"Il n’y a pas de Dieu ici": à son procès pour meurtre, les petits arrangements de Martial Lanoir avec la réalité

L'entrée de la cour d'assises de Paris (image d'illustration) - JACQUES DEMARTHON / AFP
"Il a pris la vie de mon fils. C’était gratuit. Vous n’imaginez pas la douleur pour une mère." Cela fait plus de trois ans que Badia Casado Lopez pleure tous les jours. Brisée au-delà des mots pour le dire. Elle a perdu son jeune fils le 14 mai 2022, à 3 heures du matin. Tué d’une balle en pleine tête dans une rue du 18e arrondissement de Paris. Martial Lanoir, un militant conspirationniste de 53 ans, est jugé depuis mardi 17 juin pour son meurtre.
"Même si mon fils s’était bagarré, dans ce cas, appelle la police! Tire pas une balle dans la tête à un gamin! Il avait 27 ans… Il avait encore la vie devant lui", clame-t-elle face à l’accusé qui l’écoute tête baissée, ce 19 juin, à la cour d’assises de Paris.
"Pourquoi on ne peut pas vivre ensemble? Pourquoi il a la haine des gens ?", questionne la mère en deuil. Elle a encore "confiance en la justice française", mais rêve d’une société où les haines auraient disparu. Puis, elle retourne s’asseoir.
"Pas même un doliprane"
Jugé pour le meurtre d’Éric Casado Lopez, Martial Lanoir, ancien musicien reconverti dans la haine en ligne, a toujours assuré avoir vu une "rixe" sur le terre-plein central du boulevard de Clichy, qui aurait opposé trois hommes à un autre. L’incitant à sortir de sa voiture, à prendre son arme des deux mains et à appuyer sur la gâchette.
Avec les années, la "rixe" s’est transformée en "agression", en "lynchage", puis en "violente ratonnade", a même osé à l’ouverture de l’audience son avocat, Me François Danglehant. Seule certitude: entre l’instant où Martial Lanoir est sorti de sa voiture et celui où il a pris la fuite, il ne s’est écoulé que 16 secondes.
Ce 19 juin dans son box, Martial Lanoir persiste et dépeint une scène de violence, "hallucinante", "avec du sang partout". Mais le certificat médical réalisé sur la victime supposée du lynchage, un certain Mohammed Z., ébrèche cette hypothèse. "C’est ce que vous dites avoir vu. Ce n’est pas ce que les médecins ont constaté. Monsieur Z. a une bosse. À l’hôpital, on ne lui donne même pas un Doliprane", tance l’avocat général.
Les expertises médicales réalisées sur la personne accidentée n’ont établi aucun traumatisme crânien, ni aucune perte de connaissance, ajoute le magistrat: "Ça ne vous fait pas douter?". "Moi j’y étais, monsieur. Moi je l’ai vu. Je ne suis pas un menteur, devant Dieu", répond Martial Lanoir. "Monsieur Lanoir, il n’y a pas de Dieu ici. Notre société est une société laïque. Vous ne doutez de rien", s’agace le magistrat.
"Légitime défense"
L’accusé prétend être intervenu pour mettre fin à des violences, dont aucun témoin, ni aucune vidéosurveillance ne confirme la teneur. Les deux amis qui accompagnaient Éric Casado Lopez affirment qu’au moment du coup de feu mortel, celui-ci se trouvait seul aux prises avec un pickpocket. "Aux yeux de la loi, je suis habilité à faire cesser le trouble", estime pourtant Martial Lanoir. Une lecture toute personnelle du Code pénal qui irrite l’avocat général: "Vous y êtes autorisés si vous ne mettez pas la vie d’une autre personne en danger! Voilà ce que vous oubliez, Monsieur Lanoir !"
Seulement l’accusé, animateur d’une chaîne Telegram raciste et antisémite, était persuadé qu’une guerre civile couvait en France et qu’il était menacé. Une insécurité qui le poussait à porter un Colt 45 à la ceinture dès qu’il sortait de chez lui. Une armée dérobée à un ami. "Vous n’êtes ni gendarme, ni policier. La société ne vous a conféré aucun pouvoir pour exercer l’ordre. Vous avez pris ce droit", rappelle le représentant du ministère public.
Pour Me Nelson De Oliveira, avocat de la famille Casado Lopez, l’accusé s’est délibérément arrêté ce soir-là en vertu d’une "capacité à s’auto-convaincre" d’un danger. Son geste n’a, à ses yeux, rien d’accidentel: "À partir du moment où il vise la tête ou le buste à 10 mètres de distance, avec une arme de cette nature, compte tenu du pouvoir perforant de l’arme, de la rapidité du geste, en chambrant son arme… Il n’y a pas de doute. L’intention de tuer est là."
Et de citer ce message vocal glaçant diffusé par Martial Lanoir sur sa chaîne Telegram trois heures avant d’appuyer sur la détente. "On entend un homme décidé, animé d’une rage vengeresse, qui appelle clairement à 'éliminer' les juifs et les cafards", sous-titre Nelson De Oliveira. Il conclut sa plaidoirie, claire et sobre, en demandant à la cour de sévir "pour que plus jamais cela ne se reproduise". Martial Lanoir encourt 30 ans de réclusion criminelle. Verdict attendu vendredi.