prisonniers nationalistes. "D'autres détenus DPS ont été transférés en Corse il y a une dizaine d'années. Il y avait cette volonté politique à l'époque. Aujourd'hui, il n'y a pas de volonté politique pour la Corse."

Une semaine après les faits, le Premier ministre, seul décisionnaire dans le cas d'Yvan Colonna, vient de décider de radier du répertoire DPS le berger corse, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat du préfet Erignac en février 1998, en raison de "la particulière gravité de (sa) situation de santé" - il est toujours entre la vie et la mort dans un hôpital marseillais.

Cette décision est loin d'apaiser la colère des proche d'Yvan Colonna. "Ce soir, un palier supplémentaire de la vengeance d'État: la levée de DPS pour un homme cloué sur un lit d'hôpital après une tentative d'assassinat", a tweeté sa sœur, Christine Colonna.

Une question "uniquement politique"

Les pouvoirs politiques locaux portent aussi cette demande: en octobre dernier, lors d’une session extraordinaire, l’assemblée de Corse a adopté à l’unanimité une résolution solennelle pour réclamer ce transfèrement sans délai. Pour les élus de l'île, la question est aujourd'hui davantage politique qu'administrative ou judiciaire.

"Elle est même uniquement politique", estime Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse.

Il y a quelques semaines, accompagnée de Gilles Siméoni, le président du conseil exécutif de Corse, et de parlementaires corses, la présidente de l'Assemblée de Corse a organisé une rencontre avec les représentants de tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale. Un rendez-vous positif selon plusieurs participants contactés.

"Si cette rencontre n’a pas empêché l’agression d’Yvan Colonna, elle nous a permis de confirmer que la situation révoltait jusqu’aux députés de la République et que le blocage de la situation relevait donc uniquement d’une volonté d’État", commente la présidente de l'Assemblée de Corse.

"L’écoute et le soutien des députés de toutes les formations politiques était un message fort auquel le gouvernement n’a encore une fois pas répondu, s’enlisant davantage dans sa logique qui ressemble à une vengeance d’État", poursuit-elle.

"Tourner la page"

Bruno Questel, dont la mère est d'origine insulaire et qui représentait LaREM lors de cette rencontre, partage l'emploi du mot "vengeance". Selon le député de l'Eure, qui a rencontré Yvan Colonna le 17 février dernier et qui visite régulièrement Alain Ferrandi et Pierre Alessandri à la prison de Poissy, le maintien de l'inscription de ces derniers au répertoire des DPS ou le refus de leur demande d'aménagement de peine "empêche d'écrire une nouvelle page pour la Corse".

"Il n'y a pas de vainqueurs ou de vaincus", martèle-t-il, craignant un embrasement de l'île, où des heurts ont déjà éclaté au cours des différentes manifestations organisées depuis une semaine. "Il faut appréhender le sujet corse dans sa globalité. La société insulaire ne veut pas être stigmatisée à cause de cet acte horrible qui a été commis."

"Aujourd'hui, on mesure combien ces personnes ont eu le temps de réfléchir", poursuit l'élu. "Leur souci majeur, ce n'est pas le retour à la violence. En empêchant leur transfèrement, on crée un climat d'incompréhension et on en vient à justifier l'emploi du terme prisonnier politique."

Les détenus corses en danger en prison?

Contactés par BFMTV.com, Matignon et le ministère de la Justice n'ont pas répondu à nos sollicitations. Mais en janvier 2021, le Premier ministre estimait dans un article du Monde que "le moment ne semble pas venu" pour un transfert des détenus corses sur l'île.

Interrogé quelques mois plus tard sur cette question et particulièrement sur l'inscription des détenus au répertoire des DPS, par le député de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, lors d'une séance de questions au gouvernement, Jean Castex assurait qu'il s'en remettrait à la décision des commissions locales statuant sur cette inscription.

"S'il décède l'Administration pénitentiaire et l'ensemble de la hiérarchie politique dont elle dépend devra rendre des comptes à la famille" d'Yvan Colonna, affirmait le 2 mars dans un communiqué Me Patrice Spinosi, avocat de la famille du berger corse.

La famille d'Yvan Colonna s'interroge aussi sur la possibilité pour un détenu si surveillé d'être agressé pendant huit minutes sans que personne n'intervienne. "Où étaient les gardiens dont le rôle était précisément d’empêcher ce type d’agression? Pourquoi un islamiste radical s’en est-il pris à lui particulièrement?", questionne Me Spinosi.

Deux enquêtes, une administrative et une autre judiciaire, ont été ouvertes pour faire la lumière sur ces faits. Les responsables de l'administration pénitentiaire vont être auditionnés par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

"Les détenus corses sont en danger car ils sont la cible de menaces généralisées par les détenus islamistes radicaux", conclut Marie-Antoinette Maupertuis. "C’est une certitude pour moi et pour l’ensemble des Corses: Alain Ferrandi et Pierre Alessandri sont potentiellement en danger et leur rapprochement doit être immédiat."
https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV