"Des années de mal-être": la fille d'une possible victime de Francis Heaulme assigne l'État en justice

Jean-Joseph Clément a été tué en 1989 dans le Vaucluse. Alors que le tueur en série avait reconnu les faits, la justice a finalement prononcé un non-lieu en 2002. La fille de la victime assigne l'État en justice pour fautes lourdes.

La justice a-t-elle failli dans l'enquête autour du parcours criminel de Francis Heaulme? C'est ce que la fille de l'une des potentielles victimes du tueur en série souhaite faire reconnaître en assignant l'État en justice pour "fautes lourdes", a appris BFMTV.com, confirmant une information de France Info.

Dans cette assignation délivrée le 30 avril, Christine Clément dénonce des failles importantes dans la gestion qui a été faite du dossier du meurtre de son père, tué dans le Vaucluse en 1989, vraisemblablement par le tueur en série Francis Heaulme.

Alors que les pièces à conviction dans l'enquête ont été perdues, condamnant le dossier à un non-lieu en 2002, elle souhaite que l'État soit condamné et reconnaisse ainsi sa responsabilité dans "le mal-être" que l'absence de réponse a engendré chez elle pendant des années.

"J'ai très, très mal vécu qu'un non-lieu soit prononcé à cause de la perte des scellés. Ce n'est pas normal de perdre des pièces à conviction. Aujourd'hui, j'attends une date de procès", commente Christine Clément auprès de BFMTV.com.

Francis Heaulme interpellé le jour du meurtre

En août 1989, Jean-Joseph Clément, réparateur de machines agricoles de 59 ans, quitte son domicile dans la Drôme et ne donne plus signe de vie. Il sera retrouvé mort le lendemain, à moitié nu et le visage massacré, sur un chemin à Bédarrides (Vaucluse), à une cinquantaine de kilomètres de chez lui.

Le même jour, les forces de l'ordre interpellent non loin des lieux du crime un homme sans domicile fixe. Son corps présente plusieurs plaies. Il s'agit de Francis Heaulme. Inconnu de la justice, l'homme a pourtant déjà huit crimes à son actif. Auprès des enquêteurs, l'individu, blessé, explique avoir été agressé et est hospitalisé. Placé en garde à vue trois mois plus tard, il affirme qu'il n'a rien à voir avec le meurtre, et les enquêteurs le laissent repartir libre.

Pourquoi Francis Heaulme est-il de nouveau mis en examen ?

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Il faudra attendre 1992 pour qu'il soit réinterrogé sur l'affaire. Alors qu'il a déjà commencé à livrer des aveux dans une autre affaire, le meurtre d'Aline Pérès en 1989, les enquêteurs le lancent sur le dossier Jean-Joseph Clément. Réponse de Francis Heaulme: "C'est moi aussi". Le meurtrier explique avoir obéi à une pulsion et frappé l'homme à mort à l'aide d'un pistolet à peinture qu'il avait en sa possession.

Non-lieu en 2002

Les investigations se poursuivent. Mais en 1993, le dossier, jusqu'alors instruit à Avignon (Vaucluse), est transmis au parquet de Reims (Marne), qui reprend toutes les enquêtes autour du tueur en série. Lors de ce transfert, les enquêteurs perdent les scellés, c'est-à-dire l'ensemble des objets saisis pendant les investigations sur le meurtre de Jean-Joseph Clément.

Pendant des années, plusieurs juges d'instruction se succèdent, mais aucun ne fait avancer le dossier. En 2002, l'un d'entre eux décide de réinterroger Francis Heaulme sur Jean-Joseph Clément. Mais cette fois-ci le tueur nie être l'auteur des faits.

Faute de scellés, faute de nouveaux aveux, le juge d'instruction prononce un non-lieu et le dossier est refermé.

De nouveaux éléments

Aujourd'hui, grâce à la détermination de Christine Clément et de ses avocats, le dossier fait l'objet de nouvelles investigations. En 2023, Francis Heaulme a à nouveau été mis en examen à Reims, puis le dossier a été repris en main par le Pôle dédié aux crimes sériels et non élucidés (PCSNE) à Nanterre l'année d'après.

"Si jamais ces scellés sont retrouvés, ils pourront bénéficier des progrès de la science et de nouvelles analyses", résume Me Marine Allali, qui représente Christine Clément aux côtés de Me Didier Seban.

Selon l'avocate, si le dossier a pu être rouvert, c'est aussi au regard des nouveaux éléments dont dispose la justice. "En 2002, lorsque le non-lieu est prononcé, Francis Heaulme n'a pas encore été condamné dans certains dossiers, notamment dans celui des enfants de Montigny."

Or, dans ces affaires pour lesquelles il sera condamné postérieurement, comme dans celle du meurtre de Jean-Joseph Clément, le mode opératoire utilisé semble être le même. En particulier le fait que le tueur en série utilisait souvent une pierre ou tout objet lui tombant sous la main pour asséner des coups violents à sa victime jusqu'à la mort, et qu'il avait pour habitude de se faire hospitaliser après chaque passage à l'acte, déclarant avoir subi une agression.

"Je veux savoir ce qu'il s'est passé"

Près de 36 ans après le meurtre de Jean-Joseph Clément, Francis Heaulme a à nouveau été entendu par les enquêteurs, il y a environ deux mois, indique Christine Clément à BFMTV.com. Selon elle, ces auditions n'ont pas été concluantes. La fille de Jean-Joseph Clément espère que le tueur en série passera à nouveau aux aveux quant au meurtre de son père.

"Je veux savoir ce qu'il s'est passé ce jour-là. Même si c'est lui (qui a commis le meurtre, NDLR) et même si on sait qu'il ne faut pas se trouver sur son chemin quand il voit rouge, j'aimerais savoir ce qui a déclenché cette violence", raconte-t-elle.

Dans l'assignation délivrée le 30 avril, les avocats pointent à la fois la perte des scellés, l'inaction des juges d'instruction pendant 7 ans, et le déni de justice qui a été fait à leur cliente. "On souhaite que cette attente de plus de 30 ans soit reconnue comme une faute de la part de l'État, et que ce dossier ne soit plus jamais oublié. Ça aurait une forte portée symbolique", explique encore Me Marine Allali.

Une audience de mise en état a été fixée au 2 février 2026. Celle-ci aura pour but de déterminer un calendrier et de fixer une date pour le procès.

Elisa Fernandez