Appels racistes, haine anti-juifs: un conspirationniste d'ultradroite jugé pour le meurtre d’un Franco-marocain

Martial Lanoir était à deux doigts de s’enfuir. Dans la nuit du 13 au 14 mai 2022, ce militant conspirationniste d'ultradroite âgé de 50 ans jetait à la hâte ses valises dans le coffre de sa BMW, espérant quitter Paris, direction la Lozère. Mais des policiers de la brigade anticriminalité (BAC) l’ont repéré et interpellé au terme d’une brève course-poursuite. Face à eux, Martial Lanoir a hésité un instant, puis a baissé son arme.
C’est sans ciller qu’il l’avait dégainée vingt minutes plus tôt, à quelques pas du Moulin Rouge, dans le 9e arrondissement de Paris, pour ouvrir le feu sur Éric Casado Lopez, un jeune homme d’origine marocaine de 27 ans qui fêtait son nouveau contrat de travail avec deux amis.
Un pistolet toujours à la ceinture
À bord de sa voiture, Martial Lanoir, animateur d’une chaîne Telegram raciste et militant antivax, avait cru voir une "rixe", selon ses mots, sur la promenade centrale du quartier Pigalle. Éric Casado Lopez était alors train de s’empoigner avec un pickpocket de Pigalle.
Martial Lanoir avait freiné, saisi le pistolet qu’il conserve toujours à la ceinture, et visé en le serrant des deux mains. Éric Casado Lopez s’est effondré sur le bitume, une balle en travers du crâne. Un meurtre en dix secondes chrono. Le suspect était reparti aussitôt en voiture.
Dans une ordonnance de mise en accusation que BFMTV a pu consulter, la juge d’instruction Katia Dubreuil a décidé de renvoyer cet activiste de 53 ans devant la cour d’assises de Paris pour homicide volontaire. "Pas plus que la légitime défense, le caractère involontaire de son geste ne paraît pouvoir être retenu", a tranché la juge d’instruction face à ses dénégations qui ont duré tout au long de l’instruction. Il sera jugé à partir de ce mardi 17 juin.
De version en version
Depuis trois ans, les déclarations de ce quinquagénaire originaire de Haute-Saône et jadis proche de l’idéologue d’extrême droite Alain Soral ont "considérablement évolué", retrace la juge d’instruction. Martial Lanoir a enchaîné plusieurs versions. La première: il a tiré parce qu’il craignait qu’Éric Casado Lopez et ses deux amis, qui disent n’avoir rien vu du meurtre, lui prennent son arme et attentent à sa vie, alors qu'il se trouvait à dix mètres de la scène en voiture.
La deuxième: le tir serait accidentel, la détente de son arme aurait dysfonctionné. Un spécialiste des armes a examiné son Colt: celui-ci fonctionnait parfaitement bien. La troisième: Éric Casado Lopez aurait, au moment des faits, esquissé un geste vers sa poche arrière, comme s’il allait saisir une arme. Son tir relèverait donc de la légitime défense.
Rien ne corrobore cette nouvelle version, selon la juge d’instruction, "d’une part, parce qu’il n’en a dans un premier temps aucunement parlé, puis a varié dans sa description du geste en question en s’adaptant aux éléments qui lui étaient opposés. D’autre part, parce que le témoin principal (…) n’a aucunement confirmé ce geste".
La juge a battu en brèche ces arguments: "Il a chambré l’arme au moment de braquer, ce qu’il aurait pu éviter de faire s’il n’avait à aucun moment eu l’intention de tirer." Une quatrième version nous a été fournie par son avocat, Me François Danglehant, joint par BFMTV: selon lui, Martial Lanoir aurait fait "une sommation" avant de tirer.
"Éliminez les cafards"
Malgré les propos antimusulmans, malgré les appels à "reprendre le pays aux juifs", que Martial Lanoir multipliait sur sa chaîne Telegram, le mobile raciste n’a pas été retenu par l’instruction. La juge a estimé qu’"aucun élément de la procédure" n'accrédite le fait que le crime de Martial Lanoir contre Éric Casado Lopez "résulterait de l'origine ou de la couleur de peau des intéressés".
Que penser alors de ses saillies racistes qu’il publiait depuis des mois, et encore juste avant ce crime? Dans une note vocale diffusée sur sa chaîne Telegram le 13 mai 2022 à 23h41, c’est-à-dire trois heures avant de tirer, Martial Lanoir exhortait ses 50 abonnés à commettre des violences contre "le peuple juif" en ces termes, a constaté BFMTV:
"L’antisémitisme n’existe pas, il n’existe que la légitime défense. (…) Jusqu’au dernier, je le répète, jusqu’au dernier des derniers, éliminez les cafards! Éliminez la tique sur le dos des peuples".
Prolifique sur cette boucle Telegram baptisée "les anti-smith" (où il avait publié plus d’une heure de notes vocales entre janvier et mai 2022, toujours accessible), Martial Lanoir attaquait indistinctement les juifs, les musulmans ou les immigrés. "Si on veut pas de l’islam sur le sol français, il faut se débarrasser des juifs (…) Battons-nous contre l’ennemi juré, les juifs, c’est par leur volonté qu’il y a des musulmans en France", annonce-t-il par exemple dans un message vocal le 9 mai. "Je pense sincèrement que si on était des milliers, armés, et bien décidés (…), on pourrait reprendre le pays", enchérit-il le 12 mai.
Persuadé que la guerre civile était à nos portes, Martial Lanoir avait dérobé un pistolet à un ami et le portait continuellement à la ceinture. "J’ai la conviction que l’on est face à un crime raciste. C’est une personnalité de la fachosphère et il a tiré sur quelqu’un qu’il a assimilé à une personne d’origine maghrébine", cingle Me Avi Bitton, avocat de la famille Casado Lopez. L’accusé encourt 30 ans de réclusion.