"Il disait que je devais mourir": poussée au suicide, une victime de violences conjugales témoigne

Sévérine a été poussée au suicide par son ancien compagnon, qui a été condamné en 2021. - PIERRE-OSCAR BRUNET / BFMTV
C'était dans la nuit du 2 au 3 mai dernier. Séverine* ingurgite un cocktail médicamenteux pour mettre fin à sa souffrance. Mettre fin surtout à des mois d'insultes, de menaces, d'humiliations et de coups lancés par son ancien compagnon. Le suicide comme seule porte de sortie de cette relation toxique, mêlant violences physiques et pressions psychologiques, que cette mère de famille de 47 ans a subi pendant trois ans.
L'homme qui a harcelé et poussée Séverine au suicide a été condamné à un an de prison ferme en août dernier. Une condamnation rare dans ce type de dossiers car "le lien de causalité exclusive est difficile à établir", explique-t-on au ministère de la Justice.
Et pourtant, "le harcèlement est le ciment de toutes les formes de violence - et il tue", martèle Yaël Mellul.
Cette ancienne avocate, spécialisée dans les dossiers de violences conjugales, veut faire reconnaître ce phénomène des "suicides forcés" - 209 femmes en ont été victimes en France en 2017, selon le rapport d'un groupe de travail européen auquel elle appartient.
"Ce n'est pas tout de suite la grande violence"
Pour Séverine, les premiers mots blessants sont arrivés bien après sa rencontre en 2017 avec cet homme, âgé de dix ans de moins qu'elle. À cette époque, elle est en instance de divorce du père de ses trois fils. "Au début, il n’y avait pas d’accès de colère, au contraire, c’était quelqu’un qui était très entourant, très prévenant", se souvient-elle auprès de BFMTV.com.
"Les drames, les coups n’arrivent pas comme ça. Bien évidemment, s’il y avait eu des épisodes violents d’emblée, je serais partie en courant."
Puis vient la première insulte, suivie immédiatement des premières excuses. "Et puis on pardonne parce qu’on est amoureux", souffle Séverine, qui vit à Marseille. "Ce n’est pas tout de suite la grande violence, ce sont des petites choses qui se cumulent et qui deviennent régulières. Ce sont des choses auxquelles on s'habituerait presque."
La mère de famille décrit les disputes "pour rien", les crises de jalousie toujours "pour rien", puis "la violence est montée crescendo". Un enchaînement qui peut arriver à n'importe qui, selon cette femme qui a fait des études et qui est insérée socialement.
Une situation d'emprise
S'installe alors une forme d'emprise, si caractéristique dans les situations de violences conjugales. Séverine pardonne, commence à croire qu'elle est responsable de ce changement de comportement, qu'il est violent par sa faute, qu'elle a fait de lui un monstre.
"Je n'avais aucune maîtrise", confie-t-elle. "Petit à petit, il est arrivé à me mettre en tête que j’étais responsable de ses colères, que c’était moi qui les provoquais, que ce n’était pas de sa faute, que c’était à cause de moi."
À cette culpabilité ressentie par la victime s'ajoutent les mensonges pour masquer les coups au regard de ses amis mais aussi de ses enfants: "Il y a un soir, j’ai pris la porte de son entrée en pleine figure, je saignais et ce jour-là j’aurais pu (tout raconter à ses proches, NDLR). C’était pareil, il m’a dit 'ne porte pas plainte, je n’ai pas fait exprès, je t’en supplie'."
"Il avait réussi à me mettre dans la tête qu’il n’avait pas fait exprès, que c’était un accident. Je suis rentrée chez moi, j’ai dit à mes enfants qu’on m’avait agressée dans la rue, qu’un homme avait essayé de prendre mon sac à main et qu’il m’avait mis un coup de coude pour prendre mon sac. J’ai menti à mes propres enfants pendant des mois."
"Il m'a poussé au suicide"
Séverine a perdu le contrôle de cette relation. Incapable d'en sortir, incapable d'appeler à l'aide. Pourtant, dans les premiers jours de janvier 2021, la mère de famille connaît un sursaut. Le soir du Nouvel An, le couple se dispute une nouvelle fois, pour un motif toujours futile.
Quand Séverine retourne au domicile de son compagnon le lendemain, ce dernier finit par lui rendre ses affaires. Il a uriné dans son sac. "C'était l'humiliation de trop", insiste-t-elle. La quadragénaire décide de rompre. Un sursaut de lucidité dans cette relation toxique qui va, s'il était possible, aggraver la situation.
"Quand je lui ai dit qu’on se séparait, ça a été la parole de trop. Lui me quittait de façon très régulière, après des excès de colère. Le jour où j’ai dit que c’était terminé, je crois qu’il s’est mis en tête qu’il allait me détruire tout simplement."
