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François Molins, un procureur médiatique malgré lui

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De Mohamed Merah aux attentats du vendredi 13 novembre, François Molins est devenu le visage de l’antiterrorisme français. Contesté lors de sa nomination comme procureur de la République à Paris, cet homme discret s'est imposé au poste de magistrat le plus sensible de France.

Sa silhouette est devenue familière. Ses conférences de presse sont désormais des grand-messes dans les heures qui suivent un attentat. Quand tout le monde est sous le choc, son phrasé posé rassure presque.

"Quand il y a une conférence de presse de Molins, le silence se fait. Avoir quelqu'un qui à un moment va porter une parole claire, précise, officielle, essayer de mettre de l'intelligence et de la précision là où il y a du chaos, c'est presque rassurant", explique à BFMTV le directeur délégué de Libération, Johann Hufnagel qui est allé jusqu'à se fendre d'un billet intitulé "Monsieur le procureur François Molins, je vous aime".

En mars 2012, il déroulait les circonstances exactes de l'assaut à Toulouse. Mohamed Merah "atteint mortellement par des tirs en riposte qui sont effectués par les policiers du RAID, qui l'atteignent à la tête". Après les attentats de janvier 2015, il a multiplié les conférences de presse diffusées en direct sur BFMTV, mais aussi sur de grandes chaînes partout dans le monde. En juin 2015, il appelait la presse à "la plus grande prudence" après la décapitation perpétrée par Yassin Salhi en Isère.

A chaque fois, le procureur est sur le fil. Il se doit "d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public", comme l'indique l'article 11 du code de procédure pénale, mais il ne doit pas non plus mettre en danger l'enquête.

Il prévient qu'il ne répondra à aucune question et déroule ensuite un récit méthodique des faits, rigoureux et clinique, teinté de son léger accent du Sud-Ouest.

"La voix de l'antiterrorisme en France"

"A situation exceptionnelle, procureur exceptionnel. Auparavant il n'y avait pas ce genre de relais. Les informations circulaient de manière un peu anarchique. Aujourd'hui François Molins occupe cet espace par des points presse qui sont très réguliers, très bien menés, très organisés. C'est vraiment lui la voix de l'antiterrorisme en France", estime Jean-Alphonse Richard, chef du service police-justice de RTL.

Depuis 2012, les attentats ont projeté François Molins dans une lumière qu’il ne cherchait pas. Mais au fond, si son visage est devenu familier, qui connaît vraiment l'homme derrière le costume sombre?

Le tournant Bobigny

Diplômé de l'école supérieure de la magistrature en 1979, François Molins enchaîne les affectations, de Villefranche-sur-Saône à Bastia. En 2004, sa carrière effectue un tournant avec sa nomination comme procureur de la République à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. La deuxième juridiction de France est l’un des départements les plus criminogènes du pays, une épreuve du feu pour les parquetiers.

"Bobigny est un parquet difficile. Il y a une quantité de faits, d'infractions, de crimes qui s'y passent et avec des choses extrêmement violentes et lourdes. On apprend deux fois plus vite à Bobigny, je pense, que dans des circonscriptions de province éloignées où il se passe un fait criminel tous les six mois", estime Marie-Alix Canu-Bernard, l'ancienne avocate d'Amedy Coulibaly.

Une méthode

En deux ans, François Molins et Philippe Jeannin, le président du tribunal, recrutent une vingtaine de magistrats tout juste sortis d’école, pour les entourer dans ce tribunal défini comme "sens dessus dessous" par Le Monde.

"C'est ça aussi la particularité de François Molins, c'est qu'il s'entoure de jeunes et il rédige à leur attention comme à l'attention de tous les collègues du parquet ce qu'on a appelé une bible, c'est-à-dire un recueil de plusieurs centimètres de directives de politiques pénales qui traitent tous les sujets que peut connaître un membre du parquet de Bobigny durant ses fonctions", explique à BFMTV Guillaume Valette-Valla, ancien substitut du procureur à Bobigny et désormais secrétaire général de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

A Bobigny, François Molins aime être au plus près du terrain et n'hésite pas à faire des tournées avec la BAC pour bien connaître les lieux. "Il était là le premier le matin, le soir il partait parmi les derniers, il travaillait le week-end, tout ça au prix d'une implication professionnelles très forte", se souvient Guillaume Valette-Valla.

De sa vie privée, on sait qu'il doit son physique émacié à des heures de vélo et de joggings matinaux ainsi qu'à une passion pour les sports de montagne. Pour le reste, le procureur le plus connu de France est un homme discret et pudique.

François Molins s'exprime le 29 octobre 2005 sur l'enquête concernant le décès de deux adolescents à Clichy-sous-Bois.
François Molins s'exprime le 29 octobre 2005 sur l'enquête concernant le décès de deux adolescents à Clichy-sous-Bois. © François Guillot - AFP

L'ombre de Zyed et Bouna

C'est aussi son passage à Bobigny qui lui vaut les plus grandes critiques. Sa gestion de l’affaire de la mort des deux adolescents de Clichy-sous-Bois, en 2005, est la principale tache de son parcours. Les avocats des familles sont persuadés qu'il a subi alors une forte pression de sa hiérarchie et du ministère de la Justice, ce qui explique qu'il a mis du temps à ouvrir une enquête menée par un juge d'instruction.

"Je suis convaincu que François Molins seul aurait ouvert une information judiciaire au bout de trois ou quatre jours et non pas après plus de sept jours, ce qui a beaucoup compté dans le déclenchement des émeutes", juge Jean-Pierre Mignard, avocat des familles de Zyed Benna et Bouna Traoré. 

Polémique après sa nomination

Après cinq ans de bons et loyaux services à Bobigny, François Molins fait un crochet politique et devient le directeur de cabinet de la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, puis de son successeur Michel Mercier. Ce dernier le nommera ensuite procureur de la République à Paris, ce qui donnera lieu à une polémique.

Ainsi le Syndicat de la magistrature, ancré à gauche, regrette "sa proximité avec le pouvoir exécutif". Le président de l'Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession, veut pointer pour sa part le "signal désastreux de nommer un directeur de cabinet à Paris dans le climat d'affaires actuel qu'on connaît".

La polémique ressurgit au moment de la campagne présidentielle de 2012, lors du débat télévisé de l’entre-deux tours qui oppose Nicolas Sarkozy à François Hollande. "Vous avez fait nommer procureur de la République de Paris le directeur de cabinet du garde des Sceaux. Ça ne s’était jamais fait", reproche alors le candidat socialiste.

"Je savais qu'on allait me le reprocher mais je l'ai fait parce que c'était une très bonne décision et aujourd'hui qui me le reproche? Personne. Il faut savoir parfois avoir raison avant que les gens ne s'en rendent compte", s'enorgueillit aujourd'hui Michel Mercier.

Les doutes seront effectivement vite dissipés. François Molins sait faire preuve d'indépendance dans les affaires sensibles qui s’accumulent sur son bureau, comme le financement des partis politiques, les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, le dossier des sondages de l’Elysée, l'affaire Karachi, les achats de vote à Corbeil-Essonnes ou encore l'affaire Cahuzac.

K. L. avec Antoine Bonnetier et Camille Fournier