"Il avait le droit de me quitter mais moi c’était impossible", résume-t-elle. "À partir de ce moment-là, il est monté encore plus fort dans les menaces. Il s’en est pris à mes enfants, il a menacé de mort mes enfants, il nous a menacés de mort. Il a fallu que je déménage. Il m’a poussé au suicide."
Pendant des mois, Séverine reçoit des messages, des mails. Des dizaines, voire une centaine par jour. Toujours sous emprise, elle n'arrive pas à couper les ponts. "Il disait que j’étais une merde, que je ne devais pas vivre, que j’avais détruit sa vie, que je devais mourir", raconte-t-elle. "Il me martelait qu’il fallait que je meure. Je n’arrivais pas à m’en sortir, je n’ai pas réussi à libérer ma parole."
Pour elle, rien n'aurait arrêté son ancien compagnon. "J'étais devenue sa chose, je n'arrivais pas à me détacher, je n'arrivais pas à m'en sortir", souffle-t-elle encore émue. La mère de famille, qui a passé des mois à mentir sur la réalité de sa relation, évoque la honte qu'elle ressent vis-à-vis de ses proches. Pour elle, il est trop tard pour parler.
"Il y a eu ce soir où il avait passé la journée entière à me menacer et j’ai craqué, j’ai craqué, j’ai craqué. Ça a été plus violent ce jour-là ou j’étais plus fatiguée, je ne sais pas ce qu’il s’est passé… C’était un appel à l’aide. J’avais envie que quelqu’un me prenne mon téléphone et qu'on regarde ce que je subissais depuis des années. J’ai craqué, j’ai perdu pied."
Condamné pour "provocation au suicide"
Séverine est restée inconsciente pendant 36 heures après avoir ingéré un mélange de médicaments. Durant son hospitalisation, son fils tombe sur les centaines de messages de menaces reçus par sa mère mais aussi sur ce dossier contenant les photos des traces de coups qu'elle a reçus.
Le jeune homme lui fixe un ultimatum: "Il m’a dit 'Maman je ne vais plus te laisser le choix, tu vas porter plainte. Si ce n’est pas pour toi, tu vas le faire pour nous.' Ce sont mes enfants qui m’ont donné la force d’y aller, sinon je réfléchirais encore à y aller."
"Si on n'avait pas retrouvé mon téléphone, qui aurait pensé que c’était lui qui m’avait conduit à ça? Qu’est-ce qui prouvait que je m’étais suicidée à cause de lui?", s'interroge-t-elle encore aujourd'hui.
Au mois de juillet dernier, Séverine pousse la porte du commissariat. Un mois plus tard, la justice reconnaît son calvaire. Elle reconnaît surtout que son ancien compagnon, par ces menaces et ces insultes, l'a poussée à mettre fin à ses jours. L'homme a été condamné à un an de prison ferme pour "harcèlement, menaces de mort et provocation au suicide". Il n'a pas fait appel.
La mère de famille ne peut faire face à son bourreau, elle est représentée à l'audience par son avocate Me Marion Zanarini. "Ce n'est pas cette condamnation qui va me rendre heureuse mais j’étais extrêmement soulagée parce que la justice m’a reconnue en tant que victime, et c’était très important qu’on reconnaisse que ce suicide a été provoqué à cause de lui", se félicite-t-elle.
"Les mots tuent", tient-elle à rappeler, espérant que son témoignage aide d'autres femmes dans sa situation. "Moi aussi j’avais l’impression que j’allais le guérir, j’avais l’impression qu’en l’entourant d’amour, il allait se calmer. Il me disait tellement qu’il m'aimait mais ce n'est pas de l’amour. Ça ne s’arrêtera jamais. Un homme qui frappe, re-frappera. Un homme qui insulte, continuera à insulter."
Jusqu'à 10 ans de prison
Séverine s'en est sortie. Elle a dû déménager à deux reprises mais tente aujourd'hui de se reconstruire auprès de ses enfants, inquiets pour elle, mais aussi par son travail. Ce n'est malheureusement pas le cas des 1136 autres femmes victimes en 2017 de "suicide forcé" dans l'Union européenne, selon le rapport d'un groupe de travail européen qui étudie le phénomène.
Ces dernières années, la législation sur la question a tout de même évolué. Si l'infraction de "provocation au suicide", retenue dans l'affaire de Séverine, implique l'intentionalité de son auteur, la loi punit désormais le harcèlement entre conjoint qui conduit a minima à une dégradation de la santé physique ou mentale voire au suicide sans que ce soit intentionnel. Ce délit est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150.000 euros d'amende. À ce jour, une seule plainte a été déposée en France pour cette nouvelle infraction.
* Le prénom a été modifié, à la demande de l'intéressée.
3919: le numéro de téléphone pour les femmes victimes de violence
Le "3919", "Violence Femmes Info", est le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences (conjugales, sexuelles, psychologiques, mariages forcés, mutilations sexuelles, harcèlement...). C'est gratuit et anonyme. Il propose une écoute, informe et oriente vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge. Ce numéro est géré par la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF).